Le transport aérien africain continue de souffrir des mêmes handicaps : déficits, manque de consolidation, insuffisance de liaisons Est-Ouest, accaparement du marché par les grandes compagnies. L’Association des compagnies aériennes africaines (Afraa) tente de fournir un cadre de réflexion, devant les défis qui s’alignent.
De notre partenaire Marchés Tropicaux
Le secteur aérien reste largement sous-développé en Afrique, et en devient préoccupant. Représentant à peine 2% du trafic mondial, la plupart des compagnies africaines sont de petite taille, contrôlées par les gouvernements, lourdement endettées et peu rentables. L’Etat intervient dans la nomination des dirigeants (ces derniers jouant au jeu des chaises musicales), dans la gestion même de ces compagnies, sans toujours de logique économique. La plupart des aéroports sont aujourd’hui sous-équipés. Voilà le constat relevé une fois de plus par l’Association des compagnies aériennes africaines (Afraa) lors de sa 36ème assemblée générale de décembre dernier à Dakar. « Face à la globalisation et la pénétration du marché africain par les grandes compagnies internationales (…), le risque est de voir mourir les compagnies africaines les unes après les autres », affirme son secrétaire général, Christian Folly-Kossi.
Près de 70% du trafic aérien africain est, en effet, assuré aujourd’hui par les grandes compagnies occidentales : Air France et KLM, British Airways, SN Brussels, Swiss, Iberia, Lufthansa. Le plus simple pour se rendre d’un pays africain à un autre est -plus que jamais- de passer par l’Europe, notamment par Paris avec Air France. Le manque de liaisons Est-Ouest en Afrique et les coûts prohibitifs des vols actuellement sont parmi les répercussions les plus dures de ces déficits sur les utilisateurs.
Le danger de l’espace unique européen
Aujourd’hui une douzaine de compagnies africaines seulement se porte bien mais celles-ci doivent aussi affronter les mêmes menaces. La première est celle de la création d’un marché unique européen. La commission de l’Union européenne a entrepris d’approcher les Etats africains individuellement pour réviser les accords bilatéraux signés avec les pays européens, de façon à insérer la notion de cet espace unique européen. « Si nous l’acceptons, cette transformation autoriserait toutes les compagnies européennes à desservir nos Etats à partir de tous les aéroports de l’Union européenne. La pression concurrentielle sur les modestes compagnies africaines s’en trouverait dramatiquement accrue », alerte M. Folly-Kossi. Il y a également la consolidation transfrontalière, et la menace des alliances. Les principaux grands groupes d’alliance (Star Alliance, SkyTeam, Oneworld) transportent plus de 60% du trafic mondial.
Le développement du secteur aérien est pourtant une priorité pour la relance économique de l’Afrique, de son tourisme, de l’intégration régionale. « Aucun homme d`affaires sérieux ne va investir dans certains pays africains où le déplacement en avion pose problème », souligne M. Folly-Kossi. Parmi les réponses : la consolidation et la création de compagnies panafricaines, martèle-t-il. Le besoin d’une nouvelle Air Afrique est en effet toujours réel, mais attention, avec cette fois des capitaux privés. Les Etats qui n’ont pas de compagnies devraient, selon lui, conclure des partenariats africains ou donner leurs droits à d’autres compagnies africaines à succès, pour effectuer des vols long-courrier à partir de leur pays. Ces partenariats peuvent prendre la forme du partage de code, d’accords d’achat, de joint-ventures, partenariats stratégiques où de grosses compagnies achètent des actions dans des compagnies africaines.
Stratégie de coopération
Des compagnies à succès, telles que Kenya Airways ont acheté des parts dans de plus petites compagnies à fort potentiel (Precision Air en l’occurence). Depuis son partenariat avec KLM, la compagnie kenyane a d’ailleurs connu une croissance sans précédents. South African Airways a pris également 49% de parts dans Air Tanzania, qui se porte mieux depuis. Ethiopian Airlines, créée en 1946 avec l’appui de l’américaine TWA, a choisi en revanche de prospérer seule, avec l’appui d’un gigantesque aéroport, l’un des seuls hubs de l’Afrique, un trafic boosté par la présence d’organisations internationales, et surtout la fermeture de son ciel, qui oblige les compagnies étrangères à négocier les droits de trafic selon la règle du bilatéralisme et de la réciprocité.
Mais la pression exercée par les Etats-Unis et l’Europe pour la libéralisation du ciel africain devrait, à terme, l’obliger à revoir quelque peu sa stratégie. Les avantages de la coopération entre compagnies sont multiples : achats groupés de kérosène et de pièces détachées, meilleur remplissage des avions, économies d’échelle sur la maintenance, la réparation, la R&D, l’accès au financement. Les compagnies en retirent plus de crédibilité auprès de leurs clients et des banquiers.
La RAM choisie comme partenaire stratégique d’un Air Cemac
Autre exemple positif : Royal Air Maroc (RAM), avec ses 21,5 % de croissance en 2003. Sa filiale Air Sénégal International a connu une croissance de son chiffre d’affaires impressionnante : + 108%. La RAM a par ailleurs lancé en juillet 2004 Atlas-Blue, une compagnie de transport low cost, filiale à 100% qui doit desservir à terme la Belgique, l’Italie, les Pays-Bas, l’Angleterre et l’Allemagne. Quelque 70% de son activité est réalisée par l’affrètement de charters pour les tour-opérateurs français Fram et Étapes nouvelles.
Le reste consiste en des vols réguliers low-cost entre le Maroc et plusieurs grandes villes européennes. Mais le modèle low-cost, compte tenu des déficits en matière de nouvelles technologies en Afrique et des problèmes de rentabilité, n’est pas véritablement adapté au continent, d’autant qu’Atlas Blue est un modèle mixte, qui repose sur sa maison mère, utilise ses avions (6 au total) et profite d’un créneau spécifique de touristes. Retenue comme partenaire stratégique pour le lancement d’une compagnie aérienne Air Cemac, prévue pour le premier trimestre 2005, la RAM a été récemment sollicitée pour dupliquer en Afrique centrale son succès avec Air Sénégal international. Deux exigences cependant de la part de la RAM (et pas des moindres) : que les Etats ne se mêlent pas de la gestion de la future compagnie et que les transporteurs nationaux actuels soient dissous. Air Gabon et la Camair, malgré leur faible viabilité ne cèderont toutefois pas de si tôt leurs droits de trafic.
L’Afraa prône aujourd’hui la création d’un marché aérien unique en Afrique : la libéralisation du ciel africain pour les compagnies africaines est une nécessité absolue si l’on veut augmenter le nombre de vols et baisser les tarifs, estime M. Folly-Kossi, qui a servi pendant 21 ans à divers
niveaux de responsabilité de la défunte Air Afrique. Les compagnies aériennes ont besoin d’un grand marché pour être compétitives, et assurer une rentabilité. Air Afrique offrait cette solution, en contribuant indubitablement au désenclavement et au développement économique des Etats membres.
Nathalie Gillet, envoyée spéciale à Dakar pour Marchés Tropicaux