Un nouvel album sorti début mars, deux concerts en région parisienne. Pas de doute, le Trio Mocoto est de retour. Nereu, Skowa et Joao ont plus que jamais la pêche. Ils chantent que « tout va bien » et c’est vrai ! Ils nous le prouvent en nous accueillant dans leur fief de Sao Paulo, au Brésil.
De notre envoyée spéciale à Sao Paulo
Nereu, c’est le Noir rigolard à la voix caverneuse, descendu de sa favela carioca, le pandeiro à la main. Skowa, c’est le métis géant et jovial, producteur touche-à-tout, et multi-instrumentiste inspiré. Et Joao, c’est le Blanc malingre, né bourgeois de Sao Paulo, à la queue de cheval sage mais au tempérament bouillonnant. Un bel arc-en-ciel made in Brasil. « On est tous métis, c’est la seule façon d’être brésilien. Tout Brésilien a « un pied dans la cuisine » comme on dit ici, même le plus blanc ! Nous, on est dégradés ! », s’amuse Skowa.
Ces trois-là forment le Trio Mocoto et sont inséparables. Un peu les trois mousquetaires de la musique brésilienne. Un pour tous et tous pour le son. Qui ont tous appris la musique sur le tas. « Un Brésilien ne regarde jamais le mode d’emploi, il se débrouille ! » plaisante Skowa.
Dans leur fief de Sao Paulo, vous pouvez avoir les trois pour le prix d’un, dans un bar réputé pour ses sandwichs, à la croisée des chemins (des familles y côtoient des oiseaux de nuit branchés et des amoureux timides). Première gorgée de bière. C’est Joao qui parle le plus, son débit de paroles est impressionnant. Sa descente aussi. Skowa, lui, lâche des blagues bien senties suivies de rires sonores. Nereu, plus timide, ponctue ses phrases du « Beleza ! » qui a fait sa réputation sur les albums du Trio. Quand il sourit, on voit toutes ses dents.
Jogral, le bateau ivre
Le Trio Mocoto, c’est la sainte trinité du samba-rock, la musique qu’ils ont inventé avec Jorge Ben à la fin des années 60. Tout a commencé au café Jogral, petit endroit enfumé et survolté de Sao Paulo, point de rencontre des intellectuels, journalistes, politiques, artistes, écrivains, poètes et musiciens. On y croise l’intelligentsia brésilienne mais aussi des musiciens étrangers comme Duke Ellington ou Oscar Peterson.
Joao, Nereu et leur compère de l’époque, Fritz, sont jeunes, hippies et bourrés de talent. Ils font leurs armes avec Jorge Ben et Vinicius de Morais, le grand monsieur de la bossa nova, se frottent au public lors de festivals. « Au Jogral, c’était un melting-pot pas croyable », se souvient Joao. « On jouait de la musique du monde entier, il n’y avait pas de barrières musicales. On ne respectait aucune règle ! Il y a eu l’explosion de la musique bahianaise, avec Tom Zé, Joao Gilberto, Caetano Veloso et sa sœur Maria Bêthania, puis la naissance du mouvement tropicaliste. La nouvelle vague du cinéma, de la littérature et de la musique, née à Sao Paulo. » Et Skowa d’ajouter : « Contrairement à Rio, nous on n’a pas de plage à Sao Paulo, il faut bien s’amuser avec ce qu’on a ! Alors on a fait de la musique ! »
69, année acoustique
Deuxième ou troisième (ou quatrième ?) chope de bière. Le samba-rock, c’est quoi ? « Une modernisation de la samba. Un mélange de blues, de rythm n’ blues, de rockabilly façon Little Richards et un peu de James Brown. » Les influences sont américaines mais la musique résolument brésilienne. Et elle plaît. Le groupe sort son premier album solo en 1969. Suivront deux autres opus avant que le Trio ne mette sa carrière entre parenthèses, balayé par la mode du disco qui détrône la musique live et acoustique. « Ce qui marchait, c’était la musique commerciale, les gens préféraient aller en boîtes de nuit plutôt qu’aux concerts. La culture américaine était plus valorisée que la culture brésilienne », raconte Joao, qui va rejoindre l’entreprise familiale tandis que Nereu et Fritz continuent la musique.
Aujourd’hui, le Trio se souvient des années 60 et 70 comme d’une période « philosophique » où les relations hommes-femmes étaient en plein chambardement et où « on pensait que le monde serait meilleur ». « Il n’y avait pas de Blancs, pas de Noirs, pas de différences de couleur. » Mais pas question d’être des papis nostalgiques. « La mondialisation a du bon », affirme Joao « Elle favorise l’échange. » C’est d’ailleurs elle qui a permis la renaissance du groupe, à la fin des années 90. Les DJ et rappeurs occidentaux ont en effet dépoussiéré les vinyls du Trio. « On a été redécouverts par des groupes qu’on ne connaissait absolument pas comme Fat Boy Slim ou les Beastie Boys ! Et on a fait un peu comme les Blues Brothers ! » L’album Samba rock sort en 2000 et fait un carton en Europe. De Paris à Londres, on fredonne « Tudo Bem », tube exubérant et multivitaminé. « Notre parti-pris, c’est de divertir, de faire danser, d’échanger de l’énergie avec notre public, de rire, de s’amuser. Notre musique est festive, elle passe les frontières. Notre objectif est de faire de la musique de qualité mais qui amuse », explique Skowa.
Les enfants séniles
Avec eux, qui cherche groove. Et leur dernier album, Beleza ! Beleza ! Beleza !!, sorti le 1er mars dernier, ne fait pas mentir leur adage. On y retrouve l’essence du Trio. « Cet album a de bonnes vibrations, on y mixe notre maturité de gens déjà avancés dans la vie et la naïveté des enfants. Nereu, c’est un enfant de 70 ans !! On est tous les trois des enfants séniles ! » plaisante Skowa. « Nos paroles parlent d’amour, de fête et de joie de vivre, pas de politique. Les gens les comprennent facilement et les reprennent en chœur… Beleza ! Beleza ! Beleza !! » rigole Nereu.
Joao précise d’ailleurs que « dans le groupe, tout le monde s’amuse, des ingénieurs du son au manager ». Dernière tournée de bière pour évoquer le reste du groupe car « on est un trio à sept ! » Une sagrada familia. Famille sacrée ou plutôt sacrée famille avec, en plus d’un clavier et d’une basse, les enfants embringués dans l’aventure des paternels. Janja Gomes, le fils de Joao, joue de la guitare acoustique et Vitor Sao José, le rejeton de Nereu, s’occupe des percussions. « Nos fils ont accompagné notre histoire et le fait qu’ils intègrent le Trio s’est fait très naturellement », note Joao. « Jouer avec eux, c’est aussi une façon de transmettre une identité, une authenticité. Nous sommes un groupe humain et vrai, pas un coup marketing et commercial. » Ce qui explique peut-être qu’ils soient plus connus en Europe que dans leur pays-continent et que leurs ventes ne décollent pas vraiment, contrairement à leur succès (Samba rock s’est vendu à 40 000 exemplaires seulement). Vendre ou ne pas vendre de disques, telle est la question. La réponse est facile à imaginer. Les grands enfants du Trio ne sont pas prêts à brader leur âme.
Le Trio Mocoto est en concert en région parisienne, dans le cadre du Festival Chorus des Hauts de Seine : le 1er avril à 20h30 à Gennevilliers (salle des fêtes) et le 2 avril à Puteaux (théâtre des Hauts de Seine).