Depuis plus de 20 ans, le préservatif occupe une place centrale dans la lutte contre la propagation du VIH/sida en Afrique. Mais les ONG ont cherché à multiplier leurs actions afin de toucher un plus large public. Désormais, au Togo, un nouveau triptyque s’est imposé : « Préservatif, Abstinence et Fidélité ».
Par Fabienne Pinel
« Avant, nous ne proposions que le préservatif comme moyen de lutte contre le sida, se souvient Manya Andrews, responsable de la plus grosse ONG de lutte contre le VIH au Togo, Population Services International (PSI). Aujourd’hui, en parlant d’abstinence et de fidélité, nous espérons toucher un plus large public. » Suite au discours, en 2003, du président américain Georges Bush, l’abstinence et la fidélité sont dorénavant placées au cœur des campagnes de prévention contre le VIH. Une doctrine relayée en terre africaine par les Eglises. Les Etats-Unis ont soufflé aux associations de consacrer 20% de leurs ressources pour promouvoir l’abstinence : 14 des 15 milliards de dollars US des dons américains sur 5 ans seront d’ailleurs réservés aux pays qui adoptent cette politique !
Pour l’association ACT-UP Paris, « 90% des bénéficiaires de ces fonds sont des organisations (…) le plus souvent liées aux Eglises fondamentalistes américaines ». Un fait que concède M. Devotsou, responsable de l’unité de communication pour le changement de comportement au Plan national de lutte contre le sida. « Même si nous avons conscience que prôner l’abstinence est assez mal perçu par une jeunesse sexuellement très active, nous bénéficions d’un fort appui des Eglises qui organisent des rassemblements de fidèles pendant lesquels des plages horaires sont consacrées à la prévention du VIH par l’abstinence et la fidélité, bien entendu », explique-il.
« Il faut être très clair, assène Manya Andrews. Nous n’abandonnons pas la promotion du préservatif qui reste un moyen efficace de lutte contre le VIH, mais nous voulons proposer d’autres solutions ! » Aujourd’hui, PSI, ONG américaine, consacre une campagne sur 16 par an pour promouvoir l’abstinence. « Mais, à chaque campagne, nous parlons du triptyque « préservatif, abstinence fidélité ». », précise la responsable qui poursuit : « Nous adaptons notre discours à notre public. Le préservatif reste le moyen le plus efficace de lutte contre le VIH chez les adultes. Et, il est évident que nous ne parlerons ni d’abstinence, ni de fidélité à des prostitués ou des militaires. En revanche, nous en parlons systématiquement aux jeunes. »
« Parler d’abstinence, c’est parler de respect de soi »
Les plus jeunes, dont seulement 12% utilisent des préservatifs, sont une cible prioritaire des ONG. Représentants le quart de la population contaminée, la jeunesse doit être sensibilisée par tous les moyens. « Nous voulons faire reculer l’âge moyen du premier rapport sexuel, qui est aujourd’hui de 17 ans », explique Manya Andrews qui estime qu’un tiers des Togolais de moins de 24 ans est encore vierge. Mais, pour Ladi Apelété qui travaille dans un centre de dépistage de Lomé, les jeunes sont attirés beaucoup plus tôt par le mystère de la sexualité : « Dès 8 ans, les enfants veulent essayer. Combien j’en vois qui s’amusent avec des préservatifs pour comprendre comment ça marche ?! »
Le gouvernement togolais, aidé par les associations, a un message clair qui cherche à déculpabiliser la jeunesse : on est tout à fait normal quand on n’a pas fait l’amour, et si l’on n’a pas encore commencé, alors rien ne presse. « Nous tentons de faire comprendre aux jeunes Togolais que l’abstinence n’est pas la chasteté, précise Manya Andrews. On a pu avoir des rapports sexuels et décider de limiter son nombre de partenaires ou retarder la prochaine fois. Pour nous, parler d’abstinence, c’est parler de respect de soi ! » La lutte contre la propagation du VIH est ainsi intimement liée à de complexes problèmes comme la sexualité, les tabous liés à l’utilisation du préservatif, l’infidélité, la polygamie ou la prostitution…
Abstinence : une moralité qui déroute les organisations internationales
Mais l’essentiel pour les ONG est d’informer les populations afin qu’elles sachent comment agir. « Notre inquiétude, confie Andrews, est le désintérêt des bailleurs de fonds pour le Togo, ce qui diminuerait les subventions des associations. Nous voulons doter le pays de réseaux de personnels compétents et de campagnes de prévention efficaces. » Les clubs « Etoiles » sont financés par PSI et permettent à des jeunes filles de se retrouver pour échanger sur des sujets comme la sexualité, la transmission du VIH ou les grossesses. Comme au sein des centres de dépistages, des professionnels transmettent des messages clairs sur le maniement du préservatif, l’importance de la fidélité dans le couple, la nécessité de diminuer son nombre de partenaire afin de ne pas multiplier les risques…
Déjà habitués des campagnes de prévention diffusées en continue sur les ondes télévisuelles et radiophoniques, les Togolais voient depuis peu de nouveaux type de campagnes d’affichage : quatre pieds entremêlaient avec une mention, comme sur les paquets de cigarettes, WARNING ! Ou encore, des slogans très directifs : « Un vrai homme sait attendre. Une vraie femme sait attendre et ne cède pas aux pressions ! » Un volet moral peu conforme au consensus international des professionnels dans la lutte contre le sida.