Si la vocation d’une opposition c’est d’accéder à l’exercice du pouvoir, alors, on peut dire que l’opposition togolaise a encore du chemin à faire. Elle est à la peine : la durée, trop longue, du combat pour la démocratie en est une des causes majeures. Mais pas la plus importante. C’est dans les retournements de veste, le refus de s’unir, l’exacerbation des intérêts personnels, la volonté de détruire l’autre pour paraître le mieux placé pour un fauteuil non encore libéré, qu’il faut chercher le mal. Et, plus le temps passe, plus le leadership de cette opposition périclite, pour échoir, ces dernières années, entre quelques mains courageuses certes mais inexpertes, inaptes à retourner les situation.
Ce ne sont pourtant pas les opportunités qui ont fait défaut. L’opposition en avait connues beaucoup, autant qu’elle les a ratées. Tellement qu’on se demande si elle n’est pas aujourd’hui à court de cartes face au RPT, une « quasi-mafia », politiquement plus constant et stratégiquement plus méthodique. Les Togolais ont cent raisons d’être sceptiques et très critiques à l’égard de leurs représentants qui peinent, s’ils ne se font pas, par des moyens obliques comme l’a fait Gilchrist Olympio, les auxiliaires du pouvoir. L’emballement s’évanouit derrière cette opposition qui ne sait que perdre. Au lieu de procéder à un recensement froid de ses insuffisances, de ce qui peut encore être fait dans le sens de l’union qu’exige le peuple, seul moyen pour elle de se donner du souffle, elle élargit ses divisions, voyant ses chances se réduire à un rythme dissuasif.
Dans la sous-région, le Togo constitue une rare exception de pays à n’avoir jamais eu la chance d’un débat politique sain et rédempteur ayant débouché sur une alternance politique. Cela n’est pas seulement la faute du RPT, même si ce parti est le principal fossoyeur du processus démocratique au Togo. Très souvent, un pouvoir ne se sent pas lié par une obligation de résultats lorsqu’en face de lui se trouvent une opposition et une société civile sans poigne dirigées par des gens qui aiment la vie et le temps présent, qui se contentent de faire de la figuration, incapables de trouver le talon d’achille de l’autocratie gouvernante et les moyens de faire aboutir la volonté de la majorité. C’est profitant de l’absence absolue d’un contre-pouvoir que le RPT continue d’éblouir la masse togolaise, grâce à de subtils faux-fuyants. Cela crée une grande confusion qui fait croire que le Togo s’est normalisé.Loin s’en faut.
On a soif au Togo d’une opposition qui ravive la démocratie qui y est restée trop longtemps un soliloque morne et qui, de surcroît, a été trop coûteuse en vies humaines. A défaut de ça, persiste une opposition inconsistante dans ses convictions, peu endurante, brouillonne dans ses stratégies, fébrile dans l’action, truffée d’esprits étroits qui sont prêts à se mettre à plat ventre au pied de la tyranie, pour des miettes. Une opposition qui ne finit pas de se combattre, de battre l’air pour flatter son égo et qui refuse de voir qu’aux grands maux il faut de grands remèdes, qu’en se mettant ensemble elle peut gagner. On semble avoir affaire à une sorte de grand corps diffus que le parti presque cinquantenaire au pouvoir n’a aucun mal – à sa guise – à tirer par le bout du nez. Et pourtant, des exemples récents nous montrent qu’ailleurs, lorsque l’injustice sociale et la prestidigitation politique se sont installées à la tête des états, se parant des dehors de légitimité, l’élite patriote de l’opposition s’est fait le devoir suprême de fusionner, intelligemment, pour créer le rapport de force, toutes divergences internes cessantes.
Trop de faux messies
Les Togolais ont trop gobé l’ineptie et trop vénéré les faux messies pour ne pas voir que leur opposition est l’ombre d’elle-même. Le FRAC, le Front Républicain pour l’Alternance et le Changement crée à l’avant-veille de la présidentielle de 2010 a été saboté par des hommes ignobles tapis dans l’ombre, des soi-disant opposants au service d’obscurs intérêts. Ils ont réussi à tordre le cou à cette initiative qui aurait pu bien s’organiser pour être salvatrice. Le FRAC, aujourd’hui, est à repenser de font en comble. Ses ténors, tels Agbéyomé Kodjo, Kofi Yamgnane et Dahuku Péré ont pris leurs distances pour des raisons inconnues du grand public. Ce grand rassemblement que les Togolais appellent de tous leurs voeux s’est, au fil des jours, réduit, à l’ANC, la nouvelle formation de Jean-Pierre Fabre issue de l’éclatement de l’UFC de Gilchist Olympio. C’est aussi dire que la contestation par le FRAC résiduel de la légitimité et de la gouvernance de Faure Gnassingbé a du plomb dans l’aile. Ces manifestations de la plage sont trop tranquilles, trop joyeuses et sont devenues trop habituelles pour faire trembler le RPT sur ses bases. Elles sont trompeuses. C’est d’ailleurs pour mettre en relief les limites de ces marches que le parti au pouvoir les laisse couler, tout en prêchant, du bout des lèvres, « un dialogue inclusif » qui refuse à dessein de dire son objet.
Le RPT ne bâtit toujours pas le Togo. Il continue de l’abîmer. Sa gouvernance reste des plus chaotiques, désespérément tribale et calamiteuse. Mais il faut reconnaître que le visage entre l’agréable et le désagréable que présente le pays est aussi imputable, dans une certaine mesure, à l’opposition qui pèche par manque de convictions véritables, de cohérence idéologique ou de simple logique politique. Quels objectifs peuvent atteindre ces manifestations hebdomadaires qui atterrissent, non pas au pied du monument de l’indépendance, à la Place de la Libération, devant le siège du parlement ou encore sur un autre site emblématique de Lomé, mais en bordure d’océan, à la plage? Quel nom peut-on donner à ces marches que les initiateurs ne sont toujours pas capables de maintenir en semaine et selon un cheminement voulu par eux? Jusqu’où va t-on marcher?
Une oppostion vise des cibles. Elle exploite des symboles. Au Togo, entre autres abominations commises sous l’égide du régime, l’assassinat de l’intellectuel Atsutsè Agbobli, l’exclusion abusive de neuf parlementaires jugés indésirables, le déni du droit de vote à la diaspora pourtant majoritairement favorable à l’opposition ou encore, la supression unilatérale de l’allocation de départ à la retraite par les nouveaux milliardaires du parti pouvoir, n’ont pas été suffisants pour faire lever cette opposition comme un seul homme. Contre toute attente, elle est restée ancrée dans ses habitudes : les mêmes cafouillages qui contribuent à son affaiblissement, les mêmes déclarations à l’emporte pièce qui la fendent en petites parcelles. L’opposition s’est tellement divisée, vilipendée, tapée dessus qu’elle n’a plus la force de se battre contre le régime, alors que le peuple ne demande qu’à être guidé pour chasser illico presto la bande organisée de malfaiteurs qui a fait main basse sur le Togo et ses ressources. Au total, l’opposition togolaise a l’air d’un mirage, dominée par une terrible idolâtrie du “c’est moi ou rien” et qui continue de se faire sur des considérations de personnes, d’intérêts parallèles égoïstes et de jugements subjectifs, au lieu d’être à l’écoute du Togo profond et de la jeunesse. Aussi donne t-elle, dans sa mauvaise posture, une image dégradée de la volonté populaire.
De plus en plus de voix se font entendre au Togo et dans la diaspora pour qu’émerge au Togo, une forme nouvelle d’opposition véritablement cohérente qui intègre et non exclut, disposant d’une stratégie d’action efficace, qui met toutes les options sur la table et qui est habitée par une détermination sans faille à apporter une alternative salvatrice au peuple. Car, celle qui a droit de cité aujourd’hui fait montre d’une absence de vitalité devant un pouvoir de Faure Gnassingbé qui –comble de malheur – s’affermit chaque jour sans donner le moindre signe de se limiter dans la durée. Cette opposition court à sa propre perte si elle ne change pas de méthodes avant longtemps.
Kodjo Epou,
Washington DC
USA