Toufik, celui qui vendait ses origines sur e-bay


Lecture 6 min.
arton16539

Un jeune diplômé Français, d’origine algérienne, est en croisade contre les discriminations à l’embauche sur le Net. Toufik Bellahcene a tenté de se « débarrasser » des ses encombrantes origines ethniques pour s’ouvrir les portes du marché du travail. En plein débat sur les statistiques ethniques comme moyen de lutte contre les discriminations, il rappelle l’urgence d’agir.

Décidément, tout se vend sur e-bay ! Même ses « origines ethniques ».
« Jeune Diplômé école de commerce (master), au chômage depuis plus d’un an, cède ses origines ethniques dans le but d’optimiser sa recherche d’emploi ! [[Incroyable à saisir et à faire circuler:
Jeune Diplômé école de commerce (master), au chômage depuis plus d’un an, cède ses origines ethniques dans le but d’optimiser sa recherche d’emploi !
Mise en vente un euro !
C’est avec beaucoup de peine que je dois me résigner à m’en séparer -j’y suis terriblement attaché- mais elles sont devenues un fardeau tel que je n’ai plus d’autres choix !
Attention ! A savoir :
Avec ces origines vous avez 3 fois moins de chance* qu’un français dit « de souche » de trouver un emploi. Des proportions qui s’aggravent si vous postulez (comme moi) à un poste de cadre et si (toujours comme moi) vous cherchez un emploi dans l’Est de la France ! En cumulant l’ensemble de ces handicaps vous pouvez avoir jusqu’à 7 fois moins de chance de retenir l’attention des recruteurs
*(Source: baromètre de l’emploi Adia pour plus d’infos :

Sérieux s’abstenir
Pour toute information: jd.discrimine@hotmail.fr!!! …]] », pouvait-on lire, pour la première fois le 27 mars dernier, sur le site de ventes aux enchères. L’offre, qui a été depuis retirée du site, est celle d’un jeune français de 27 ans, d’origine algérienne, Toufik Bellahcene.
Objectif de cette opération virtuelle : dénoncer les discriminations sur le marché de l’emploi. « Le but de ma démarche n’est pas seulement d’attirer l’attention sur ma situation particulière. J’avais publié, il y a environ 6 mois, une annonce sur e-bay pour trouver un emploi (Il se «bradait» comme Yannick Miel en février dernier. Le jeune diplômé au chômage s’est ainsi fait embaucher par Martin Hirsh, Haut-commissaire à la Jeunesse, ndlr). Mais cette démarche est tout autre. Je trouve qu’on ne parle pas assez de la discrimination. »

Pendant un an, Toufik Bellahcene a envoyé plus de 800 candidatures pour ne décrocher que cinq entretiens. « Je pense que deux de ces entretiens n’ont pas été concluants, mais j’avais toutes mes chances sur les trois autres ». De plus, il partage sa vie avec une chargée de recrutement. Ce qui fait de lui un jeune diplôme paré à surmonter les difficultés liées à ce processus. « Quand j’ai intégré l’ESC Nancy en 2004, elle était classée parmi les 10 meilleures écoles de commerce de France. Selon les statistiques publiées par mon école, 95,8% des étudiants diplômés ont trouvé leur premier emploi au bout de 4 mois. Le temps moyen de recherche d’emploi est de 2 semaines ! ». Un article publié sur Afrik.com en 2006 finit par lui ôter ses derniers doutes. Le texte fait écho à une enquête réalisée par l’entreprise d’intérim Adia à laquelle il fait référence dans son annonce : « les candidats à un emploi d’origine maghrébine ont trois fois moins de chances d’être convoqués à un entretien d’embauche que les « Français de souche »». Toufik Bellahcene dit cumuler « plusieurs « tares »». «J’ai un nom à consonance étrangère, j’ai un bac +5 et je recherche un poste de cadre ou assimilé dans le secteur du marketing et de la communication dans l’Est de la France ». Il estime que les entreprises ne souhaitent pas prendre le risque de l’embaucher pour occuper des fonctions aussi visibles. Pourquoi ? « La discrimination est liée à la persistance de stéréotypes coloniaux qui n’ont jamais été déconstruits. Il y a aussi d’autres éléments, comme l’islamophobie, née des attentats du 11-Septembre aux Etats-Unis et de ceux qu’a connus la France en 1995.»

Se renier pour exister sur le marché du travail

Pour le jeune Français, l’ascenseur social est aussi en panne. « Je suis issu du milieu ouvrier. Dans le quartier où j’ai grandi (une cité de la banlieue de Strasbourg, ndlr), nous sommes trois à avoir poursuivi des études : mon frère, ma sœur et moi ». « Eux, ajoute, le jeune homme, sont instituteurs et n’ont pas été confrontés aux difficultés que je rencontre dans le monde de l’entreprise.» Toufik Bellahcene juge la situation d’autant plus inadmissible qu’il s’est battu pour poursuivre des études supérieures. « J’ai un parcours atypique. En seconde, on m’a réorienté vers un BEP/CAP Vente Action Marchande. J’ai ensuite fait une première d’adaptation pour rattraper le cursus normal ». Toufik obtient son bac et décide de faire une classe préparatoire pour intégrer une école de commerce. « Je me suis investi financièrement et intellectuellement pour réussir mes études ». Comment voit-il l’avenir ? Le jeune homme ne déborde pas d’optimisme. Mais il a une certitude : la lutte contre les discriminations soit être plus offensive.
« J’ai entendu à la radio qu’un entreprise britannique, inculpée pour discrimination, avait condamnée à verser 24 millions d’euros d’amendes. En France, Adecco et Garnier n’ont eu à verser que 30 000 euros. On devrait faire payer des amendes plus importantes en France, être plus offensif pour dissuader les entreprises de recourir à des pratiques discriminatoires. Créer des brigades anti-discrimination, comme l’a suggéré Azouz Begag, ancien ministre chargé de l’Egalité des chances.»

Le dispositif que propose Toufik Bellahcene fait très peu cas des statistiques ethniques qui sont envisagées aujourd’hui comme un moyen de lutter contre les discriminations. Il se dit « sceptique ». « Le baromètre Adia est très objectif, poursuit-il. Il fait un état des lieux de la diversité dans l’entreprise. Ce qui démontre qu’il n’est pas toujours nécessaire de compter pour mettre en lumière les discriminations ».
La démarche symbolique du Franco-Algérien pose une question : faut-il se renier pour accéder au marché du travail ? « Tout ce que je sais, répond Toufik Bellahcene, c’est qu’il ne fait pas bon d’être d’origine étrangère ». La messe est dite.

 Lire aussi :

Discrimination à l’emploi : « C’est pas encore une Rachida qui appelle ? »

Les « candidats de la diversité » ne veulent pas être enfermés dans leurs origines

Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News