Le groupe Africando sera sur scène fin juillet au Festival Tempo Latino dans le Gers. Retour sur un légendaire collectif de musique afro-latine créé par le charismatique Ibrahima Sylla.
Un ami rare sera au rendez-vous le 27 juillet prochain dans les arènes de Vic-Fezensac (Gers), au Festival Tempo Latino https://tempo-latino.com/accueil pour un concert très attendu : le groupe Africando est de retour sur scène après plus de cinq ans d’absence.
Il n’avait toutefois pas boudé ses fans dans l’intervalle, leur adressant une carte postale amicale avec l’album Viva Africando! sorti fin 2013.
Il en va ainsi avec les amis qui viennent de loin : ils vous redeviennent familiers à la seconde même. Qu’un chanteur d’Africando entonne ses premières notes sur une musique latino, poussant la chanson en wolof, en bambara, en fon, en lingala, en mandingue, ou en toute autre langue africaine, et vous y voilà. Vous vous transportez vers le maquis le plus branché de Bamako ou de Dakar par une belle nuit à la fraîche.
Mais vous pouvez tout aussi bien vous sentir téléscopés vers un cabaret de La Havane ou une boîte salsa de Nueva York…
C’est qu’Africando, collectif à géométrie variable de salsa afro-latine créé en 1993 par deux compères africains, a le don d’emmener son auditoire dans un voyage à travers le temps et l’identité métissée des musiques afro-cubaines, en trouvant la formule qui rassemble et unit.
C’est d’ailleurs ainsi que le groupe a créé son nom, avec le suffixe « ando » qui signifie « ensemble » en wolof tout en s’inspirant du mot espagnol « andando », en marchant.
Marchons ensemble, voilà le mot d’ordre qui demeure chez Africando après huit albums et les coups durs des amis disparus.
On marche donc ou plutôt on danse sous l’aiguillon de ces sonorités croisées, tantôt africaines tantôt latines quand elles ne sont pas jazzy dans un pur style new-yorkais de salsa, pour faire jaillir de notre imaginaire ces divinités orishas nées à Cuba de la tradition yoruba des esclaves du Nigéria et du Bénin qui ont nourri ces chants mélodiques. On vibre sous les percussions des tambours tandis qu’une voix s’épanche sur un mambo lui-même pétri d’origines européennes et africaines…Des musiciens “latinos“ de New York ou Miami explosent dans leurs cuivres, poussant le génie créatif des diasporas du monde entier à se rassembler.
Un voyage musical teinté de politique
« Africando, c’est l’Atlantique noire, le retour des musiques cubaines à la terre-mère de l’Afrique, avec un enrichissement réciproque de la création des deux côtés de l’océan » résume Binetou Sylla, la fille du producteur sénégalais Ibrahima Sylla qui a fondé le label indépendant Syllart Records de musiques africaines et dont Africando est l’une des réussites les plus marquantes. Décédé à Paris en décembre 2013, Ibrahima Sylla a légué à sa remarquable fille Binetou la lourde tâche de poursuivre l’oeuvre de défrichage de talents et de gestion d’un considérable catalogue musical.
Historienne de formation, Binetou aime à rappeler que le collectif Africando est « un projet panafricain de faire revivre les musiques qui ont marqué le continent dans les années 50 et 60, après les indépendances. « A l’époque, les meilleurs groupes africains se sont formés dans le contexte politique d’une Afrique libre, inspirée par le mouvement des non-alignés et de la révolution socialiste de Che Guevara et de Fidel Castro. C’était un rêve tiers-mondiste et internationaliste », explique-t-elle. « Quant à Africando, il fallait être un peu fou pour faire chanter sur des musiques cubaines des Africains ne parlant pas l’espagnol, mais le succès a été immédiat, tant en Afrique qu’ailleurs ».
Dans les années 60, au Mali, le président socialiste Modibo Keïta, panafricaniste et partisan d’une coopération Sud-Sud, est fan de musique cubaine. Il envoie dix jeunes étudiants issus de tout le pays étudier la musique à Cuba. Boncana Maïga est de ceux-là. Au Mali, il avait créé le Negro Band de Gao, un succès. L’arrivée des ces Noirs d’Afrique à Cuba est un peu rude, se souvient Boncana. « Les Cubains nous regardaient comme des extra-terrestres. Mais ils nous ont tout appris ! Leur musique aussi bien que la coupe de la canne à sucre. Quand j’ai vu là-bas l’Orquesta Aragón [célèbre formation cubaine], ça m’a donné envie de me mettre à la flûte et au violon, des instruments que je n’avais jamais pratiqués ». A Cuba, Boncana crée l’orchestre Las Maravillas de Mali qui fera carrière sur l’île et dans son pays.
Boncana Maïga reste à Cuba près de dix ans, avant d’être, comme ses camarades maliens, brutalement rappelé à Bamako à la suite du coup d’Etat militaire de 1968.
Mais cet enseignement afro-cubain porte en germe la naissance d’Africando en 1993.
Le jeune producteur sénégalais Ibrahima Sylla, personnage charismatique de la musique africaine et passionné de musique cubaine, crée avec Boncana Maïga le collectif Africando « avec l’idée de valoriser le patrimoine afro-cubain des années 60 et 70 et des chanteurs compositeurs de talent comme Pape Seck, Medoune Diallo et Nicolas Menheim », explique Boncana, qui sera à Vic-Fezensac le 27 juillet et qui, à Bamako, anime aujourd’hui sur TV5 Monde l’émission musicale Stars Parade
Hit mondial
Le succès du premier album, Trovador (1993), enregistré à New York, est immédiat dans les capitales africaines tout comme en France métropolitaine, aux Antilles, aux Etats-Unis. Très sollicité, le groupe envisage une tournée internationale. Il est pour cela rejoint, en tant que chef d’orchestre, par un percusionniste français de renom, Miguel Gomez, fils de musiciens « né à Paris, dans la capitale la plus cosmopolite qui soit, et dans la musique », explique-t-il. Miguel a fait ses classes aux côtés des artistes africains de la capitale, à la Chapelle des Lombards, sur le parvis de Beaubourg, dans le métro, n’importe où, « à l’école de la rue ». Il aligne un impressionnant palmarès de contributions à des albums ou à la scène d’artistes mondiaux, de Césaria Evoria à Kassav. Depuis qu’Ibrahima Sylla l’a convié à rejoindre le groupe, en 1996, Miguel Gomez assure tous les « live » d’Africando [voir encadré ].
Les albums qui suivent confirment le succès de la formule Africando. Le mariage des styles musicaux cubains avec les harmonies et les langues africaines, sous la direction artistique du maestro Boncana Maïga, fait un carton à tel point que « la chanson « Yay Boy » de Pape Seck (1994) tiendra huit mois au hit-parade des Etats-Unis », se souvient Boncana. Certaines chansons font figure d’incontournables, comme Betece créée par Medoune Diallo (Sénégal) sous forme d’adapation sur un rythme salsa d’un morceau de 1969 chanté par le groupe dakarois Orquestra Baobab.
Chaque livraison invite au micro de nouveaux interprètes compositeurs aux côtés des anciens, jouant sur les sons originels et les langues de chaque pays, et construisant ainsi paradoxalement, morceau après morceau, l’étonnante unité musicale d’un groupe où « l’Afrique rencontre l’Amérique latine ».
Quand Ibrahima Sylla s’éteint à Paris en décembre 2013, le huitième album d’Africando, Viva Africando, vient de sortir. Pour la première fois, il a été enregistré à Paris. « Cet album fait figure de testament musical, commente Binetou. « Il était très important pour mon père de le produire et c’est lui qui en a trouvé le titre ». Pour indiquer le chemin du futur et que vive encore et encore Africando.
Encadré
Miguel Gomez aux commandes du live du 27 juillet
« La scène avec Africando, c’est unique. On donne ses tripes, il se crée une dynamique exceptionnelle du rythme « . Le percussionniste et chef d’orchestre Miguel Gomez, également l’un des arrangeurs du groupe, attend de pied ferme « ses » chanteurs et musiciens pour trois jours de répétition, le 23 juillet prochain à Paris. Pas facile de faire autrement, les soneros (chanteurs jouant l’improvisation sur scène, une tradition dans la musique afro-cubaine) et musiciens viennent des quatre coins d’Afrique ou des Etats-Unis. Il y aura là Jospinto (Bénin), Bass Sarr (Sénégal), Amadou Balaké (Burkina Faso), Medoune Diallo (Sénégal). « Je ne suis pas inquiet, au contraire! On se connaît, on connaît le répertoire, c’est rodé. Les chanteurs amènent leurs compositions ou adaptations d’un morceau à leur langue et à leurs sons, et les arrangeurs en écrivent la partition. Nous allons jouer deux morceaux du dernier album, Viva Africando !, et bien sûr les tubes comme Yay Boy, Betece…
J’établis le répertoire pour le concert en fonction des quatre chanteurs, trois titres pour chacun. Mon boulot en tant que chef d’orchestre consiste à apporter une structure vivante, avec les improvisations et les choeurs. C’est fondamental. Dans ces musiques afro-caribéennes, deux éléments sont essentiels : le rythme donné par les congas (tambours) qui sont des piliers pour les chanteurs, et les “impros“ qui donnent toute la dynamique du concert ». Miguel espère que ce concert lancera une nouvelle tournée pour le groupe. « Le live est important pour faire vivre Africando. La disparition d’Ibrahima nous a frappés mais je suis convaincu que Binetou Sylla saura valoriser cet incroyable patrimoine ».