Imidiwan (compagnons), le nouvel album de Tinariwen, arrive dans les bacs. Le groupe se trouve en France où il est en tournée tout le mois d’octobre. L’occasion de redécouvrir, avec ce quatrième opus, le savoureux blues sans cesse renouvelé des rebelles du désert. Eyadou, l’un des bassistes du groupe, conte à Afrik.com la fabuleuse histoire d’Imadiwan.
En Tamasheq, langue des Touaregs, Imidiwan signifie compagnons. Imidiwan, c’est le titre que les Tinariwen, anciens compagnons d’armes devenus compagnons de scène, ont choisi pour leur nouvel album, le quatrième, qui vient tout juste d’atterrir dans les bacs. Un atterrissage en douceur pour ces rebelles de la musique targuie, ces étonnants voyageurs du blues du Sahara, qui ont récemment posé leurs bagages en France où ils sont en tournée tout au long du mois d’octobre. Rebelles, parce qu’ils ont longtemps combattu la politique répressive du gouvernement malien contre les Touaregs. Le fusil à la main. Rebelles, car leurs chansons ne cessent de revendiquer de meilleures conditions de vie, plus de reconnaissance pour la langue, la culture, l’identité. Rebelles, parce que leur musique est un insolent mais astucieux mélange de rock, de blues et de musique traditionnelle.
Entre des riffs de guitares faussement ronronnant, qui vous donnent des coups de griffes quand vous vous y attendez le moins, et des complaintes travaillées dans des voix de pierres et de feu, les canons posés par les albums précédents restent d’actualité. A cette différence près que les effets que permettent la technologie des studios, effets de pédales et autres, sont passés à la trappe au profit des voix et des chœurs, plus présents, plus clairs et plus puissants que jamais. La faute à Jean-Paul Romann, producteur et ingénieux ingénieur du son qui a enregistré en extérieur à l’aide d’un studio mobile. Souvent en pleine brousse. La nuit.
Avant le coup d’envoi « officiel » de leur tournée, les Tinariwen étaient récemment de passage à Paris, où il devaient monter sur scène. Un concert organisé un peu à la va-vite pour fêter le dernier jour de Ramadan. Nous les avons rencontrés alors qu’ils s’apprêtaient à rejoindre le théâtre du Châtelet pour effectuer les balances. Dans un confortable duplex, qui semblait tout de même avoir du mal à contenir cette nombreuse et joyeuse fratrie habituée aux grands espaces. L’interview devait se dérouler en compagnie de Eyadou (bassiste) et Abdallah (guitariste et compositeur), plus connu sous le quolibet de « catastrophe ». « catastrophe » a déclaré forfait à la dernière minute. Evaporé comme un mirage dans le désert.
Afrik.com : Abdallah devait nous rejoindre pour l’interview, pourquoi ne vient-il pas ?
Eyadou : C’est carême. Il fait ramadan. La fatigue.
Afrik.com : Quand avez-vous rejoint le groupe ?
Eyadou : J’ai rejoint le groupe en 2000, je suis plus ou moins ancien dans le groupe. J’ai fait toutes les tournées avec Tinariwen.
Afrik.com : Que représente Imidiwan pour vous ?
Eyadou : Imidiwan, ça veut dire mon ami. Le précédent album nous l’avions intitulé Aman Iman (l’eau c’est la vie, ndlr). Ton ami, c’est comme l’eau, c’est la vie. Ces deux choses nous manquent beaucoup. Quand tu as la nostalgie, tu as besoin de gens, d’amis, d’énergie. On ne peut pas se séparer de ses amis. On ne peut pas avancer seul.
Afrik.com : Dans Imidiwan, il semble que vous donnez plus de place aux chœurs, à la voix
Eyadou : Nous avons fait l’album chez nous, dans le désert. Tranquille. Nous n’avons pas utilisé beaucoup de matériel, pas beaucoup de technologie. Parce que dans notre musique, la culture est aussi importante. Les gens, chez nous, et en Afrique en général, chantent beaucoup en chœur. Aussi bien les hommes que les femmes. Nous avons renforcé cet aspect-là.
Afrik.com : Vous avez travaillé avec un studio mobile, comment s’est passé l’enregistrement ?
Eyadou : Nous avons enregistré dans les villes du nord du Mali, dans le désert et en brousse, avec seulement une sono et quelques baffles. Avec Jean-Paul (le producteur, ndlr), nous partions souvent la nuit, pour enregistrer. Parce que la nuit, c’est très calme. Tu es entouré de silence. Il y a une très bonne qualité de son.
Afrik.com : On qualifie souvent votre musique de « blues du désert ». Mais vous, vous préférez dire Assuf. Que veut dire Assuf ?
Eyadou : Assuf c’est la nostalgie, le manque. C’est un sentiment que nous avons toujours. Dans le désert, nous ne sommes pas vraiment connectés avec le reste du monde. Là-bas, tu te sens toujours seul. Il fait chaud, il n’y a pas beaucoup de moyens. Mais malgré tout, nous sommes très contents. Nous ressentons toujours à la fois cette souffrance et ce bonheur de vivre dans le désert.
Afrik.com : Parlez-nous de vos influences musicales
Eyadou : J’écoute beaucoup de musiques. Beaucoup de styles. J’ai de la chance parce que je fais partie d’une génération, au Mali, qui a eu des petits moyens pour écouter de la musique. Contrairement aux anciens. J’ai écouté notamment de la musique arabe, beaucoup de musique algérienne. Le raï surtout. Des chanteurs comme Hasni, Nasro, Bilal, le groupe Raïna Raï que j’aime beaucoup. J’ai pu aussi écouter beaucoup de Gnawa. Mais je n’ai pas eu la chance de rencontrer ces gens-là, sauf Khaled. En tout cas, ils m’ont donné beaucoup de courage, et beaucoup d’idées aussi.
Afrik.com : En Afrique les gens ont-ils la possibilité de vous écouter, de vous voir en concert ?
Eyadou: Oui, bien sûr, nous avons un concert en janvier à Tamanrasset, en Algérie. Nous avons aussi d’autres festivals au Mali. Le festival du désert et le festival du chameau, qui se déroule sur 3 jours. Toujours en janvier.
Afrik.com : Vous nous aviez habitués à une musique militante, des textes politiques. Les choses se sont plus ou moins calmés avec le gouvernement malien. Imidiwan est-il un album militant ?
Eyadou : Je pense que nous restons toujours dans le même style. C’est une façon d’être. Quand nous manquons de quelque chose, nous le réclamons. C’est normal. Les gens réclament tout le temps, dans le travail, à la maison, avec les amis, dans les rêves. Il faut réclamer des choses, sans forcément provoquer. Nous sommes ainsi. Notre population réclame toujours. Nous demandons de l’eau, nous demandons la paix, nous demandons la guerre s’il le faut.
Afrik.com : On dit souvent que votre est langue, le Tamasheq, est menacée
Eyadou : Je ne pense pas que nous soyons en train de perdre notre langue. Tellement nous aimons beaucoup de langues, nous ne risquons pas de perdre la nôtre. Chez nous, tout le monde parle arabe. Nous sommes des musulmans. Nous prions en arabe, et nous faisons notre devoir de musulman, mais notre langue reste le Tamasheq. Elle n’est pas mélangée avec l’arabe. Regardez le kabyle (dialecte amazigh parlé dans le nord de l’Algérie, ndlr). J’ai senti que le Kabyle se perd quelque peu. Parce qu’il y a beaucoup de mots qui viennent d’autres langues, comme l’arabe et le français. Ce n’est pas pareil pour le Tamashq. Il est resté le même.
Afrik.com : Pourquoi appelle-ton votre ami Abdallah « catastrophe » ?
Eyadou : C’est parce qu’il s’agit du premier mot qu’il a appris en français. Si tu lui parles un peu, il dit : « Catastrophe ! Catastrophe ! » (Rires). Nous avons fini par l’appeler ainsi. Abdallah « catastrophe » (Rire).
Afrik.com : Et vous, vous avez un surnom ?
Eyadou : Moi, non ! Par pour l’instant (rires).
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