La Tunisie est en ébullition. Le pays vient de condamner à quatre mois de prison ferme les trois Femen européennes accusées de troubles à l’ordre public et d’atteinte à la pudeur. Un rappeur a, par ailleurs, écopé d’une peine de deux ans d’emprisonnement à cause d’une de ses chansons jugée insultante à la police. Et, une journaliste Franco-tunisienne, qui l’a soutenu, doit comparaître, elle est accusée d’insulte à agents. Est-ce qu’on assiste à une islamisation de la Tunisie ?
Vincent Geisser, chercheur à l’Institut français du Proche Orient (IFPO Beyrouth), analyse pour Afrik.com la situation sociale qui secoue le pays. Interview.
Afrik.com : Les Femen européennes ont été condamnées à quatre mois de prison ferme. Un rappeur a écopé de deux ans d’emprisonnement, et la journaliste Franco-tunisienne qui a publié une tribune en sa faveur dans Libération a été arrêtée puis libérée en attendant sa comparution immédiate. Comment expliquez-vous cette montée de tension sociale en Tunisie ?
Vincent Geisser : Ce serait une erreur de dire que c’est nouveau. Les questions de mœurs, valeurs et sexualités ont toujours été réprimées en Tunisie. Que la police et l’Etat gèrent l’ordre moral en Tunisie c’est un classique. Déjà, sous Ben Ali, le pays disposait des bridages de mœurs. On est dans la continuité, la justice et la police répriment les comportements qui touchent aux bonnes mœurs. Ce qui pose, aujourd’hui, problème au gouvernement, c’est que ces faits sont mis sur la place publique. Ce qui choque l’opinion ce sont ces condamnations. Les gens se demandent par exemple, pourquoi condamner un rappeur à deux ans de prison alors qu’il n’a pas porté atteinte à la sécurité de l’Etat ? Le point positif est que les répressions de l’Etat font désormais l’objet d’un débat public.
Afrik.com : Aussi bien pour les Femen que pour le rappeur condamné, on parle de plus en plus de la répression de la liberté d’expression. Est-ce qu’on assiste à l’islamisation de la Tunisie ?
Vincent Geisser : L’identité est devenue une façon de gouverner à part entière : le gouvernement réprime pour rassurer la population qui a peur de perdre son identité tunisienne. Non, comme en Tunisie, les questions de mœurs sont ultrasensibles dans tout le Maghreb. Il faut savoir que l’islamisation ne vient pas d’en haut. Les islamistes eux-mêmes ont découvert le caractère conservateur de la Tunisie. Ils se sont islamisés. L’islamisation ce n’est pas un phénomène d’en haut, reprenant des textes ou provenant du parti Ennahda. Le gouvernement flatte la fibre islamiste de la société tunisienne. L’islamisation n’est pas plus forte que sous Ben Ali, mais elle est plus visible.
Afrik.com : Avec cette montée de tension sociale, on peut craindre un dénouement malheureux. Selon vous, quelle est la solution la plus appropriée pour éviter le pire ?
Vincent Geisser : Tout le monde ne peut être d’accord sur la solution la plus appropriée pour résoudre la situation. Il faut faire attention aux sanctions. Il y a eu une révolution, une transition démocratique : il faut que ces changements aient des effets sur le fonctionnement de la société. On ne peut pas continuer à réprimer comme sous Ben Ali. Il faut une réforme profonde des institutions de l’ordre social et de l’appareil sécuritaire. En l’absence, la démocratie sera compromise.