Tounkara Sy, Sculpteur sur bois : « Il est temps d’ouvrir la saison touristique »


Lecture 5 min.
Tounkara Sy, sculpteur sur bois
Tounkara Sy, sculpteur sur bois

Il n’a fait que quelques mois sur les bancs de l’école, même pas une année en classe, pour être obligé de partir à la recherche de gain. Issu de parents démunis, Tounkara Sy se voyait contraint d’aider financièrement ses parents en devenant sculpteur, métier qu’il fait à ce jour, à l’âge de 57 ans. AFRIK.COM l’a trouvé à la Chambre des métiers de Thiès (70km de Dakar), où il tient son atelier.

A la Chambre des métiers de Thiès (ancien village artisanal), sa case se dresse à l’entrée des bâtiments. A notre arrivée, l’homme se trouvait au seuil de sa case, en train d’enduire de cirage certains objets d’art en bois, notamment des pirogues, une série de dix de différentes tailles. Nous sommes invités à prendre place à l’intérieur. Proposition que nous acceptons, malgré la forte chaleur qu’il faisait à l’intérieur. Le thermomètre affiche 39 degrés, en ce jeudi 9 septembre 2021, dans l’après-midi. Nous entrons et prenons place sur une chaise qui n’avait que la mousse, le tapis le couvrant ayant sans doute disparu sous le coup de l’usure.

« Juste deux secondes que je termine d’enduire ces pirogues que je viens de polir », nous lance-t-il avec un petit sourire qui cache mal son angoisse. Son masque en tissu couvrant à peine sa bouche, l’homme raclait la boîte de cirage dans laquelle il ne restait quasiment plus rien. Situation oblige, les conjonctures extrêmement difficiles dans laquelle il se trouvait ne pouvaient pas lui permettre de perdre une seule portion, aussi infime soit-elle, de cette denrée devenue précieuse. Comme toutes les denrées d’ailleurs. Comprenez que le Coronavirus était passé par là.

« C’est très difficile, en ce moment, on ne voit personne. On peut rester pendant toute une journée sans écouler le moindre produit. Je fais ce métier de sculpteur sur bois depuis ma tendre enfance, j’avoue que c’est la toute première fois que je vis une pareille situation. Il m’arrive d’avoir honte de rentrer à la maison, n’ayant même pas de quoi assurer la dépense pour nourrir ma famille », confie ce père que quatre enfants. La sculpture, Tounkary Sy n’a pas connu que ce métier. Il a en effet passé son service militaire et a fait deux ans dans les rangs de l’armée sénégalaise.

« J’ai regagné l’armée en 1987 et j’en suis sorti en 1989. C’est la seule interruption qu’il y a eu dans ma vie que j’ai passée dans la sculpture sur bois. Lorsque j’ai quitté l’armée, j’ai aussitôt regagné le village artisanal pour replonger dans mon métier. Je sculpte des chevaux, des zèbres, des lions, des girafes, des tortues, quasiment tous les animaux. Je fais aussi des pirogues, comme vous l’avez remarqué, à votre arrivée sur les lieux. Seulement, depuis que le Coronavirus a frappé au Sénégal, c’est la galère totale », se plaint l’homme, debout sur environ 1,72m.

Tounkara Sy« Pour vous donner une idée de la situation qu’on traverse, il nous arrive de rester une semaine sans vendre le moindre objet d’art. On ne voit plus personne. Pas le moindre touriste, encore moins les citoyens sénégalais parmi lesquels beaucoup n’ont pas la culture de se payer des objets d’art. Nous ne vendons rien, alors que nous avons une famille à entretenir. C’est extrêmement compliqué », se plaint-il avant de préciser : « avant l’arrivée du Coronavirus, les choses n’étaient pas roses certes, mais de temps en temps, on voyait des touristes visiter nos stands et se payer des souvenirs ou des cadeaux à emporter ».

L’homme s’absente quelques secondes et répète : « c’est extrêmement difficile ». Il poursuit : « surtout qu’on continue de produire tout en gardant l’espoir que la situation va bientôt changer. S’il s’agit d’animaux à confectionner, il me faut en moyenne une journée pour en fabriquer un que je vendrai entre 10 000 FCFA et 15 000 FCFA. A la belle époque, on pouvait facilement se faire 100 000 FCFA de recettes en une journée. Actuellement, comme je vous l’ai dit tantôt, c’est la croix et la bannière. La plus forte somme que j’ai reçue globalement depuis l’avènement du Covid, ce sont les allocations versées par l’Etat pour nous soutenir ».

Pour réaliser ces objets d’art, Tounkara Sy est obligé de se payer la matière première : le bois. « Je l’achète par cent ou deux cents kilogrammes, au marché Moussaneté. Les 100 kg reviennent à 8 000 FCFA. Il faut ensuite payer le transport jusqu’ici, à environ 2 500 FCFA. Là commence le travail proprement dit. Je découpe d’abord les troncs d’arbre acheté à l’aide d’une scie à bois. Ensuite vient la phase sculpture avant de penser à la finition avec du papier sable. Passée cette étape, je mets du cirage pour rendre l’objet magnifique », détaille-t-il.

S’il se glorifie, en lançant souvent : « c’est un métier que je connais bien », le quinquagénaire se dit à bout de souffle et même d’espoir. Le regard tourné vers le mur de sa case où de jolis tableaux d’art sont accrochés, il pousse avec un soupir de désespoir : « Je pense que l’heure est venue de lancer l’ouverture de la saison touristique. Oui, il est temps de l’ouvrir, afin que nous poussions nous refaire une santé financière et entretenir nos familles qui sont aussi fatiguées que nous. L’heure est venue d’apprendre à vivre avec le virus. Autrement, nous courons tous vers une catastrophe financière ».

Avatar photo
Journaliste pluridisciplinaire, je suis passionné de l’information en lien avec l’Afrique. D’où mon attachement à Afrik.com, premier site panafricain d’information en ligne
Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News