Trois immigrants clandestins sont morts, lundi dernier, après être tombés du grillage frontière de 6 mètres de haut de l’enclave espagnole de Melilla, au nord du Maroc. Des décès qui font suite à l’assaut d’une cinquantaine d’immigrés africains cherchant à passer en Europe.
Louise Simondet
L’enclave espagnole de Melilla encore tachée de sang… Zone de passage vers un supposé Eldorado européen, une cinquantaine de clandestins ont tenté, lundi, de passer en force la frontière espagnole de l’enclave de Melilla dans le nord du Maroc. Trois de leurs compagnons y ont laissé la vie après avoir chuté d’un grillage haut de 6 mètres. L’un s’est effondré du côté espagnol, les deux autres ont été retrouvés du côté marocain. Sept sub-sahariens blessés on été admis à l’hôpital Hassani de Nador, au Maroc. Selon le médecin en chef, rapporte la Direction de l’immigration et de la surveillance des frontières, organe du ministère de l’Intérieur marocain, « les deux corps retrouvés du côté marocain ne révèlent pas de corps étrangers, ni d’objets métalliques ». Les cadavres retrouvés sur le sol marocain ont été ensuite conduits directement à la morgue. « Nous n’avons aucune nouvelle concernant ces deux corps, précise Hicham Rachidi, membre Migreurope, un réseau regroupant des associations européennes et africaines de défense des migrants. Mais selon nos informations, le clandestin mort du côté espagnol aurait été tué par balle ». Sept immigrants clandestins ont été arrêtés au Maroc et trois en Espagne.
« Le Maroc et l’Espagne se renvoient chacun la faute sur ce dernier décès. Pour l’instant on n’en sait pas plus, mais ce qui est certain c’est que les pistolets des policiers espagnols sont chargés avec des balles en caoutchouc, anti-émeute, alors que les policiers marocains tirent avec des balles réelles. Cependant, si l’on tire à bout portant avec des balles en caoutchouc à moins de 8 mètres, celles-ci ont le même impact que des balles réelles », rapporte Brigitte Espuche, membre de l’Association pro Derechos Humanos de Andalousia (APDHA). « C’est une supposition, mais il semblerait que ce soit la police espagnole qui a tiré, droit devant, à bout portant », ajoute-t-elle. L’assaut de lundi est le premier enregistré sur ce lieu de transit vers l’Europe depuis le 25 septembre 2005. Date à laquelle une foule de clandestins s’était ruée sur Melilla et Ceuta. Quatorze immigrants africains avaient trouvé la mort lors de ce passage en force, dont certains tués par balle.
Des dispositifs de plus en plus perfectionnés
Malgré ces trois décès, la politique de fermeture des frontières semble porter ses fruits. Le Maroc a subi une baisse de l’immigration clandestine de 65% sur les quatre premiers mois de l’année 2006, comparé à la même période en 2005. Les nouveaux dispositifs mis en place ont aussi contribué pour une bonne part à cette baisse significative. « Il y a plus de barrages », note Hicham Rachidi. Et Brigitte Espuche d’ajouter : « Les moyens dissuasifs utilisés à la frontière se sont renforcés depuis l’automne 2005 avec les assauts de Ceuta et Melilla. La hauteur du mur du côté espagnol a été doublée. Il est passé de 3 à 6 mètres. Du côté marocain, le fossé a été creusé de 3 mètres vers le bas ». Pour la Direction de l’immigration et de la surveillance des frontières, « l’augmentation de la hauteur du grillage augmente la difficulté d’ascension du mur et si à cela on ajoute la précipitation des gens, cela explique en partie ces blessés et ces décès ».
Les grillages sont recouverts de fil barbelé. Il est là pour empêcher les clandestins de poser leurs échelles ou de tenter l’escalade de ces clôtures. « Les policiers disent que ce n’est pas dangereux ! Mais quelqu’un qui chute, qui s’accroche dessus se retrouve blessé ou tué. Le gouvernement parle de politique efficace, mais c’est avant tout une politique meurtrière », souligne Brigitte Espuche. La Direction de l’immigration et de la surveillance des frontières n’est pas de cet avis. « Chaque pays doit surveiller ses frontières. Notre gestion de l’immigration est très humaine. Nous respectons les immigrants ». Autre nouveauté, les détecteurs de mouvement ont été renouvelés. L’éclairage a augmenté avec l’arrivée de « super-projecteurs » pour éblouir les candidats à l’exil. Des caméras ont également été placées pour détecter tout mouvement de foule. « Ce développement du système de surveillance n’a eu finalement pour effet que de changer le trajet de ces flux migratoires clandestins. Au lieu de n’avoir que 14 km de marche, les immigrés passent maintenant par le Sud pour rallier les Canaries. Ils traversent la mer sur une distance de 100 km, explique Brigitte Espuche. Ce trajet est beaucoup plus coûteux, plus périlleux et la mort est souvent au bout du chemin ».
Un dessein dans ces mesures ?
Ce renforcement des dispositifs aux frontières doit être mis en parallèle avec le plan élaboré par l’Europe pour réduire significativement l’immigration, en contrôlant l’immigration à l’origine. Il s’agit du projet européen « Routes migratoires », initié en 2006 et qui doit s’étaler sur trois ans. L’Espagne et le Maroc font partie intégrante de ce programme, qui prévoit d’accorder une aide financière de 800 millions d’euros à l’Espagne et de 40 millions d’euros au Maroc. « Une aide au développement que j’appelle plutôt du chantage au développement », ironise Brigitte Espuche. « L’Espagne et le Maroc ont augmenté la pression sur l’immigration pour avoir plus d’argent », poursuit Hicham Rachidi.
Une conférence euro-africaine sur l’immigration et le développement qui se tiendra à Rabat, au Maroc, les 10 et 11 juillet prochains. « Bizarrement, ces mesures prises à l’encontre des clandestins se déroulent quelques semaines avant ce sommet sur l’immigration. C’est une étrange coïncidence », note Brigitte Espuche. Hicham Rachidi fait aussi ce lien mais tient à préciser : « Cette guerre aux migrants, selon un clandestin interrogé par notre organisation, intervient alors que le roi du Maroc est en visite à Nador ». « Il n’y a aucun lien avec ce sommet. Nous faisons juste notre travail de contrôle aux frontières dans le respect des droits des migrants. Ce sommet aurait pu tomber en mai, cela aurait été pareil », tient à souligner la Direction de l’immigration et de la surveillance des frontières. Pour protester et dénoncer ces abus, l’APDHA a organisé un contre-sommet le week-end dernier. Pour Brigitte Espuche, membre de l’organisation : « Ces répressions ne font que commencer et je prédis qu’il y en aura encore beaucoup d’autres d’ici le sommet… »