Il habite à Lisbonne depuis 20 ans où il connaît un succès retentissant. Pourtant, Tito Paris, musicien, chanteur et compositeur, reste tourné vers son archipel natal : le Cap-Vert. Son dernier album, véritable bijou, est dédié à sa grand-mère. Interview.
Tito Paris porte avec un charme discret les bretelles et les fossettes qui sont devenues sa marque de fabrique. Sa voix a la rauque attitude. Elle jure un peu avec la silhouette fluette de cette pointure de la musique cap-verdienne. A Lisbonne, Tito Paris est connu comme le loup blanc. Il y a débarqué à 19 ans, sur un malentendu. Son compatriote Bana, célèbre leader du groupe Voz di Cabo Verde, voulait faire venir son batteur de frère. C’est Tito qui débarque au Portugal. Il est bassiste. Qu’importe, il apprendra la batterie en une semaine pour intégrer le groupe. Quand il n’est pas en tournée, le crooner capverdien joue tous les jeudis soirs dans son bar, L’Enclave, haut lieu de la gastronomie et de la culture de l’Afrique lusophone à Lisbonne. Aujourd’hui, l’enfant de Sao Vicente a 39 ans et vient de sortir un album métissé, épicé et maîtrisé, Guilhermina (Universal Classics). Une petite merveille à mettre dans toutes les oreilles. Rencontre avec un musicien au talent de géant et au regard d’enfant.
Afrik : Pour votre dernier album, vous avez quitté Lusafrica pour Universal, pourquoi ?
Tito Paris : Lusafrica est une bonne structure et j’ai beaucoup de respect pour le travail que la maison fait sur l’Afrique. Mais elle commençait à devenir trop importante et nous n’avons pas trouvé les arrangements qui me convenaient. Universal est arrivé au bon moment. Je suis content de ce changement mais en même temps cela accroît mes responsabilités. Maintenant que l’album est sorti, il faut en assumer la promotion !
Vous avez la réputation d’être un musicien live. Le travail en studio freine-t-il votre inspiration ?
Quand j’enregistre en studio, j’aime retrouver l’ambiance du live. J’invite des gens pour recréer l’atmosphère d’un bar et ainsi pouvoir garder un contact avec le public. J’ai besoin de sentir une présence humaine de l’autre côté de la vitre pour que le travail sorte avec force et chaleur. Mes albums ont toujours une touche live. Je prends ma guitare et je transmets aux musiciens ce que je ressens du public. J’arrive à traduire toutes ces émotions même si je suis en studio. Mais pour moi, le premier vrai succès d’un artiste est celui qu’il rencontre en face de l’être humain, pas par l’intermédiaire d’un disque. J’ai longtemps travaillé sur scène sans enregistrer de disque. Je suis très attentif aux exigences du public, c’est ce qui donne le tonus, la force et qui permet de rester honnête.
Votre premier album, sorti en 1985, était uniquement instrumental. Vous y jouez d’ailleurs tous les instruments sauf le violon. Quand avez-vous commencé à chanter ?
C’était en Hollande, lors d’une tournée. Je jouais avec Voz di Cabo Verde dans un café-concert. Paulino Vieira, le chef de file, m’a demandé de chanter. J’étais bassiste à l’époque et je n’avais pas du tout envie de chanter ! Il a tellement insisté que j’ai fini par le faire. C’était une question de respect, d’amitié et une sorte de défi. Je n’ai pas aimé l’expérience, j’étais fou de rage qu’il ait réussi à me forcer ! Mais ensuite, j’ai fait les choeurs dans le groupe et les musiciens me laissaient de plus en plus d’espace pour chanter seul.
Et puis, vous avez fondé votre propre groupe…
Oui. C’est Dany Silva (grand chanteur capverdien installé à Lisbonne, ndlr) qui m’a poussé. Avec lui, j’ai enregistré des tubes qui m’ont fait connaître dans tout le Portugal. Lorsque nous jouions ensemble, il disait au public : « Tito n’est pas qu’un excellent musicien, il sait chanter aussi ! ». C’est lui qui m’a encouragé à quitter Voz di Cabo Verde et à former mon propre groupe.
Quel est l’album qui vous a rendu célèbre ?
Celui que j’ai sorti en 1991. Il m’a fait connaître partout dans le monde. Avant de faire ce disque, un enregistrement pirate d’un de mes live dans un cabaret lisboète en 1989 s’était vendu à 150 000 exemplaires dans plusieurs pays. D’ailleurs, cette cassette, enregistrée en stéréo et sans aucun travail, a été éditée en CD l’année dernière à Lisbonne !
Votre dernier album porte le nom de votre grand-mère, Ghuilermina.
C’est mon ultime source d’inspiration pour ce disque. Ma grand-mère méritait cet hommage. Je garderais toujours cette image d’elle qui passait son temps à s’occuper de la ferme et des animaux, qui aimait et protégeait sa famille. Une vraie matriarche ! C’était quelqu’un de très joyeux qui aimait plaisanter. Elle m’a beaucoup influencée. Elle a eu une trentaine de petits-enfants mais je suis le seul à avoir eu l’honneur de naître chez elle et dans son lit ! Je suis très attaché à ma famille. Dans un album précédent j’avais dédié un titre à ma mère et deux chansons à mes fils.
Quelles sont vos autres sources d’inspiration ?
Pour moi, le mot-clé est « harmonie ». Dans ma musique, je veux transmettre de belles sensations tout en parlant de choses qui me tiennent à coeur, comme ma famille ou mes amis. Musicalement, j’aime bien la fusion avec d’autres musiques, d’autres peuples, mais les racines capverdiennes doivent toujours être présentes. Je suis inspiré par la musique brésilienne, la semba angolaise, que j’ai mélangé avec la coladeira (sorte de zouk capverdien, ndlr) dans mon dernier album. J’ai également mis des rythmes du Mozambique. La funana du Cap-Vert se mélange avec le son de la région du Minho, dans le Nord du Portugal et j’ai ajouté une section de cordes à la morna (blues du Cap-Vert, ndlr). Je trouve que c’est un disque réussi car il est riche, diversifié et au carrefour de plusieurs cultures.
Cesaria Evora est la référence en matière de musique capverdienne. Vous ne trouvez pas qu’elle masque le reste de la production ?
Il y a de la place pour tout le monde. J’ai travaillé avec elle sur son premier album (il a écrit un titre et fait les arrangements, ndlr). Son succès est aussi le mien. A chaque fois qu’elle monte sur scène, qu’elle remporte un prix, ce sont des milliers de Capverdiens qui sont représentés. Je la vois plutôt comme quelqu’un qui a ouvert des portes. Elle a tracé une route, qu’elle continue de construire patiemment, et les autres musiciens empruntent cette route… qui est infinie !
Le bar de Tito : En’Clave – R. do Sol ao Rato n°71-A – 1250-262 Lisbonne, Portugal
Lire aussi : Tito Paris, l’esthète