Mis en demeure le 24 juin dernier par les Amis de la Terre France, Survie et quatre ONG ougandaises (AFIEGO, CRED, NAPE/Amis de la Terre Ouganda et NAVODA), le groupe Total dément les accusations et estime que son plan de vigilance et sa mise en œuvre répondent aux obligations édictées par la loi sur le devoir de vigilance adoptée en 2017. Ces associations lui donnent donc rendez-vous au tribunal.
Trois mois jour pour jour après sa mise en demeure par les Amis de la Terre France, Survie et quatre ONG ougandaises au sujet d’un méga-projet pétrolier en Ouganda, le directeur juridique de Total a envoyé in extremis sa réponse à leurs avocats, le 24 septembre. Il aura visiblement fallu au groupe français l’intégralité du délai prévu par la nouvelle loi sur le devoir de vigilance des multinationales pour conclure que tout va bien dans le meilleur des mondes.
En effet, en réponse au dossier complet et étayé transmis par nos associations fin juin, le groupe pétrolier répond en deux pages qu’il se conforme à la loi et n’envisage pas de changer le contenu de son plan de vigilance, ni de réévaluer sa mise en œuvre [1]. Il affirme en outre mettre en œuvre l’étude d’impact du projet Tilenga et les plans de réinstallation prévus, ce que nos organisations ont clairement contesté dans leur mise en demeure fin juin [2].
Depuis trois mois, nos organisations ont pourtant constaté l’absence d’évolution sur le terrain, l’absence de remise en cause des pratiques de la filiale de Total et de ses sous-traitants, et donc l’absence de mise en conformité de la maison mère avec les nouvelles obligations créées par la loi sur le devoir de vigilance. Pire, les pressions se sont accrues sur certaines personnes affectées par le projet (indemnisation toujours pas versée à une partie d’entre elles et pression sur celles qui n’ont pas encore signé les documents liés à leur expropriation) et nos partenaires sur place sont l’objet d’intimidations indirectes [3].
La seule chose qui a changé depuis juin concernant ces deux méga-projets – production pétrolière de 200 000 barils/jour en Ouganda et réalisation du plus grand oléoduc chauffé au monde depuis l’Ouganda jusqu’à un port tanzanien -, c’est la menace de suspendre une partie des activités si les conditions fiscales obtenues auprès des autorités ougandaises ne satisfont pas les objectifs financiers de Total [4]. L’impact sur les droits humains et sur l’environnement n’entre à aucun moment en ligne de compte aux yeux du groupe pétrolier.
Comme l’avait d’ailleurs montré son PDG Patrick Pouyanné lors de son audition à l’Assemblée nationale la semaine dernière [5], Total ne prend pas au sérieux cette loi sur le devoir de vigilance et nie la gravité de la situation en Ouganda. Nos organisations s’apprêtent donc à saisir la justice et appellent à soutenir cette démarche sur totalautribunal.org
1. Dans ce courrier, le Directeur juridique estime que Total répond aux exigences de la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre du 27 mars 2017, en considérant ne pas avoir besoin de publier, dans le plan de vigilance du groupe et son compte-rendu, d’information spécifique sur les deux projets concernés (Tilenga pour l’exploitation d’un gisement pétrolier en grande partie dans l’aire naturelle protégée des Murchison Falls, et EACOP pour un oléoduc géant). Il affirme que l’identification des risques est réalisée et que les mesures de prévention sont présentées. L’entreprise revendique d’ailleurs de ne pas trop détailler son plan de vigilance ainsi que son compte-rendu car ils relèveraient simplement d’un exercice de communication extra-financière. Le devoir de vigilance tel que l’a pensé et décrit le législateur français va pourtant bien plus loin que cela.
2. Voir le dossier de presse de la mise en demeure du 24 juin 2019
3. Le directeur de NAVODA a ainsi été convoqué par la police et d’autres autorités gouvernementales, tandis qu’un contrôle des comptes d’AFIEGO et de NAPE a opportunément été lancé par l’administration ougandaise.
[4] Voir le communiqué de Total du 29 août 2019 :
5. Le PDG de Total a été auditionné le 17 septembre 2019 par la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale (voir les questions du député Dominique Potier à 27’19 » et de la députée Anne-Laurence Petel à 1h50’00 », et les réponses de M. Pouyanné respectivement à 47’00 et 1h51’00) :