Tunisie : ce que l’on sait du procès de Sonia Dahmani, arrêtée en direct sur France 24


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Sonia Dahmani
Sonia Dahmani

Depuis la chute du régime autoritaire de Zine El Abidine Ben Ali, en 2011, la Tunisie semblait amorcer un virage démocratique, espérant ainsi poser les bases d’un État de droit et de liberté d’expression. Cependant, la réalité de la répression des voix critiques et des journalistes révèle un contraste frappant avec les idéaux de la révolution. Récemment, l’arrestation de l’avocate et chroniqueuse Sonia Dahmani, survenue en direct sur la chaîne France 24, a ravivé le débat sur la liberté d’expression et les limites de la justice en Tunisie, marquées par des lois de plus en plus contraignantes.

L’arrestation de Sonia Dahmani et la controverse autour de son procès

Ce 10 janvier, Sonia Dahmani comparaissait devant la cour d’appel tunisienne. L’avocate et chroniqueuse avait été condamnée en première instance à deux ans de prison pour « diffusion de fausses informations », une infraction inscrite dans l’un des cinq dossiers judiciaires qui pèsent sur elle. Cette condamnation faisait suite à des déclarations qu’elle avait faites en 2022 sur France 24, concernant le traitement réservé aux migrants subsahariens en Tunisie. Selon Dahmani, ses propos n’étaient qu’un rapport sur la réalité des faits, sans intention malveillante ou de semer la discorde au sein de la société tunisienne. Pourtant, ces propos avaient été jugés comme une incitation à la haine et à la division par la justice tunisienne.

Lors de l’audience, les avocats de la défense ont plaidé en faveur de l’abandon des charges, soulignant que l’avocate n’avait fait que remplir son rôle de journaliste en relatant une situation qui, selon eux, ne faisait que refléter une réalité préoccupante. La décision a été repoussée au 24 janvier, laissant planer l’incertitude sur l’avenir de Sonia Dahmani, qui a déjà purgé huit mois de prison dans l’attente de ce jugement. Le Syndicat des journalistes tunisiens, par la voix de ses représentants, a exprimé son inquiétude face à ce que l’on considère de plus en plus comme une répression de la liberté d’expression et une atteinte directe aux droits des journalistes.

Une justice sous pression : la loi anticybercriminalité comme outil de contrôle

L’affaire de Sonia Dahmani s’inscrit dans un contexte plus large de répression croissante de la liberté de la presse en Tunisie. En 2022, l’adoption du décret 54, une législation visant à lutter contre la cybercriminalité, a été saluée par certains comme un moyen nécessaire pour réguler l’espace numérique et contrer la désinformation. Toutefois, de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer la manière dont cette loi est utilisée pour étouffer les critiques politiques et juger sévèrement les journalistes, les militants et les citoyens exprimant des opinions dissidentes.

Ce décret punit sévèrement la diffusion de fausses informations et la diffamation, un cadre juridique flou qui ouvre la voie à des interprétations subjectives et à des arrestations arbitraires. En conséquence, plusieurs journalistes ont été poursuivis, emprisonnés et parfois contraints à l’exil. Ce climat répressif pèse lourdement sur la presse tunisienne, qui, bien qu’ayant connu une certaine liberté depuis la révolution, semble aujourd’hui se retrouver sous la menace d’une justice qui a pris une tournure de plus en plus autoritaire.

Le procès d’autres journalistes : une répression systématique ?

Sonia Dahmani n’est pas la seule à se retrouver sous le feu des projecteurs judiciaires. Ce même 10 janvier, deux autres journalistes étaient également jugés. Chadha Haj Mbarek, détenu depuis juillet 2023, fait face à des accusations dans l’affaire « Instalingo », un dossier dans lequel des hommes d’affaires et des membres du parti islamiste Ennahda sont également impliqués. Le procès de Mbarek a été reporté au 28 janvier prochain, mais son emprisonnement préventif fait ressortir la répression à l’égard des journalistes d’investigation, souvent perçus comme des menaces par le pouvoir en place. Un autre militant de la société civile, Ghassen Ben Khalifa, a été entendu par la justice dans le cadre d’une enquête sur des contenus qu’il aurait publiés sur les réseaux sociaux.

Bien qu’il soit actuellement en liberté, cette affaire témoigne d’une tendance inquiétante où les médias sociaux et les opinions critiques sont de plus en plus considérés comme des déviations qu’il convient de punir. Le Syndicat des journalistes tunisiens, dans un communiqué vigoureux, a dénoncé ces multiples procédures judiciaires comme une forme de « ciblage » des voix critiques et une « atteinte aux droits » fondamentaux. Selon le syndicat, il s’agit d’une tentative de museler la presse et d’empêcher toute forme d’opposition politique et sociale.

Une société divisée et un avenir incertain

Ces développements témoignent d’une réalité préoccupante pour la Tunisie. Après plus d’une décennie de transition politique post-Ben Ali, le pays se trouve à un carrefour difficile, où les ambitions démocratiques se heurtent à une répression de plus en plus évidente. Si la liberté d’expression a été un des grands acquis de la révolution, elle semble aujourd’hui se heurter aux enjeux politiques actuels et à des tensions sociales de plus en plus vives.

La Tunisie, qui était autrefois un modèle de transition démocratique en Afrique du Nord, semble désormais engluée dans des dérives autoritaires, où la presse et les citoyens qui osent exprimer des critiques risquent des représailles judiciaires. Le jugement de Sonia Dahmani et d’autres journalistes, ainsi que la mise en œuvre d’une législation restrictive, semblent indiquer que la Tunisie pourrait être en train de sacrifier sa liberté d’expression au nom de la stabilité politique. La question demeure : dans quelle direction la Tunisie évoluera-t-elle, et les idéaux de la révolution seront-ils définitivement compromis par ces nouvelles restrictions ? Seul l’avenir pourra répondre à cette interrogation.

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Je suis passionné de l’actualité autour des pays d’Afrique du Nord ainsi que leurs relations avec des États de l’Union Européenne.
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