Les praticiens traditionnels ont jusqu’au 01 octobre prochain pour cesser la publicité de leurs médicaments à la télévision et à la radio togolaises. Selon la Haute Autorité de l’Audiovisuelle et de la Communication (HAAC), qui a annoncé l’interdiction début juillet, ces annonces présenteraient une menace pour la population du pays. La Haute Autorité entend remettre de l’ordre en appliquant la loi en vigueur depuis 2001.
Par Christelle Sélom Mensah
« Docteurs », arrêtez vos publicités mensongères ! La loi togolaise de 2001 relative à l’exercice de la médecine traditionnelle au Togo interdit aux praticiens de faire de la publicité mensongère. De même, l’article 45 prévoit l’interdiction des annonces dont les médicaments n’ont pas eu l’assentiment du ministère de la Santé. « Jusque-là, la loi n’était pas appliquée. Or, tous ne sont pas de bons praticiens. Il faut donc faire le tri entre eux, pour le bien de la population », souligne le président de la Haute Autorité de l’Audiovisuelle et de la Communication (HAAC), qui entend faire appliquer les textes. Les quelque 500 praticiens, actuellement sur les ondes du pays, ont jusqu’au 1er octobre pour arrêter leurs activités médiatiques. Passée cette date, des sanctions financières seront prises à leur encontre. Les radios et télévisions qui continueront à diffuser lesdits programmes seront, quant à elles, passibles de suspension d’antenne.
Interdire pour mettre de l’ordre
« A notre niveau, nous souhaitons simplement mettre de l’ordre parmi les praticiens. Savez-vous que certains malades meurent faute de soins ? Ils préfèrent aller se soigner chez leurs ‘docteurs’ et quand ils arrivent dans les hôpitaux il est déjà trop tard pour eux ! », explique un des membres de la Haute Autorité. « Tous ne sont pas mauvais, souligne un haut membre d’URATEL (Union des rAdios et télévisions libres du Togo), mais il est vrai que certains sont des vendeurs d’illusions ! » Dans le pays, ils n’hésitent plus à se faire appeler ‘docteur’ ou ‘professeur’ sans posséder les diplômes qui s’y attachent. D’autres prétendent pouvoir guérir la maladie du VIH sida. « Aucun n’a encore jamais apporté la preuve qu’il a guéri le sida. Dans nos réunions, nous leur conseillons de ne pas utiliser le mot de la maladie à tort et à travers. Le fait de se faire appeler ‘docteurs’ ou ‘professeurs’ leur est également fortement déconseillé », explique M. Osé, vice-président des thérapeutes praticiens du pays, d’accord pour un « nettoyage » de la profession.
M. Osé, lui-même tradipraticien dans le district 5 de la capitale, reconnaît que tout n’est pas parfait. « Il est vrai que nous avons des problèmes. Mais nous sommes soucieux d’enlever les personnes incompétentes qui font de l’ombre à nos activités. Notre activité est d’une grande aide à la population et passer par les médias sert à informer les Togolais. Ceux qui me voient à la télévision savent que je possède des produits anti-vénéneux. En cas de morsures de serpents, il faut savoir au plus vite à qui s’adresser », éclaire le vice-président. M. Amouzou, directeur de la section sociologie à l’université de Lomé, précise le danger. « Les thérapeutes mensongers sont les plus dangereux. Ils prétendent pouvoir guérir telle maladie. Ce qui s’avère faux car leurs malades meurent au bout de quelques semaines, faute de soins adaptés à leurs souffrances. »
La survie des chaînes et des stations menacée
« Au départ, se tourner vers ces ‘professionnels’ vient d’une conception traditionnelle selon laquelle ils seraient en contact avec les esprits. Les malades considèrent que tout ce qui est spirituel peut conduire à leur guérison. 65% de la population préfèrent recourir à ces personnes, qui possèdent à leurs yeux toute la légitimité du monde parce qu’ils passent à la télé », précise l’universitaire. Poussant la population à faire d’avantage appel à eux plutôt qu’aux hôpitaux publics. « Par ailleurs, le coût de ces médicaments est parfois jusqu’à dix fois moins cher que ceux des pharmacies », poursuit-il. Dans le pays, il faut compter 100 000 Fcfa (152,45 euros) pour une césarienne à l’hôpital, tandis que certains praticiens la proposent gratuitement à la télévision. Pour les plus modestes, le choix est vite fait. Ce sont parfois les conditions de traitement dans les hôpitaux qui finissent par éloigner les malades du système de santé classique. Au Centre hospitalier universitaire de Tokoin de la capitale, les médicaments sont quasiment tout le temps à la charge du patient. Pourtant, même une fois en sa possession, ils ne lui sont pas systématiquement administrés.
« Nous voulons comprendre cette interdiction. L’état nous bloque alors que la Chine a fait sa révolution grâce à la médecine traditionnelle », argumente le président d’un grand média togolais qui a souhaité garder l’anonymat. Les sommes versées par les praticiens varient selon le média et le temps de passage : il faut compter entre 25 et 80 000 Francs Cfa pour une heure, (respectivement 31,11 euros et 121.96 euros) pur 30 à 45 minutes d’antenne à la télévision, Et il faut compter de 10 à 15 000 FCFA (15 à 22,8 euros) pour 30 minutes à la radio. Seules deux chaînes de télévision togolaises font circuler ces annonces : RTDS et TVsion. « Nous aimerions augmenter les prix, mais nous savons que les praticiens ne pourront pas suivre », commente un membre de la RTDS qui a souhaité garder l’anonymat. Les radios sont plus nombreuses, CanalFm, Xsolaire radio Victoire, Carré Jeune ou radio Avenir.
Couper la diffusion de ces publicités revient à appauvrir considérablement les chaînes et les radios concernées. L’argent versé par ces thérapeutes équivaut parfois à 50 % des revenus de ces médias. « Si nous ne payons plus les redevances à l’avenir, il est sûr que nous disparaîtrons. Vous savez, nous gênons beaucoup de gens. Il y a lieu de s’interroger si ce ne s’agit pas d’une censure cachée ? J’aimerais simplement que la justice fasse efficacement son travail. Beaucoup de praticiens vont être interdits par cette mesure alors que les véhicules qui circulent pour faire la même publicité ne sont pas inquiétés », s’inquiète le président du média togolais. « Nous sommes d’accord avec ses arguments, seulement le cas des véhicules est du ressort du ministre de la Santé, non du nôtre. Et nous ne pouvons sacrifier la vie des populations pour de l’argent», précise le président de la HAAC. Interrogé par Afrik, le ministère de la Santé n’a pas souhaité s’exprimer sur la question…