Les derniers faits de violence en Tunisie ont achevé de convaincre la majorité silencieuse de le rester. Le mécontentement gagne ceux qui espèrent que la situation sécuritaire se stabilise au plus vite.
Pour les uns, c’est la police qui a la côte car elle a su neutraliser les jeunes turbulents et forcer le retour au calme. Pour les autres, ce sont les manifestants qui doivent être glorifiés. Ils ont défié la répression policière pour alerter les consciences. Les revendications en elles mêmes ne sont pas retenues. Aujourd’hui il est difficile de différencier les contestataires des casseurs. L’On évoque des barbus, dont on dit qu’ils ont collé leur barbe, qui sèment le trouble, et l’on désigne les jeunes manifestants comme des gens payés à faire tout capoter. Mais alors, comment manifester son opposition aujourd’hui en Tunisie ?
Une chose est sure. L’opinion est de moins en moins favorable aux mobilisations de rue. Le zoom sur les troubles éclipse tout le reste. Les organisateurs se méfient car ils risquent gros en cas d’infiltration justifiant l’intervention policière. Résultat, l’on ne sait plus qui se cache derrière les événements créés dans la clandestinité. Et la police ? Bourreau dans la répression, victime dans l’amalgame. Le syndicat des forces de l’ordre tente de prendre position contre les excès de zèle et le recours à la force. Il fait des gestes symboliques tels que s’excuser au nom des collègues qui ont appelé à calmer le jeu. La confusion est totale. Six mois après, l’on ne sait toujours pas qui sont les bords obscurs qui en veulent à la révolution.
Décryptage
Afrik était présente au sit-in organisé par Yassine Ayari, lundi à la kasba. L’organisateur ici est connu. Il a envoyé une déclaration au ministère de l’intérieur qui a été rejetée. Mais il décide de maintenir quand même le rendez-vous. Toutefois le sit-in a mobilisé peu de personnes.
Le sit-in a débuté par une marche vers la place de la Kasba, les policiers et militaires se sont fait surprendre, d’où l’intrusion sur la place quadrillée dans la stupéfaction. Négociation avec des agents en civil qui se sont concertés, puis appelés leurs supérieurs. Un militaire prie Yassine de revenir sur ses pas, il s’installe par terre juste devant la barrière avec ses compagnons. Flottement pendant quelques minutes et tentatives de discussion de la part de différents agents, qui n’avaient pas connaissance de la tenue du sit-in. Or, Yassine n’a aucune autorisation à leur montrer. L’intéressé corrige. Selon la loi en vigueur, il n’a pas besoin d’autorisation, le texte dit qu’il doit déclarer l’évènement et non solliciter un accord, 3 jours auparavant. Yassine se dit donc être conforme à la loi. Un silence refait à nouveau surface. Des curieux s’arrêtent. Beaucoup d’ hommes en noir s’attroupent, des badauds se penchent sur les sitters pour comprendre, et une dame se place juste derrière avec une pancarte. Elle commence à invectiver les moqueurs qui lancent « un sit-in en voilà un de plus » , en criant : « vous n’êtes pas des vrais hommes ! ils sont là pour vous, ils veulent que ce gouvernement s’explique. » puis elle se met à lire sa pancarte à voix haute. Elle ne connait pas les manifestants, et parait décidé à venir de son propre chef, poser une question : Est ce vrai que le ministère de l’Interieur compte faire des opérations commando qu’il imputera par la suite aux islamistes ? la question est écrite sur sa pancarte. Elle crie cette même question plusieurs fois et détourne l’attention vers elle. Les sitters étant juste assis, silencieux et immobiles. Un troupeau d’hommes en noir lancent : « levez vous s’il vous plait, nous allons disperser ». Les manifestants sont aspirés un à un par l’arrière. Ils sont pris par les aisselles et tirés vers le haut.
Au même moment, Yassine se débat avec deux hommes en noir, leur chef crie « bikolli lotf !!! bikolli lotf !!! » (faites en douceur, tout en douceur !!). yassine rétorque en se faisant repousser vers l’esplanade. Un autre manifestant par contre, chokri yahiaoui, en est sorti avec la bouche ensanglantée, ca s’est passé vite dans la confusion, il dit que c’est un BOB, la vidéo qu’il a postée sur facebook choque par le vocabulaire obscène employé par l’un des agents : « recule, ou je te n*** ta mère ect .. »
« Au voleur! »
les sitters tentent de se mobiliser à nouveau et soudain crient « au voleur !! ». Un petit jeune d’à peine 20 ans, les cheveux gominés en crête de coq se bat avec l’une des manifestantes en tentant de lui arracher son portable qui tombe. Les hommes en noir l’encerclent et il disparait. Mariem une autre manifestante dit qu’il a déclaré aux agents, « zamil »( je suis un collègue) on ne le verra plus.
Une dame avec une pancarte explique qu’elle est là pour interpeller le gouvernement sur la véracité de ces informations. Des sitters nous interpellent pour nous dire que deux manifestants ont été interpellés. Plus loin deux manifestants sont emmenés, par les bras, deux policiers pour chacun, on les monte vers l’esplanade. On leur emboite le pas et on leur pose la question : ou allez vous ? qu’ont-ils fait ? Pas de réponse, On nous demande juste de nous identifier en tant que journaliste avec un gilet. Un jeune non identifié crie : « ils vont les envoyer à l’armée !!! » finalement plus de peur que de mal. Ils seront relâchés tout en haut de l’esplanade avec ordre de ne plus redescendre.
Le reste des hommes en noir arrive quelques instants plus tard derrière le reste des manifestants. La discussion s’engage, les policiers se défendent d’avoir l’intention de nuire, ils voulaient juste éviter une rixe avec les habitants du quartier qui étaient prêts à en découdre parce qu’ils en ont marre des manifestations. Les sitters n’ont pas souvenir de personnes mécontentes, et si c’était le cas, plutôt que des gens du quartier, ce seraient pas les fameux infiltrés ? Auquel cas il fallait aussi les contenir, et demander leurs identités. Les policiers expliquent que leur rôle premier est d’être au service du citoyen. Ils se disent jeunes et concernés par ce qui se passe dans le pays autant que les sitters.
Yassine en garde à vue ?
Les revendications du sit-in vont pour la première fois être attentivement entendus, puis Yassine est appelé à accompagner des hommes en civil, en tant qu’organisateur.Il y a parmi eux le chef de district et deux chefs de poste. Yassine s’éloigne. Afrik tente de lui emboiter le pas, le chef de district s’y oppose, demande la qualité, journaliste. Afrik tend son ordre de mission et sa carte syndicale. Il demande la carte de presse et des explications sur le fait de suivre Yassine. Pendant qu’on discute, Yassine n’est plus visible, et les sitters paniquent lorsque son téléphone est éteint. Pas de réponse de la part des agents. La journaliste demande alors à descendre en sa qualité de citoyenne libre de ses mouvements et souhaite se rendre de là ou elle est à la rue bab bnet ou se trouve le premier poste de police, pas d’argument opposé et les hommes en noir sont contournés sans réagir. Premier poste, on nous répond que Yassine n’y est pas. On le retrouve finalement plus tard à l’esplanade.
Il dit avoir été emmené au poste de bab bnet, ou des agents lui ont signifié qu’il est en garde à vue et lui ont demandé s’il voulait joindre un proche ou voir un médecin.Il aurait voulu voir un avocat, mais cela lui a été refusé. Il est laissé un long moment, puis on lui annonce qu’il est libre et qu’il sera en prime reçu le lendemain avec quatre représentants par le Premier ministre pour exposer ses revendications.
La dispersion est rapide, rien de spectaculaire. Mais aujourd’hui, Yassine n’a pas été reçu comme promis, on lui a juré que ce sera pour demain.
Comment exprimer les défaillances en Tunisie aujourd’hui, avec un paysage audiovisuel encore handicapé, une administration qui garde ses réflexes, et surtout un jeu de chaises musicales qui déplace les anciens décideurs là ou ils ne sont pas connus. Comment s’exprimer dans tout cela avec cette épée de Damoclès : les « mondassin » (intrus) ? et qui en prend la responsabilité ? le porte parole du gouvernement, M. Taieb Baccouche, réagissant aux événements de Kasba 3, lui, se refuse à faire l’amalgame entre manifestants et casseurs, mais il trouve la distinction difficile et le timing délicat. En revanche sur la responsabilité, il pense qu’elle doit être partagée entre les organisateurs dans la gestion et la police dans la défense de tous. Reste à suivre les parcours des détenus lors des manifestations, pour savoir si l’enquête a été bien établie, et comment les responsabilités sont évaluées.