Le scrutin présidentiel du 24 avril prochain sera-t-il transparent ? L’opposition et la Ligue togolaise des droits de l’Homme, qui ont soulevé un certain nombre d’irrégularités estiment que non. Que se passe-t-il aujourd’hui au Togo ? La société civile et les opposants s’expriment.
Le Togo s’apprête t-il à vivre, le 24 avril prochain, un scrutin présidentiel non démocratique ? Celui qui désignera le successeur du Président Eyadéma Gnassingbé, décédé le 5 février dernier. Il semblerait que oui, si l’on s’en tient aux propos de la société civile et de l’opposition qui ont constaté des irrégularités dans le déroulement du processus pré-électoral. La Ligue togolaise des droits de l’Homme, au nom du Collectif des associations de la société civile et des organisations syndicales pour des élections libres et transparentes, exprime sa vive préoccupation quant aux nombreuses atteintes aux droits humains qui entachent la préparation de ces élections. « Nous avons constaté un dysfonctionnement dans l’organisation du processus électoral. L’on refuse à des citoyens d’avoir des cartes d’électeurs. C’est une grave atteinte à la liberté individuelle et au droit fondamental de chaque citoyen. La situation des droits humains est inquiétante. Des cas de violence, perpétrés par des milices ont été signalés, par exemple, dans les centres de distribution des cartes envers des personnes, qui n’ont pas pu obtenir leurs cartes d’électeurs et qui ont manifesté leur mécontentement. Nous sommes globalement préoccupés », affirme Sylvestre Zounon, secrétaire général adjoint de la Ligue togolaise.
Le Togo connaît une tension grandissante à l’approche de la date fatidique du 24 avril. Pour Patrick Lawson, directeur national adjoint de campagne électorale de la coalition qui rassemble six partis de l’opposition togolaise, c’est en effet une période de combat. « C’est une période qui ressemble à un moment de lutte pour la démocratie plutôt qu’à l’accomplissement du devoir que constitue le fait de voter. Alors que la campagne a démarré, l’opposition est encore en train de lutter pour obtenir de bonnes listes électorales. Aujourd’hui des affrontements ont encore eu lieu entre les forces de l’ordre et les jeunes. Ils réclamaient le droit de voter ».
Difficile de s’inscrire sur les listes électorales
De fait, selon Jean-Claude Homawoo, chef de cabinet du candidat Emmanuel Bob Akitani, désigné par la coalition de l’opposition togolaise et principal challenger de Faure Gnassingbé, tout serait mis en œuvre par les autorités togolaises pour empêcher leurs militants de voter. « A contrario des scrutins de 1998 et de 2003, où les Togolais pouvaient présenter d’autres pièces d’identité comme le passeport, même périmé, ou encore leur extrait de naissance, seule la carte nationale d’identité sera exigée si l’on souhaite voter. «Très peu de personnes au Togo disposent d’une pièce d’identité, explique Jean-Claude Homawoo. Le prix à payer, 3 000 F CFA (4,5 euros), rend son acquisition tributaire de circonstances particulières comme un voyage ou un examen. C’est une exigence démesurée dans un pays où certains n’ont même pas de certificat de naissance. Tout est fait pour réduire la participation des électeurs de la région maritime et de la préfecture des lacs (Sud du pays, partie du pays où se situe Lomé, la capitale, ndlr) alors que l’on distribue des cartes à domicile à des sympathisants du régime. Et dans le nord (région de la famille Gnassingbé), les cartes d’électeurs sont distribuées comme des petits pains ».
« Par ailleurs, les opérations d’enregistrement et de révision des listes électorales avaient déjà pris fin, vendredi dernier, alors qu’elles auraient du s’achever le mardi 5 avril 2005 à minuit. Nous avons pu constaté, avec M. Bob Akitani, que plusieurs bureaux de vote, notamment à Bagida […] étaient fermés. Il a fallu la manifestation de mercredi (du 6 avril 2005, ndlr) au travers laquelle les autorités togolaises ont senti la ferme résolution de nos militants pour que ces dernières prorogent ces opérations jusqu’à ce vendredi minuit. Tout en soulignant qu’elles avaient auparavant pris les dispositions adéquates pour procéder à la révision des listes électorales ». Cette seule prorogation ne suffit pourtant pas à combler les attentes de la coalition qui souhaite que tout le calendrier du processus électoral soit revu et par conséquent que le scrutin du 24 avril prochain soit reporté. Une requête à laquelle le gouvernement a déjà exprimé sa fin de non recevoir. « Tout le monde à les yeux sur eux, ils essaient donc d’organiser la fraude en amont », poursuit M. Homawoo. Les élections ne sont pas organisées par la Commission nationale électorale indépendante (Ceni), mais par le ministère de l’Intérieur. « Nos représentants sont chassés, menacés … La fraude ne passera pas ! », martèle le chef de Cabinet.
Haro sur la Cedeao
A l’image d’une opposition qui n’envisage pas le boycott même si le prochain scrutin présidentiel manque déjà de transparence. « Vous savez, explique M. Lawson, nous sommes le porte-voix d’une population, notamment d’une jeunesse, dont le désir n’est pas de boycotter mais de se battre pour obtenir des élections transparentes. Et si ce n’est pas le cas, le jour des élections, nous continuerons à manifester ce désir. Nous ne voulons pas que le pays s’embrase mais des élections transparentes, équitables et sans exclusion ». L’opposition togolaise paraît plus que jamais résolue alors que, comme souvent, certains de ses membres semblent faire cavalier seul. Dernier incident en date : la rencontre, sans que la coalition n’en soit informée alors que son parti en est membre, entre Léopold Gnininvi, Secrétaire général de la Convention démocratique des peuples africains (CDPA) et Faure Gnassingbé. Patrick Lawson revient sur l’incident. « Léopold Gnininvi est un chef de parti. Il a effectivement, à titre personnel, effectué ce déplacement à Ouagadougou pour y rencontrer le Chef de l’Etat burkinabé, M. Blaise Comparé, un ami. Et c’est ce dernier qui lui a demandé de rencontrer le Chef du Rassemblement du Peuple Togolais (RPT), Faure Gnassingbé. Ce qu’il a accepté dans un souci de dialogue. Il y aurait peut-être, sur la forme, des remarques, voire sévères, à faire mais sur le fond la démarche reste louable. M. Gnininvi a d’ailleurs publié, hier, le compte-rendu de son entretien avec M. Gnassingbé… Nous venons d’horizons divers, mais nous avons fait l’effort de travailler ensemble ».
Certes l’opposition togolaise compte sur ses propres forces, mais elle n’en néglige pas moins la possibilité de faire appel à la communauté internationale, exception faite de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) qu’elle a déjà désavoué. « Nous considérons que la Cedeao ne peut pas résoudre les problèmes du Togo. Ce qui est dommage ! Nous préférerons impliquer l’Union africaine, l’Union européenne (qui a refusé d’envoyer des observateurs considérant que le délai d’organisation de ce scrutin était trop court, ndlr) et les Nations Unies », affirme Patrick Lawson. La coalition reproche, en effet, à l’organisation de ne pas avoir réagi à ses sollicitations. Mais surtout de ne pas avoir réagi lorsque « bien des engagements contenus dans la feuille de route de la Cedeao ont été violés par le gouvernement en place sans que l’Envoyé spécial de l’organisation pour les élections au Togo, le Nigérien Mai Manga Bukar, n’ait réagi vigoureusement et à temps », pouvait-on lire dans un récent communiqué. A noter que la France, qualifiée de « maître à penser de la Cedeao » par Patrick Lawson, a réaffirmé jeudi dernier « son soutien total à l’action conduite par cette organisation pour obtenir le retour à la pleine légalité constitutionnelle » au Togo.