Le 4 mai dernier, des membres du groupe armé Ansar Eddine, islamistes radicaux supposés proches d’Aqmi, ont détruit le mausolée du saint Sidi Mahmoud Ben Amar à Tombouctou. Comme tout le nord du Mali, depuis le coup d’Etat du 22 mars la ville est contrôlée par les putschistes. Ansar Eddine menace de détruire par le feu les autres mausolées de la «Cité des 333 saints», l’un des surnoms de la ville.
Outre qu’il s’agit d’un patrimoine à la fois architectural, religieux et culturel, ces tombeaux objets de piété populaire recèlent un grand nombre de manuscrits islamiques remontant à une période comprise entre le XIVe et le XVIIIe siècle. La ville est d’ailleurs inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1988. Ce qui n’est aujourd’hui qu’une ville du Tiers-Monde de 30.000 habitants a en effet accueilli au XVe siècle jusqu’à 25.000 étudiants venus de divers pays d’islam suivre les enseignements dispensés dans l’université islamique (madrasa) de Sankoré. Avec celles des mosquées Sidi Yahya et Djingueré Ber, la ville en comptait trois. Cité commerçante éminemment prospère, Tombouctou était en effet la capitale culturelle de l’islam ouest-africain. Des nombreux savants que la ville aura attirés ou produits, le plus fameux est sans doute Ahmad Bâbâ al-Massûfî at-Tînbuktî (1556-1627), jurisconsulte (faqîh), philosophe et grammairien auteur de plus de 60 ouvrages.
Aujourd’hui encore, la ville recèle plus de 100.000 manuscrits datant pour les plus anciens du XIIe siècle. Il s’agit de traités rédigés en arabe (ou plus rarement en peul) et couvrant les domaines du savoir les plus variés : fiqh (jurisprudence islamique), histoire, astronomie, médecine, musique, botanique, etc. Dans sa Description de l’Afrique (1530), le diplomate et explorateur chrétien Hassan al-Wazzân dit «Léon l’Africain» témoigne de l’intérêt de Tombouctou, ville de commerce et de science, pour les «livres manuscrits» : «on [en] vend aussi beaucoup qui viennent de Berbérie [du Maghreb]. On tire plus de bénéfices de cette vente que de tout le reste des marchandises.»
200 kg d’or pour une mosquée !
Ces marchandises sont pourtant nombreuses et de grande valeur, les Tombouctiens couvrant les trois grandes zones du commerce caravanier africain : or, plumes d’autruches, ivoire, esclaves du Soudan occidental (Bilâd as-Sudân) ; sel du Sahara (salines de Teghaza) ; chevaux arabes et vêtements européens du Maghreb. Le Florentin Benedetto Dei qui a visité la ville en 1470 note sans surprise qu’on y vendait des vêtements de serge fabriqués dans le nord de l’Italie. La description de Léon l’Africain un demi-siècle plus tard est plus enthousiaste. Le diplomate est fasciné par le «grand nombre de boutiques» qui ornent la ville, par «le temple de pierre et de chaux construit par un éminent architecte grenadin» ainsi que par «le magnifique palais du roi».
L’architecte auquel il est fait référence est Abû Ishâq as-Sâhilî, un Arabe que fit venir de sa lointaine Espagne l’empereur Mûsâ Ier et auquel il offrit 200 kg d’or pour la conception et l’édification de la célèbre mosquée Djingueré Ber. Brillante et prospère des siècles durant, la ville connaîtra pourtant des appartenances diverses. Intégrée tour à tour, et sous la bannière de l’islam, aux différents empires de l’ouest africain (Ghana, Mali, Songhaï), elle deviendra en 1591 sous la dynastie chérifienne des Saadites un pachalik marocain (territoire sous l’autorité du pacha). À partir du XVIIe siècle s’amorce un lent et inexorable déclin qui conduira en 1894 à la prise de la ville par les Français.
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