« Tel est pris qui croyait prendre ». C’est dans Le Rat et l’Huitre, une fable de Jean de la Fontaine. Qui aurait pu l’imaginer il y a quelques semaines ? Qui aurait pu s’attendre à un si brusque chamboulement chez le redoutable chef milicien, Pascal Akoussoulèlou Sani Bodjona ? Lui qui, avant d’être récompensé avec des postes importants au sommet de l’Etat, faisait trembler. A Lomé et dans tous les hameaux du Togo. Cet irréductible du RPT, un « pur-sang » de la dictature, a des tas de cadavres sur la conscience. Par sa seule volonté, il était capable de semer la mort, d’écraser tout mouvement de contestation populaire contre son parti. Oubliant que l’impossible, toujours, finit par se réaliser et faire la nique au rêveur qui se croyait tout puissant. Le troubadour, héraut de la dictature militaire, est désormais le gros poisson dans la nasse du petit despote, Faure Gnassingbé, son partenaire en crimes.
Dans l’univers du RPT si longtemps réfractaire à la démocratie, tout fonctionne selon la loi de la force. Un environnement impitoyable, une véritable fosse aux ours, où tous les coups sont permis. Les citoyens ordinaires, les militants du RPT inclus, ont de quoi comprendre que l’Etat de droit pour lequel certains se battent nuit et jour est une nécessité. Il protège. Si le Togo en était un, des gendarmes n’iraient pas, armés jusqu’aux dents, toute communication coupée avec l’extérieur, interpeler un citoyen soupçonné d’être impliqué dans un business d’argent qui a mal tourné entre des partenaires d’hier, une affaire purement civile qui ne constitue en rien une menace pour la sûreté de l’Etat. N’est-il pas enfin temps de comprendre, qu’on soit du Nord ou du Sud du Togo, qu’un système démocratique est le meilleur rempart contre ces plans politiques obscurs, contre ces pratiques inhumaines d’un autre âge ?
Parce que la démocratie et l’Etat de droit n’existent au Togo que sur le papier, Bodjona Pascal n’a, à l’instar de beaucoup de ses compatriotes avant lui, aucune institution républicaine légale pour lui éviter cette humiliation, ni le protéger et le défendre. Parce que le RPT ment et fait du faux vent avec sa « démocratie » qui n’en est pas une, le ministre fraîchement débarqué de son poste sera mangé à la sauce que Faure Gnassingbé et son régime militaire voudront qu’il soit mangé. Faut-il en rire ou en pleurer ? Autrement, doit-on se plaindre du sort de Pascal Bodjona ? Les Togolais, généralement de bon cœur, sont plutôt embarrassés. Parce qu’un pays ne peut pas fonctionner selon les humeurs d’un seul homme! Le chef de l’Etat ne peut pas, à loisir, continuer à jeter soit en prison, soit sur le chemin de l’exile, les citoyens que son appétit du pouvoir lui dicte de neutraliser.
« Avalise ou fais ta valise »
Cela n’existe dans aucune démocratie ! A moins que celle-ci soit d’un genre destiné aux bisounours, ces besogneux de l’UNIR qui ont marché dans les rues de Lomé, ce samedi, tout de blanc vêtus – la couleur du RPT – singeant un soutien au pouvoir de leur mentor en perte de vitesse et profondément impopulaire.
Les sales temps que vit le ministre Pascal Bodjona, il faut le reconnaître pour mieux l’expliquer, ont un relent notablement politique. Faure brandit sa main de fer, veut se montrer seul maître à bord et épouvanter ceux de ses propres partisans qui seraient tentés par une quelconque désobéissance. Sinon, a-t-il fini d’appréhender et de juger les bourreaux qui ont massacré des centaines de Togolais en 2005 ? Pourquoi la justice doit-elle fonctionner dans certains cas et pas dans d’autres ? Ces vies humaines qu’il a fait détruire, ont-elles moins d’importance que les affaires d’un Emirati, Abass al-Youssef, qui s’est fait escroquer en voulant blanchir de l’argent sale en Afrique ?
Dans tous les cas, la dégringolade du natif de Kouméa est un signe irréfutable des graves fractures au sein d’un régime dictatorial pourri, en pleine déconfiture. C’est aussi pour les Togolais, quel que soit leur bord politique, ce que les américains appellent : « a teachable moment ». Une belle leçon qui doit conscientiser les hypocrites de tous poils qui soutiennent le régime ou travaillent avec lui à visage découvert ou en sous-main. Car, il est désormais établi que tout ce que Faure Gnassingbé peut faire, après avoir montré les limites de sa compétence, c’est de déchirer davantage le tissu social, de tuer son propre peuple, jusque dans les rangs de ses indéfectibles soutiens. Après Akoussoulèlou Sani, à qui le tour ? Un célèbre chroniqueur de RFI avait vu juste quand il disait du despote que « si ce président a été capable de jeter en prison son propre frère, c’est qu’il est d’une nocivité effroyable ».
Le chef de l’Etat, autisme ou pari obstiné sur un cheval, joue sa dernière course. Voici, s’il en est besoin, une citation à méditer dans l’urgence par ceux qui, au Togo, ne se sont pas encore décidés à tourner le dos au pouvoir du diable oppresseur qui avale tout sur son passage: « la disparition d’un régime tyrannique ne touche pas les seuls tyrans et leurs sbires. Elle englobe la destruction des terres, des hommes et des maisons. Car un système tyrannique, dans ses derniers moments, frappe aveuglément. Tel un taureau excité ou un éléphant dans un magasin de porcelaine, il brise et casse. En même temps, il écrase le peuple et le pays avant de se rendre à l’évidence de sa mort définitive ».
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