A près d’un an de la prochaine présidentielle au Togo, la classe politique peine à se mettre d’accord sur le cadre électoral. Des discussions entre les trois principaux partis politiques du pays se sont achevées vendredi dernier sans qu’un terrain d’entente définitif soit trouvé. Des divergences subsistent et portent notamment sur la composition de la commission électorale nationale indépendante (CENI) et des commissions locales. Afrik.com a interrogé le secrétaire général-adjoint de l’Union des forces de changement (UFC), principal parti d’opposition lors de son dernier passage à Paris à la mi-février.
Le Rassemblement du peuple togolais (RPT) au pouvoir, et les deux principaux partis d’opposition du pays, l’Union des forces du changement (UFC) et le Comité d’action pour le renouveau (CAR), ont achevé le 14 mars des discussions sur le code qui devrait régir l’élection présidentielle de 2010 au Togo. Regroupés au sein du Cadre permanent de dialogue et de concertation (CPDC) [[Le CDPC réunis les partis représentés à l’Assemblée nationale et ceux qui ont obtenu au moins 5% des suffrages aux législatives de 2007]], ces partis ne sont parvenus à aucun accord. Jean-Claude Codjo, le secrétaire général adjoint de l’Union des forces de changement (UFC), principal parti d’opposition au Togo, affirme que les pourparlers achoppent notamment sur la répartition des sièges au sein de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Cette commission devra superviser la prochaine présidentielle de 2010. Son parti compte 27 sièges à l’Assemblée nationale contre 50 pour le RPT au pouvoir. Il s’exprime sur le processus électoral au Togo et explique la position de l’Union des forces de changement (UFC). Interview.
Afrik.com : la présidentielle de 2010, c’est dans quelques mois. Mais les acteurs politiques ne se mettent toujours pas d’accord sur le cadre électoral. N’y a-t-il pas un sérieux retard dans le processus ?
Jean-Claude CODJO : Nous avons au moins douze mois de retard. C’est un travail auquel on aurait du s’atteler au lendemain des législatives d’octobre 2007. L’UFC n’a pas manqué d’appeler le gouvernement à se mettre au travail pour que, très rapidement, les réformes politiques prévues par l’accord politique global [signé à Lomé en août 2006, NDLR], soient examinées, adoptées et mises en œuvre. Le gouvernement a volontairement traîné les pieds. Et brusquement, il se réveille et au pas de charge veut imposer à la classe politique sa vision des choses comme il a l’habitue de le faire.
Afrik.com : Le camp présidentiel accuse aussi l’opposition de faire preuve de mauvaise volonté et de traîner les pieds ?
Jean-Claude CODJO : C’est quand même le gouvernement qui a tous les moyens de l’Etat, c’est le gouvernement qui a le pouvoir. Nous avons nos propositions mais que pouvons-nous en faire si nous ne trouvons pas le moyen d’en discuter au préalable avec le gouvernement. Depuis décembre 2007, l’UFC n’a cessé de harceler le gouvernement pour qu’on se mette au travail. Rien n’a été fait jusqu’à maintenant. Cela fait partie de la stratégie du parti au pouvoir de prendre tout le monde de court et de faire en sorte que les choses soient bâclées au dernier moment.
Afrik.com : Au regard des législatives de 2007, jugées satisfaisantes par les observateurs internationaux, vous qui avez été membre de la CENI de 2006 à 2007, pensez-vous que la présidentielle de 2010 sera plus crédible que les précédentes élections présidentielles qu’a connues le Togo ?
Jean-Claude CODJO : Disons qu’en termes d’organisation et de supervision des élections, les législatives de 2007 ont été un progrès extraordinaire par rapport à ce qu’on a connu jusque-là. Cela s’explique par la mise en jeu d’une technologie de pointe et d’une assistance internationale conséquente. Malheureusement, le scrutin a dérapé dans la phase de collecte, de validation, de vérification et de proclamation des résultats. J’ai dû me désolidariser de mes collègues de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) parce que les résultats qui allaient être proclamés ne correspondaient pas à ceux qui provenaient des urnes. Nous avions convenu d’une procédure de collecte et de validation des résultats mais alors que celle-ci a été lancée, elle a été subitement interrompue. Nos collègues du parti au pouvoir sont arrivés avec des résultats sortis d’on ne sait où ! Personnellement, j’aurais voulu annoncer haut et fort de vrais résultats de ces législatives à ceux qui m’ont mandaté pour les représenter à la CENI, même si ces résultats ne leur étaient pas favorables. Mais je ne pouvais le faire parce que je n’avais aucune garantie de la fiabilité des résultats, au contraire j’avais toutes les raisons de mettre en cause les résultats qui avaient été proclamés.
Afrik.com : Est-ce que cela vous laisse sceptique pour 2010 ?
Jean-Claude CODJO : Pas si nous revoyons la procédure de collecte, de validation et de proclamation des résultats. En cela, à l’UFC nous avons étudié la question et avons fait des propositions concrètes et claires en tenant compte des recommandations des organisations internationales. Nous avons redéfini, d’une manière très précise et très séquentielle ce qui devrait se passer dans les bureaux de vote. Du dépouillement jusqu’à la proclamation des résultats. Ce que devrait être le rôle de la Commission électorale locale indépendante (CELI) et de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Nous proposons une procédure de travail pour vérifier, valider et procéder à la publication des résultats provisoires. Nous avons également des propositions qui définissent les tâches précisent de Cour constitutionnelle. Jusque-là celle-ci se contentait juste d’entériner les résultats que la CENI leur a fait parvenir. Si nos propositions sont étudiées et adoptées, je dirai qu’il y a de bonnes raisons d’espérer que l’élection présidentielle de 2010 soit transparente.
Afrik.com : La présidentielle de 2010 représente, sans doute, une échéance cruciale pour l’UFC, comment la préparez-vous ?
Jean-Claude CODJO : C’est une échéance cruciale pour toute la classe politique togolaise et pour le peuple togolais. A un peu plus d’un an de cette élection, nous en sommes encore à exiger des conditions de transparence, d’équité… Le pouvoir en place a apporté de façon unilatérale des modifications au code électoral en y introduisant des dispositions anti-démocratiques, d’exclusion, de discrimination. Des réformes politiques devraient permettre d’éliminer ces dispositions-là. Il y a aussi les aspects sécuritaires. Nous avons toujours connu une ingérence de l’armée et des forces de sécurité dans le processus électoral. Nous devons trouver un moyen de faire en sorte que l’armée se cantonne dans son rôle de neutralité républicaine. Une fois les meilleures conditions réunies, nous sommes prêts à prendre part, en toute responsabilité, à l’élection présidentielle. En cela, nous sommes en contact avec nos autres collègues de l’opposition pour que nous puissions mener certaines actions communes, y compris dans les étapes cruciales du processus, avec pour objectif d’aboutir à une alternance politique sans violence.
Afrik.com : Quel bilan faites-vous du mandat de Faure Gnassingbé qui s’achève l’année prochaine?
Jean-Claude CODJO : L’actuel chef de l’Etat est arrivé au pouvoir dans des conditions calamiteuses. Pour redorer son blason, il avait intérêt à conduire des reformes qui devraient amener le Togo à renouer avec la communauté internationale. Dans ses promesses de campagne, il a indiqué un catalogue d’actions qui, si elles étaient mises en œuvre, devraient permettre à notre pays d’être beaucoup mieux loti qu’aujourd’hui. Depuis 2005 jusqu’à maintenant, la situation socio-économique de notre pays s’est davantage dégradée. Tous les rapports des organisations internationales le soulignent à souhait. La précarisation de la situation sociale est telle que, le dernier rapport du Fnuap [[Fonds des Nations unies pour la population]] indique que l’indice de pauvreté a atteint 90% de la population dans certaines localités du pays. Et d’une manière générale, ce taux tourne autour de 80% pour l’ensemble du pays. Rien de substantiel n’a pu être fait. Mais pendant ce temps, on assiste à la généralisation de la corruption, de la gabegie, des détournements de fonds…. C’est scandaleux!
Afrik.com : Le Comité d’actions pour le renouveau (CAR) a participé au gouvernement du parti au pouvoir. Son leader, Me Yaovi Agboyigbo, a même été Premier ministre du Togo. Peut-on imaginer, quelque soit le résultat de la prochaine présidentielle, un gouvernement dans lequel cohabiteront l’UFC, le CAR, le RPT et d’autre partis ?
Jean-Claude CODJO : Quand les élections sont claires et transparentes, il n’y a pas lieu d’imaginer de tels attelages. Le parti qui gagne sera libre de choisir avec qui il veut gouverner. Maintenant rentrons dans vos hypothèses. Bien sûr que c’est possible que l’UFC participe à un gouvernement avec d’autres partis. Après l’accord politique global, l’UFC aurait pu, c’est vrai, participer au gouvernement. Mais nous n’entendons participer à aucun gouvernement sans connaître, au préalable, l’agenda de ce gouvernement. Si nous avions un cahier des charges du gouvernement avec un calendrier de mise en œuvre, nous aurions eu les contours précis des missions de ce gouvernement et ainsi nous aurions pu participer à ce gouvernement pour mettre en exécution ce cahier des charges. Cela n’a pas été le cas au sortir de l’APG. De plus, au sortir de cet accord, il y a eu maldonne. Maldonne dans ce sens que, c’était convenu, même si cela n’a pas été écrit noir sur blanc, que le poste de chef de gouvernement revenait à l’un des partis d’opposition le plus représentatif. C’est vrai qu’à l’époque beaucoup ont contesté à l’UFC sa représentativité. Mais en réalité, pour ces partis contestataires, c’était une façon d’exister.
Afrik.com : L’UFC, qui n’a participé à aucun gouvernement au Togo, aura-t-elle la capacité de gouverner le Togo, si elle remporte la présidentielle de 2010 ?
Jean-Claude Codjo : Nous sommes un parti politique qui aspire à accéder au pouvoir et à gouverner. Ne me demandez donc pas si nous sommes prêts à diriger le Togo. Nous allons gouverner. Maintenant, il nous appartient de mobiliser les compétences et les bonnes volontés disponibles. Nous avons pour cela nos militants qui sont sur le terrain et qui se battent pour libérer ce pays de la dictature. Ils sont dans l’administration publique, ils sont dans le secteur privé, nous avons des hommes de compétence, dans la société civile, dans la diaspora…. Chaque fils du pays, quelque soit sa couleur politique, aura un rôle à jouer.