Le Sénégal est une destination touristique majeure en Afrique de l’Ouest et la ville de Saint-Louis en constitue, depuis quelques années, l’une des plus importantes attractions. Ce succès, la ville le doit à son très dynamique syndicat d’initiative, créé en 1991. Entretien avec son directeur, Ahmadou Cissé.
La région touristique de Saint-Louis du Sénégal compte administrativement trois départements : Saint-Louis, Dagana et Podor, des villes à fort potentiel touristique avec, en tête de pont, l’île historique de Saint-Louis inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco depuis décembre 2000. Saint-Louis abrite le parc du Djoudj, deuxième parc ornithologique du monde classé par l’Unesco depuis 1991, Dagana, la ville de Richard Toll où s’érige, majestueuse, la Folie du Baron Roger et Podor, le fort français de Podor et une teinturerie artisanale exceptionnelle. Ces départements ont tous en commun de riches atouts que le syndicat d’initiative de tourisme de Saint-Louis qui rassemble tous les opérateurs touristiques de la région s’emploie avec, un certain succès à développer.
Afrik.com : Depuis quand existe le syndicat d’initiative et de tourisme de Saint-Louis du Sénégal et quels sont ses objectifs ?
Ahmadou Cissé : Le syndicat existe depuis 1991. Evidemment quand on l’a créé, nombreux se sont demandés : « quel est ce syndicat qui reçoit des touristes ? » Pour la plupart des gens, le syndicat est associé à la revendication. Nous n’avons fait qu’utiliser l’appellation française, et c’était une première au Sénégal, qui renvoie à l’activité des syndicats d’initiative. A savoir : la promotion et le développement du tourisme local. Le Syndicat d’initiative et de tourisme, qui assure également la fonction d’office du tourisme de par ses attributions, est composé d’une trentaine de membres qui sont des opérateurs touristiques et des commerçants de la place.
Afrik.com : Quelles sont les actions que vous avez menées ?
Ahmadou Cissé : Nous avons mené plusieurs actions de promotion et de développement. Sur ce dernier point, nous avons par exemple initié la formation des guides, on a travaillé sur des parcours d’interprétation urbains de la ville de Saint-Louis et des circuits de découverte des sites et monuments. Ce travail de fond sur le produit, qui a mobilisé des géographes, des historiens et nécessité des repérages et des discussions avec les principaux notables pour collecter des informations nécessaires, est très important. D’autant que Saint-Louis et sa région, même si nous avons de belles plages, ont décidé de miser sur le tourisme culturel et de découverte. Et dans ce contexte, le travail de valorisation du patrimoine est impératif. Il existe donc un circuit patrimoine avec, d’une part, une signalétique directionnelle qui permet aux visiteurs d’accéder facilement aux sites et monuments. Et d’autre part, une signalétique indicative qui explique succinctement l’histoire des sites et monuments. De même, le syndicat, conscient du rôle prépondérant de l’évènementiel, participe et aide tous ceux qui ont des projets qui s’inscrivent dans ce cadre. Nous avons ainsi contribué, à côté du festival de Jazz qui existe depuis 15 ans, à la mise en place et à la pérennisation du festival de théâtre. Qui pense à Rio, pense à son carnaval. A travers l’événementiel, on peut promouvoir et développer une destination.
Afrik.com : Quels sont vos projets ?
Ahmadou Cissé : Notre objectif est de sensibiliser, de structurer et d’organiser les activités touristiques afin qu’elles profitent à tous. Aussi, nous pensons qu’il faudrait travailler avec des associations de jeunes, assez dynamiques, pour avoir des relais qui pourront ainsi, par exemple, former des guides, comme nous l’avons fait pour Saint-Louis, au niveau de leurs localités. Ces associations pourraient ainsi accueillir les visiteurs, les orienter et proposer des produits en mesure de générer des revenus. Il est important d’accompagner toutes ces actions par un vrai travail de sensibilisation afin que les touristes soient reçus dans de bonnes conditions et dans les règles de l’art. Tout cela pour éviter aussi que les touristes soient tentés de faire des cadeaux aux populations (par charité, ndlr) ou qu’elles-mêmes en profitent, ce qui serait vraiment dommage. Ce n’est pas ce que nous voulons pour la région. Il est de loin préférable que l’artisan, qui fait de belles peintures, de belles poteries et de belles teintures et que nous appuyons en signalant son emplacement aux visiteurs, puisse vivre de son travail par le biais du tourisme.
Afrik.com : Votre existence semble avoir donné un coup de fouet à la vie de Saint-Louis…
Ahmadou Cissé : Saint-Louis a connu un rayonnement extraordinaire par le passé. Elle a été capitale de l’Afrique occidentale française, capitale du Sénégal et de la Mauritanie avec ce que cela suppose comme infrastructures. L’école, par exemple. Saint-Louis a un patrimoine scolaire extraordinaire. Combien de chefs d’Etat africains ont fait leurs études à Saint-Louis ? Après, nous avons vécu des moments difficiles avec le transfert de la capitale à Dakar, les Saint-Louisiens disent que leur ville a connu une longue période de somnolence et un certain déclin. En 1991, pour revenir à la genèse du syndicat d’initiative, les rares professionnels se sont dit qu’il n’était pas normal, quand on parle de tourisme au Sénégal, qu’il soit limité à la petite côte, à la Casamance et à Dakar. La ville avait un patrimoine qui ne demandait qu’â être valorisé. « Il faut qu’on prenne en charge notre développement touristique d’où le Syndicat d’initiative et de tourisme », ont-il conclu. Ces opérateurs ont ainsi bénéficié d’un appui conséquent de la région Nord Pas-de-Calais en France, de leur maire qui leur a fait confiance et petit à petit, nous sommes arrivés, avec l’aide de l’ambassade de France au Sénégal, à éditer les supports de promotion, à réaliser des actions, à mettre en place un parcours de découverte de la ville et à valoriser les espaces naturels. C’est comme ça que nous sommes partis de 14 000 arrivées en 1991 à quelques plus de 55 000 aujourd’hui. A l’époque, les gens passaient une nuit à Saint-Louis, maintenant ils en passent trois en moyenne. De destination de passage, Saint-Louis est devenue une destination de séjour. Les gens peuvent ainsi y passer une semaine sans s’ennuyer. Nous sommes, après Dakar et la petite côte, la troisième destination touristique au Sénégal.
Afrik.com : Quel est l’impact de ce développement du tourisme sur Saint-Louis ?
Ahmadou Cissé : Le tourisme est un bon prétexte pour développer une localité. Et l’économie saint-louisienne dépend beaucoup de cette industrie. On a 800 emplois directs générés par ce secteur, sans compter les emplois connexes : les taxis et tous ces jeunes entrepreneurs qui, avec leurs petites économies, sont devenus propriétaires des calèches qui permettent aux touristes de faire les parcours de découverte de la ville. Il y a des femmes qui vous disent qu’elles ont réussi à construire leurs maisons en travaillant avec des hôtels et des restaurants à qui elles vendent des poissons et des crevettes. Un boucher qui dit réaliser 70% de son chiffre d’affaires grâce à un seul restaurant. Une enquête a révélé que les touristes dépensaient à Saint-Louis, en petits cadeaux et souvenirs, entre 40 000 et 80 000 CFA (entre 65 et 130 euros). Imaginez le chiffre d’affaire réalisé par les artisans et les artisans d’art qui vivent exclusivement du tourisme. Rien que l’île de Saint-Louis compte 25 galeries d’art qui ont 50 salariés permanents. Et puis, nous sommes en Afrique et au Sénégal où un salaire fait vivre une dizaine de personnes. Après la pêche, le tourisme est la deuxième source de devises pour notre pays.
Afrik.com : Qu’apporte l’introduction, il y a quelques mois, sur le fleuve Senegal du Bou el Mogdad, devenu bateau de croisière, mais qui assurait durant la période coloniale les services de messagerie, de transport de marchandises et de passagers ?
Ahmadou Cissé : Pour moi, le Bou el n’est pas qu’un simple bateau. C’est un bateau chargé d’histoire, ce que j’appelle un marqueur identitaire. L’évocation de Bou el pour ceux qui l’ont une fois emprunté dans leur vie déclenche beaucoup de souvenirs parce qu’à l’époque coloniale il n’y avait pas de routes. La région n’était pas aussi désenclavée qu’elle l’est aujourd’hui. Ainsi l’élève qui avait réussi l’entrée en sixième prenait le Bou el pour aller faire ses études à Saint-Louis, c’est une étape importante dans la vie d’un homme. Comparable à celle du jeune marié qui attend sa promise qui arrive par le Bou el, ou un père impatient de retrouver son fils de retour de France… Pour les personnes de 50, 70 ans, le retour du Bou el était un rêve irréalisable. Ce qui explique que lors de sa première croisière, cela a été une fête partout où il passait.
Afrik.com : Un bateau mythique donc qui s’avère aussi être un moyen de valoriser le fleuve Sénégal…
Ahmadou Cissé : Le fleuve Sénégal est l’épine dorsale de la région. Il relie les hommes entre eux et pas que les Sénégalais. Le monde est tel qu’il est. Aujourd’hui, pour visiter la France ou un autre pays, il faut un visa, un passeport, mais jamais sur le bateau on ne ressent de frontières entre les gens. Et c’est ça l’un des défis du tourisme, celui d’être facteur d’échange, instigateur de convivialité. Il n’y a pas de hasard, le Bou el a incontestablement une vocation que rappelle son nom. Bou el Mogdad était, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, un traducteur et un rédacteur arabe qui faisait le lien entre l’autorité coloniale et les populations autochtones. Par conséquent, le Bou el Mogdad est à l’origine d’une forme de tourisme qui est primordiale, celle qui permet aux touristes et aux habitants des localités visitées d’échanger. Il ne s’agit pas pour le touriste de prendre des photos derrière la vitre de son car ou de faire un petit signe de la main, ce n’est pas sain. On a juste besoin que les hommes se parlent, qu’il y ait un contact humain et cela suppose un engagement au quotidien de tous les instigateurs et des animateurs de ce produit touristique afin qu’il soit toujours à la hauteur de sa vocation. Ce bateau va certainement, en termes d’images, accroître la notoriété de Saint-Louis, mais à condition que son usage soit authentique, parce qu’autrement le Bou el Mogdad perdrait de son âme.
Syndicat d’initiative deSaint-Louis
BP 364 Saint-Louis du Sénégal
Tél/Fax : 221 961 24 55
E-mail : sltourisme@sentoo.sn
Site internet : www.saintlouisdusenegal.com