
La guerre d’Algérie, qui s’est déroulée de 1954 à 1962, constitue l’un des chapitres les plus douloureux de l’histoire contemporaine franco-algérienne. Longtemps occultées par le silence des archives et des institutions, les exactions commises durant ce conflit font aujourd’hui l’objet d’un réexamen critique qui devrait permettre d’établir une mémoire plus apaisée, fondée sur la reconnaissance des faits historiques dans toute leur complexité. Mais Bruno Retailleau et l’extrême droite française veulent cacher et changer l’histoire.
La torture comme système institutionnalisé
L’une des caractéristiques les plus sombres de ce conflit fut le recours systématique à la torture par l’armée française. Les recherches historiques récentes, appuyées par des documents d’archives déclassifiés, confirment que cette pratique ne relevait pas d’initiatives isolées mais bien d’une doctrine militaire officielle, ordonnée par le haut commandement avec l’aval des autorités politiques.
Une note « très secrète » du général Raoul Salan datée du 11 mars 1957, révélée par le journal Mediapart, ordonnait explicitement aux officiers supérieurs de procéder à des « interrogatoires poussés à fond » sur les suspects. Cette directive, transmise oralement pour éviter toute trace écrite compromettante, recommandait « d’infliger au suspect une douleur assez forte pour vaincre sa résistance à parler« .
Le général Jacques Massu, commandant de la 10e Division parachutiste, a ultérieurement reconnu dans un entretien au journal Le Monde : « Quand je repense à l’Algérie, cela me désole, on aurait pu faire différemment« . Le général Paul Aussaresses a pour sa part avoué avoir personnellement exécuté 24 personnes et dirigé un escadron de la mort, confirmant l’existence d’un système de torture systématique.
L’usage des armes chimiques
Les investigations de l’historien Christophe Lafaye ont mis en lumière un aspect longtemps dissimulé du conflit : l’utilisation systématique d’armes chimiques par l’armée française entre 1957 et 1959. Des archives déclassifiées révèlent que cette stratégie a été élaborée au plus haut niveau de l’État dès 1956, sous l’impulsion du ministre de la Défense Maurice Bourges-Maunoury et du général Charles Ailleret.
Pour contourner le Protocole de Genève de 1925 qui interdisait les armes chimiques, les autorités françaises ont exploité un artifice juridique : la guerre d’Algérie n’était pas officiellement reconnue comme un conflit armé international, mais comme une « opération de maintien de l’ordre » sur un territoire considéré comme partie intégrante de la France.

Des unités d’élite, baptisées « sections armes spéciales« , furent spécialement créées pour mener ces attaques chimiques. Entre 1957 et 1959, 119 unités ont été déployées sur le terrain algérien, utilisant notamment un mélange toxique appelé CN2D, composé de cyanure, d’un dérivé de l’arsenic et d’une terre siliceuse ultrafine qui augmentait la persistance des agents toxiques.
Le massacre de Ghar Ben Chattouh dans les Aurès, le 22 mars 1959, illustre la tragédie de ces opérations : environ 150 personnes, majoritairement des civils réfugiés dans un complexe de grottes, auraient péri sous l’effet des gaz toxiques.
Les essais nucléaires dans le Sahara algérien
Un autre chapitre controversé concerne les essais nucléaires français dans le Sahara algérien. Le 13 février 1960, l’opération « Gerboise bleue » marquait la première explosion atomique française près de Reggane, faisant de la France la quatrième puissance nucléaire mondiale. Entre 1960 et 1966, la France a mené plusieurs séries d’essais nucléaires sur le sol algérien.
Selon Ammar Mansouri, chercheur du Centre nucléaire d’Alger, « contrairement à la thèse officielle française, il y a eu 57 explosions et non 17, car il y a eu quarante essais complémentaires, avec dispersion de plutonium notamment » sur les sites de Reggane et d’In M’guel.
Les conséquences sanitaires et environnementales de ces essais perdurent encore aujourd’hui. Des études médicales ont établi un lien entre ces explosions et diverses pathologies : cancers, troubles cardiovasculaires, problèmes ophtalmologiques, malformations congénitales. L’impact environnemental se manifeste également par la baisse des ressources hydriques et le tarissement des puits dans les régions concernées.
La violence systématique envers les populations civiles
Au-delà des méthodes spécifiques d’interrogatoire et d’armement, la colonisation puis la guerre d’Algérie furent également marquée par des violences massives envers les populations civiles. Des villages entiers furent détruits lors d’opérations de « pacification« , et des centaines de milliers de personnes furent déplacées de force et regroupées dans des camps.
Le journaliste Jean-Michel Apathie a récemment comparé ces actions aux massacres d’Oradour-sur-Glane : « Chaque année en France, on commémore ce qui s’est passé à Oradour-sur-Glane, c’est-à-dire le massacre de tout un village. Nous en avons fait des centaines en Algérie. » Mais sous la pression des médias de d’extrème droite, il a du quitter le groupe RTL, alors même que la véracité de ses propos n’a pas été contestée.
Vers une reconnaissance historique
Soixante ans après les accords d’Évian qui mirent fin à la guerre d’Algérie, le travail des historiens et des journalistes a permis de lever progressivement le voile sur ces exactions. Cette démarche ne vise pas à alimenter les ressentiments, mais à établir une vérité historique indispensable à la réconciliation.
Comme le souligne l’historien Christophe Lafaye : « Les Algériens ne demandent pas de repentance ni de réparations. Ils veulent juste que la France reconnaisse ce qui s’est passé. » Cette reconnaissance constitue une étape essentielle vers une mémoire apaisée entre les deux pays, fondée non sur l’oubli mais sur l’acceptation commune d’une histoire complexe et douloureuse.
La levée du secret défense sur les archives encore classifiées permettrait d’établir un bilan plus précis des victimes et contribuerait à ce processus de vérité historique, indispensable pour tourner la page sans l’effacer. Mais loin de ces considérations, une partie de la France, dont le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, veulent au contraire rester dans le déni et la nostalgie d’une certaine idée de l’Algérie française.