La presse internationale est quasiment unanime : l’intronisation de Faure Gnassingbé à la tête du Togo aussitôt après la mort de son père Gnassingbé Eyadéma, décédé ce samedi d’une crise cardiaque, va à l’encontre de la constitution. Réaction de quelques quotidiens du continent.
« Le Togo vient d’être frappé par un grand malheur. Il s’agit d’une véritable catastrophe nationale. Le Président n’est plus. Il a rendu l’âme ce samedi 5 février alors qu’il était évacué d’urgence pour des soins à l’extérieur du pays », a déclaré samedi dernier le Premier ministre togolais Kofi Sama après le décès de Gnassingbé Eyadéma, le doyen des chefs d’Etat africains. Pour remplacer l’ex sergent-chef qui a dirigé le petit pays ouest-africain pendant 38 ans, l’armée a « confié» le pouvoir à Faure Essozimma Eyadéma, l’un des deux fils de l’ancien homme fort de Lomé. Son « intronisation », rendue officielle ce lundi matin, a provoqué des condamnations de la communauté internationale, qui vont d’une dénonciation d’un acte anticonstitutionnel à une accusation de coup d’Etat militaire. La presse africaine condamne aussi, globalement, la décision de l’armée et les manœuvres qui couvent pour que Faure Eyadéma reste au pouvoir.
La démocratie toujours en danger
Le Patriote ironise ainsi sur la promotion de Faure Eyadéma : « A peine le souffle rendu. La Constitution [est] au garage. L’armée intronise le fils. Pour la survie du clan. Le Général est parti. Le système se maintient. C’est ça l’Afrique ! » Le quotidien ivoirien poursuit en écrivant que la décision de l’armée marque « une succession héréditaire qui ne dit pas son nom ». Même sentiment du côté de Fraternité Matin, un autre journal ivoirien. Il estime en effet que la succession du plus vieux leader après le Président cubain Fidel Castro « s’est faite de façon despotique et comme dans une dynastie parce que, de par la volonté des Forces armées togolaises (Fat), c’est son fils Faure Gnassingbé, ministre de l’Equipement et des mines et des Télécommunications (…) qui lui succède ».
El Watan, journal algérien, rapporte les propos de Gilchrist Olympio, principal opposant du leader décédé, qui espère que la mort du chef de l’Etat permettra que le « Togo se mette sur le chemin de la démocratie ». Un espoir brisé d’après Le Patriote. Le journal concède que « la disparition de Gnassingbé Eyadema, principal obstacle à la démocratisation du Togo, était pourtant porteuse d’une espérance démocratique forte », mais que présentement « l’armée est en train d’assassiner (…) l’espérance démocratique au Togo ». Congo Site ajoute qu’en « se plaçant au-dessus de la Cour constitutionnelle et en s’opposant à l’application des dispositions légales prévues, l’armée togolaise a remis en cause le processus de démocratisation dans le pays ».
Changements de constitution
Car selon certains journaux, des manœuvres anticonstitutionnelles sont en cours pour que Faure Eyadéma, que son défunt père voyait comme son dauphin, finisse le mandat de son père. Et plus si affinités. En effet, la constitution de 2003, et en particulier l’article 65, stipule « qu’en cas de vacance de la Présidence de la République par décès, mission ou empêchement définitif, la fonction présidentielle est exercée provisoirement par le président de l’Assemblée Nationale ». Le président de cette même assemblée est bloqué à Cotonou (Bénin) suite à la fermeture des frontières décidée par les autorités togolaises après le décès de Gnassingbé Eyadéma.
Mais, rapporte Congo Site, « pour tenter de donner une apparence de légalité à leur coup de force, les militaires ont fait voter deux décisions par le Parlement, le 6 février dernier. La première porte sur la destitution de l’actuel président de l’Assemblée Fambaré Nachaba et son remplacement, et la deuxième porte sur la modification de la Constitution : l’intérim jusque-là limité à 60 jours, a été étendu jusqu’en 2008, date de la fin du mandat du Président défunt. » Le Mail and Guardian, journal sud-africain, précise ce lundi que l’Assemblée nationale a voté par 67 voix contre 14 le changement de la constitution qui permettra à Faure de finir le mandat de son père, qui devait s’achever en 2008.
Le ministre de l’Equipement et des mines et des Télécommunications promu a d’ailleurs prêté serment ce lundi matin. Le Mail and Guardian rapporte ses paroles : « Devant Dieu et le peuple togolais, je jure de défendre la souveraineté du pays, (…) de défendre et de respecter la constitution fournie par le peuple du Togo ». Toutefois, Congo Site estime que le Président par intérim pourrait avoir une marge de manœuvre réduite dans ses fonctions face aux militaires qui l’ont intronisé.
« Confrontation fratricide » pour le pouvoir ?
Mais Sud Quotidien se demande si, au final, c’est bien Faure qui restera à la tête du pays. Le journal sénégalais confie que Ernest Gnassingbé Eyadéma, le frère du dauphin pressenti de « Papa Eyadema », a des velléités sur le pouvoir. « Ce dernier, bien que doublement handicapé » à la suite d’un empoisonnement et « analphabète notoire, garderait toutes ses facultés de ‘nuisance’. Il serait très influent au sein de cercles proches du pouvoir et de l’armée », rapporte le média. Qui interroge : « Va-t-on vers une confrontation fratricide pour la succession d’Eyadéma ? Ou bien vers une entente cordiale entre les deux frères et leurs soutiens respectifs sur le dos du peuple togolais et du respect de la loi fondamentale du pays ? » En attendant, le pays est en deuil pour deux mois.