Le théâtre de Senouvo Agbota Zinsou a été plusieurs fois primé, notamment par le Grand Prix du Concours théâtral interafricain organisé par Radio France Internationale. Il est révélateur que, comme de nombreux dramaturges, cet auteur ait eu des planches une connaissance directe, à la tête de la Troupe nationale togolaise : les trois pièces que les éditions Hatier/Ceda ont regroupé en poche sous le titre général » La tortue qui chante » sont ainsi nourries par une expérience personnelle. Elles nous parlent d’une actualité véritable de la scène togolaise, des attentes de son public et des qualités de ses auteurs.
Comme Molière bien souvent, sous son costume d’homme de théâtre, Senouvo Agbota Zinsou est un moraliste : face à lui, ce ne sont pas les ridicules de l’aristocratie et de la bourgeoisie françaises au siècle de Louis XIV, ce sont les travers des parvenus des capitales africaines, emportés dans leurs rêves de gloriole et leurs prétentions invraisemblables, abusés par l’apparente toute puissance que leur donnent pouvoir et argent. Impitoyable, de manière générale, pour la duplicité des puissants, qui feignent de donner alors qu’ils achètent, Zinsou est d’abord cruel pour la gent masculine, dont il sait mieux que personne révéler les faiblesses et les lâchetés.
» La tortue qui chante « , première des trois pièces éditées, est une histoire de fou. Mais où est le fou, de celui qui croit avoir rapporté de la chasse une tortue qui parle, de celui qui veut faire croire que cette tortue était la sienne, du roi qui a aiguisé leurs appétits de puissance, les lançant dans cette compétition grotesque pour un poste de » Premier conseiller « -d’où seul le vrai fou, finalement, sort vainqueur, car seul il n’a pas trompé et ne s’est pas laissé prendre à l’illusion collective. A lui revient la conclusion : » Tout le monde a sa tortue, Majesté… »
Anthologie de la bêtise masculine
» La femme du blanchisseur « est un fable ironique sur la polygamie d’un » haut-fonctionnaire « , Kossi-Kpon, qui n’hésite pas à profiter de son aisance matérielle, au sein d’un pays pauvre, pour s’assurer à peu de frais une réputation de Don Juan, qu’il a par dessus le marché la goujaterie de vouloir faire saluer par ses deux épouses légitimes.
Derrière le sujet apparemment léger, celui de l’adultère, quasiment maladive chez son héros, Senouvio Agbota Zinsou laisse percer la satire sociale, et la révolte qu’il ressent face à l’absence de moralité et l’hypocrisie de certaines de nos élites africaines : » Notre devoir est de procurer de ces petits bonheurs à ceux qui sans nous n’en connaîtraient jamais « . L’absence de morale privée rejoint alors l’absence de morale publique…Certaines des répliques mériteraient même de rester dans une anthologie de la bêtise masculine : » Bien sûr que je vieillis moi aussi, mais je suis un homme… « Et c’est cette suffisance et cette stupidité qui se verront finalement châtiées, par la connivence des femmes…
Au total, les pièces de Zinsou sont sans apprêt, sans inutile complication, elles glissent comme un fabliau, elles regorgent d’ironie légère. On a envie de les voir jouer avec le même naturel, pour que leur juste sincérité passe bien. Il faut beaucoup d’art pour cultiver aussi bien l’authentique et y révéler autant de drôlerie…
Commander le livre Hatier Ceda 1987.