Des dizaines de milliers de personnes ont assisté ce vendredi aux obsèques de l’opposant Chokri Belaïd à Tunis. Un assassinat cautionné par Ennahda ? Organisé par les anciens proches de Ben Ali ? Maryam Mnaouar, présidente du Parti tunisien, et Hamadi Kaloutcha, cyber-militant, témoignent.
Et si les caciques de Ben Ali, anciens RCD, avait commandité l’assassinat de Chokri Belaïd ? La présidente du Parti tunisien, Maryam Mnaouar, n’écarte pas la théorie du complot. Une piste sérieuse à explorer selon elle. Mais peu importe la personne qui a assassiné l’opposant tunisien, « Ennahda et plus précisément la troïka sont directement ou indirectement coupables dans ce meurtre quel que soit le commanditaire, accuse-t-elle. En ce sens que leur gouvernement a laissé faire, protégé les tortionnaires sans les poursuivre réellement, et même allé jusqu’à justifier la violence pratiquée indûment par l’état et approuver les fausses accusations collées aux militants. » Le gouvernement a en quelque sorte préparé le terrain d’une confusion sécuritaire propice aux meurtres et agressions impunies, estime la dirigeante politique.
Elle admet n’avoir aucune confiance en l’enquête menée par le ministère de l’Intérieur, « principale organe dirigeante du pays ». Le ministère de l’Intérieur dispose d’une force importante dans le pays. Alors qu’en 1987 Habib Bourguiba est gravement malade, le ministre de l’Intérieur de l’époque, Zine el Abidine Ben Ali, gouverne le pays. Il devient alors Premier ministre et dépose Bourguiba pour « raisons médicales ». Des habitudes qui semblent être resté d’actualité.
Le ministère de l’Intérieur est l’épicentre de la politique tunisienne. D’ailleurs, le ministre délégué auprès du ministre de l’Intérieur, Lazhar Akremi, a dévoilé l’existence d’une liste d’assassinat à commettre « pour la conclusion de la soi-disant transition démocratique ». D’après lui, le nom de Chokri Belaïd, secrétaire général du Parti des patriotes démocrates unifié, se trouvait en tête de liste. Il accuse des membres extrémistes d’Ennahda de s’infiltrer au ministère de l’intérieur. Il a mis l’accent sur la gravité de ces infiltrations, « responsables de la situation chaotique du pays. »
Les caciques de Ben Ali sont de retours
« Nous sommes déçus de constater que les caciques du régime Ben Ali sont toujours là malgré le départ de leur dirigeant. Il n’y a à ce jour aucune poursuite contre eux », s’insurge la dirigeante du Parti tunisien. Elle prévient que « l’ancien gouvernement de Béji Caïd Essebsi est autant responsable de ce qu’il advient en Tunisie que le gouvernement actuel, dominé par Ennahda, puisque déjà en son temps les caciques de l’ancien régime bénéficiaient d’une impunité, et que l’ex-Premier ministre a poussé le cynisme jusqu’à dire que les snipers sont de la pure intox ! »
Le gouvernement porterait donc une grosse part de responsabilité dans le mort de Chokri Belaïd. « Je ne sais pas si Ennaha est directement coupable mais il en tout état de cause coupable », affirme Maryam Mnaouar. « Il a laissé faire et a protégé des assassins. J’ai pensé à l’acte prémédité par les anciens du RcD. Mais qui les ont laissés faire ? C’est Ennahda ! Et avant elle Essebsi. Et avant lui Ghannouchi. Ben Ali est parti mais ses amis sont toujours là ! », regrette-t-elle.
Le cyber-militant Hamadi Kaloutcha, arrêté et emprisonné à plusieurs reprises au ministère de l’Intérieur sous l’ère Ben Ali, pense que « le peuple à trop laissé faire et qu’il faut en finir ». « Que ce soit le gouvernement actuel, les anciens de Ben Ali ou même des membres de l’opposition responsables du meurtre de Belaïd, nous sommes tous d’accord qu’Ennahda est responsable de la situation », affirme le cyber-militant qui pointe lui aussi du doigt le ministère de l’Intérieur dont les rênes sont aujourd’hui tenus par Ennahda. « Ce sont leurs prédicateurs et leurs députés qui ont appelé au meurtre de Belaïd », lance Hamadi Kaloutcha. Il accuse Ennahda d’être allié avec les anciens proches de Ben Ali. « Il faut être vigilent, pas question de baisser la garde », prévient-il.
Le pacte Ennahda/RcD
Beaucoup pensent que pour revenir en force, les anciens membres du RcD doivent organiser quelque chose de fort. L’assassinat de Chokri Belaïd est un meurtre symbolique, une action forte pour semer la pagaille à travers le pays. « Ceux qui cherchent à revenir en force dans le pays, ce sont les ex-membres du RcD, des personnes très influentes », déclaré Maryam Mnaouar. Le gouvernement après élection s’est senti obligé de travailler avec eux. »
Un avis que partage Nejib Belal, membre fondateur du groupe Facebook Le14janvier. Le 14 janvier 2013, ce militant qui lutte pour l’arrestation et la marginalisation des anciens membres du RcD, affirmait à Afrik.com qu’ « un accord a été passé entre le gouvernement actuel et l’ancien dirigeant Ben Ali ». Il trouve « inacceptable » que les anciens membres du RcD soient aujourd’hui encore « en activité ».
Contacté aussi par Afrik.com, l’avocate et militante des droits de l’Homme, Radhia Nasraoui, n’a pas eu le courage de s’exprimer, dit-elle, suite à la journée éprouvante qu’elle a passée aux funérailles de Chokri Belaïd. Elle confirme néanmoins un acte « odieux ».
Aujourd’hui, beaucoup de blogueurs, de libres penseurs et bien évidemment de chefs de partis de l’opposition sont en danger, à l’image de Maryam Mnaouar, agressée physiquement et sexuellement par des éléments de la police. Mais aujourd’hui, c’est elle qui fait l’objet d’une enquête pour avoir agressé, toute seule, huit policiers. Malgré ces accusations absurdes, Maryam Mnaouar entend poursuivre la lutte et encourage le peuple à se soulever « sans les tortionnaires d’hier » pour « dégager les tortionnaires d’aujourd’hui ».