A Lomé, des artistes engagés du mouvement hip-hop, Rap, Ragga, Reggae (MHH3R) se mobilisent contre le président Faure Gnassingbé, dont la famille dirige le pays depuis 50 ans. Une façon pour eux de participer aux manifestations de l’opposition qui appelle au retour à la constitution de 1992 et au départ du chef de l’Etat.
« Quand le plus petit nombre accapare des ressources au détriment du plus grand nombre, il y a un déséquilibre préjudiciable qui menace la démocratie et le progrès. » Cet extrait d’un discours du président togolais Faure Gnassingbé marque le début de la nouvelle chanson du rappeur Eric Mc. Et sur la mélodie, sous forme de punchlines, l’artiste répond à ces propos et dénonce l’hypocrisie et les failles du régime actuel: «les gens sont insatisfaits … des gens qui vivent dans la souffrance, un manque total de confiance».
La chanson diffusée il y a une semaine compte déjà plus de 20 000 vues sur Youtube, et est également diffusée lors des événements qui se déroulent à Lomé, au Togo. Au son de « Quitte le pouvoir » de l’Ivoirien Tiken Jah Fakoly, ou de « où est l’argent du peuple ? » chanté par Eric Mc, le Mouvement Hip Hop Rap Ragga Reggae (MHH3R) fondé par le rappeur engagé a l’intention de participer à la mobilisation citoyenne lancée il y a trois mois.
Trois mois de manifestations
Depuis le 19 août 2017, la coalition des 14 partis d’opposition a organisé plusieurs manifestations «non autorisées» par le gouvernement. Plusieurs milliers de Togolais ont répondu présents dans les rues et des affrontements meurtriers ont été signalés, des officiers tirant à balles réelles sur les manifestants et les bastonnant. A ce jour, on dénombre au moins 16 personnes tuées, plus de 200 blessées et plus de 100 personnes arrêtées.
Lors d’une manifestation qui s’est également tenue en septembre dans le nord, à Mango, une ville située à 592 km de Lomé, la capitale, un garçon de neuf ans a été abattu, selon Amnesty International. Des jeeps militaires auraient été vues à plusieurs endroits de la ville de Lomé, terrorisant la population pour les dissuader de se rendre aux marches.
Depuis ces actes de violence, la pression internationale s’est accrue sur le Togo. En signe de bonne foi, le gouvernement a décidé de lever l’interdiction en semaine. Dès lors, la coalition anti-gouvernementale organise des manifestations chaque semaine, à Lomé, à Sokodé, fief du leader de l’opposition Tikpi Atchadam, mais aussi à Bafilo, Mango et Kara, bastions nordiques reconnus depuis longtemps comme acquis au pouvoir.
Au cours des dernières marches des 7, 8 et 9 novembre, à l’intérieur du pays – où les médias sont moins nombreux – l’opposition a dénoncé le durcissement des répressions et l’impossibilité pour les populations de s’exprimer dans les rues. A Lomé également, huit soldats ont attaqué un véhicule d’un groupe d’artistes manifestants, causant un blessé grave et entachant la journée du 9 novembre 2017.
Artistes engagés attaqués
« Nous étions dans le convoi d’artistes pour la mobilisation du peuple avec notre voiture-podium et nous avons sillonné Lomé jusqu’à notre arrivée dans le quartier d’Agoé sur le pont », dit celui que l’on surnomme Ras Sankara, promoteur culturel togolais, blessé ce jeudi-là. Le jeune homme se trouve alors avec Slapa Fire, Amen Jah Cisse, Rasly et prend des photos et des vidéos de la manifestation. « Il était 11h45 quand nous avons entendu des grenades lacrymogènes et des billes derrière nous, c’était un groupe de huit soldats qui nous attaquaient, notre caravane a accéléré pour leur échapper et c’est dans cette panique que je suis tombé du véhicule qui filait à toute allure », se souvient-il.
Hospitalisé suite à des blessures graves dans la tête, au bras et à la jambe, Ras Sankara doit encore être opéré sur son genou droit.
Néanmoins, celui qu’on surnomme « Djanta » (Lion, en mina) ne regrette pas. « Personne ne me dit d’y aller, je devais y être pour l’histoire, pour immortaliser le moment et pour la génération future, c’est important, ça fait même partie de mon processus artistique. J’y étais aussi pour demander mon droit à ce que les choses changent. Les choses sont bloquées dans ce pays, on espère que le changement et les leaders écouteront la voix du peuple », ajoute le jeune rastaman.
Le Togo dans l’impasse?
Les milliers de manifestants qui marchent dans tout le pays réclament une limitation de l’exercice du pouvoir à deux mandats présidentiels de cinq ans, le scrutin à deux tours (deux prérogatives prévues dans la Constitution de 1992) et la démission de Faure Gnassingbé. En 2005, il succède à son père décédé (qui était lui-même au pouvoir depuis 1967, après un coup d’État) avec le soutien de l’armée (causant officiellement plus de 500 morts) avant d’être réélu en 2010 et 2015, après des élections contestés par l’opposition.
En signe de bonne foi, le gouvernement togolais a annoncé début novembre la libération de 42 manifestants détenus depuis septembre 2017 et a déclaré qu’il abandonnerait la procédure judiciaire de 2013 contre le dirigeant de l’opposition, Jean Pierre Fabre, concernant les incendies sur le grand marché de Lomé. Aussi, il a promis de tenir un référendum pour adopter une réforme incluant la limitation souhaitée, mais la mesure n’est pas rétroactive, ce qui devrait permettre au chef du parti au pouvoir UNIR de se présenter à nouveau aux scrutins de 2020 et 2025.
Pour le moment, alors que le gouvernement vient de déclarer être prêt à s’assoir à la table des négociations, l’opposition exige d’abord des conditions préalables, comme la libération de toutes les personnes arrêtées lors des dernières manifestations. Le Togo serait-il dans l’impasse? Déjà, pour maintenir la pression, de nouvelles manifestations viennent de débuter aujourd’hui 16 novembre, et se poursuivront les 17 et 18 novembre 2017.