L’association DiversCité dénonce la présence, dans de nombreux ports ayant pratiqué la traite négrière, de rues célébrant la mémoire d’armateurs esclavagistes. La mairie de Nantes affiche une politique mémorielle volontaire, qui n’est pas sans inspirer celle de La Rochelle. Les deux municipalités socialistes installeront bientôt des plaques explicatives pour aider à une meilleure connaissance de l’histoire de l’esclavage. La mairie UMP du Havre préfère ne pas répondre aux critiques; et le maire UMP de Bordeaux, Alain Juppé, tente de concilier le virage mémoriel, entamé il y a dix ans, avec la résistance des notables de la ville.
Les anciens ports négriers de la côte atlantique française font-ils, par le nom de certaines de leurs rues, l’apologie d’un crime contre l’humanité ? C’est l’avis de Raoul Dosso, de l’association DiversCité. En 2001, la loi Taubira a reconnu le caractère de « crime contre l’humanité » que revêt l’esclavage. « La loi est en avance en France, comparé à la Grande-Bretagne, explique Raoul Dosso, mais l’Hexagone ne peut se vanter d’avoir obtenu autant de réalisations au plan concret ». D’où une campagne de pétition à partir du 23 août dernier, lors de la journée internationale du souvenir de l’esclavage, pour « lancer un véritable débat et réveiller les mémoires ». Une initiative que l’écrivain martiniquais Patrick Chamoiseau a choisi de soutenir en devenant une président d’honneur de l’association.
L’objectif immédiat est de faire prendre conscience du poids de l’esclavage, omniprésent dans les ports de Bordeaux, Nantes, Le Havre et La Rochelle. On y compte selon les chiffres de l’association respectivement 24, 11, 6 et 6 rues à la gloire de la traite négrière et des armateurs qui l’ont pratiquée avec grand profit. Mais il s’agit, plus avant, de s’inscrire dans un travail sur le futur mémorial de l’esclavage, prévu à Nantes pour 2011. « Un lieu qui sera vivant », s’empresse de préciser Raoul Dosso, où par exemple des chercheurs pourront travailler et se faire financer.
Bordeaux, une bouteille à la mer
Les réactions à la campagne de pétition ont été plutôt mitigées dans les mairies concernées. A Bordeaux, le maire Alain Juppé (UMP) ne mâche pas ses mots : « Tout cela est absurde. …] Quand s’arrêtera la repentance ? », déclare-t-il au journal [Sud-Ouest. A La Rochelle, Maxime Bono (PS) n’aime pas l’idée de « remuer le passé ». Mais il se déclare prêt à apposer des plaques explicatives sous les noms de rue, à l’image de Jean-Marc Ayrault (PS) à Nantes. Quant au maire du Havre, Antoine Rufenacht (UMP), il préfère se faire discret et ne s’est pas exprimé pour l’instant.
« On constate que les réactions dépendent du bord politique, note le président de l’association Diallo Karfa, les maires de gauche sont beaucoup plus ouverts à nous écouter que ceux de droite ». Il salue d’ailleurs l’attitude de Jean-Marc Ayrault, qui défend depuis 1998 la création d’un mémorial à Nantes, dans le cadre duquel un parcours explicatif est prévu dans les rues qui gardent la mémoire de l’ancien premier port esclavagiste de France. « A droite, au moins à Bordeaux, la bourgeoisie descendante de l’époque de la traite pèse encore », explique Diallo Karfa. Et Raoul Dosso d’ajouter : « Il y a dix ans, à Bordeaux, personne ne parlait de l’esclavage ! ». Alain Juppé revendiquait justement en mai dernier dans La Croix être à l’origine il y a une décennie d’une politique bordelaise de « juste mémoire […], sans anachronisme culpabilisateur ». Il inaugurait alors une exposition permanente sur l’esclavage au musée d’Aquitaine.
Le sujet reste très sensible. En 1998, une statue inaugurée à Nantes, représentant un esclave libéré, avait été vandalisée quelques jours plus tard.