TiMalo slame pour prévenir. C’est toujours mieux que guérir. TiMalo slame aussi pour rappeler le passé. Histoire de montrer comment les maux d’hier nourrissent ceux d’aujourd’hui. Le jeune guadeloupéen a accordé une interview à Afrik à l’occasion de la sortie de son premier album, Pawol Funk-Kè. Il revient notamment sur ses rêves d’indépendance pour l’île qui l’a vu naître.
Le visage de TiMalo dégage beaucoup de douceur. Mais à l’intérieur, il bout de colère. Les injustices du monde le rongent. La preuve en musique avec Pawol Funk-Kè, sorti le 4 décembre. Sur ce premier album, aux influences jazz, hip-hop et créole, le Guadeloupéen de 35 ans parle sida, terrorisme ou encore colonialisme – un thème qui lui est particulièrement cher. Car comme son père, maire de Bouillante, il se languit du jour où le département d’outre-mer qui l’a vu naître sera indépendant… Pour résumer, on peut dire que Pawol Funk-Kè balance pas mal. Au sens propre comme au sens figuré.
Afrik.com : Pourquoi ce nom, TiMalo ?
TiMalo : En juillet, je devais préparer un slam avec Brother Jimmy et, pendant qu’on travaillait, il me disait : « A chaque fois que je te vois, j’ai envie de t’appeler Timalo ». J’ai trouvé que c’était bien : ça faisait diminutif de Thierry et en même temps « ti Malo », ce qui veut dire le fils de Malo en créole.
Afrik.com : Pawol Funk-Kè, c’est une partie d’un tout…
TiMalo : Pawol Funk-Kè fait partie du concept Pawol a lom vo lom, dans lequel il y a un livre, un spectacle et un CD. L’idée de ce projet est de questionner un peu l’identité guadeloupéenne, de porter un regard sur les Guadeloupéens et de les inviter à apporter leur contribution au monde. Cela se fait à travers plusieurs thèmes, que ce soit les jeunes – ou les moins jeunes d’ailleurs – qui ont tendance à prendre un peu trop modèle sur les personnages de cinéma. Les relations hommes-femmes, l’enfance et l’éducation, l’indépendance… J’aborde tout ça dans le concept Pawol a lom vo lom. C’est aussi un parcours de vie, un cheminement personnel qui m’amène à réfléchir sur certains sujets.
Afrik.com : Il y a un côté humoristique et cynique aussi dans vos textes…
TiMalo : Oui, c’est vrai. Je dois être le seul slameur drôle de Guadeloupe ! Mais ce n’est pas un choix : je suis arrivé, j’ai fait mon premier texte et ça a fait rire les gens ! Je me suis dit : « Si ça fait rire, tant mieux ! » Il y a aussi l’idée que, soit on devient extrémiste, soit on rigole. Il n’y a pas d’autre manière de supporter l’insupportable ou de soutenir l’insoutenable. Soit on déconne à fond pour mieux vivre avec, soit on devient extrémiste… et j’en avais pas envie !
Afrik.com : Pourquoi la chanson « Ivwaryen » ?
TiMalo : C’est un texte que j’ai écrit par rapport aux violences qui se sont passées en Côte d’Ivoire début 2006. J’avais vu dans un reportage de « Lundi Investigation », sur Canal+, que des gens avaient manifesté pacifiquement et qu’ils s’étaient fait attaquer par l’armée française, et ça m’avait choqué. Vraiment choqué. Je me suis dit : « Si la France est capable de faire ça dans un pays indépendant, qu’est-ce qu’elle est capable de faire en Guadeloupe ? » J’ai écrit ce texte-là pour dire un peu la similitude et la proximité qu’il peut y avoir entre un Guadeloupéen et un Ivoirien. Je conclus d’ailleurs la chanson en disant que la Guadeloupe et la Côte d’Ivoire ne sont pas voisins, mais que moi et un Ivoirien, on se ressemble.
Afrik.com : En quoi ?
TiMalo: Dans l’état de « colonialité » dans lequel nos pays se trouvent encore. La colonisation est sensée être terminée mais on est quand même à la merci de la France. Elle peut faire n’importe quoi.
Afrik.com : Vous parlez de colonisation, mais la Guadeloupe est sensée faire partie de la France…
TiMalo : La Guadeloupe fait administrativement partie de la France. Mais à partir du moment où [le premier ministre François] Fillon parle de peuple guadeloupéen, le peuple guadeloupéen n’est pas le peuple français. A partir de là, on est sous tutelle. Il n’y a pas photo, on est sous tutelle.
Afrik.com : Etes-vous pour l’indépendance de la Guadeloupe ?
TiMalo : Moi, je suis pour l’indépendance, mais ça ne m’empêche pas d’être démocrate, d’être progressiste. L’idée, c’est qu’à un moment donné les Guadeloupéens diront, et j’y crois sincèrement, « voilà ce qu’il faut pour notre pays ». Et à partir du moment où ils feront ça, quelque soit le cadre juridique, ils auront pris leurs responsabilités et ils seront très, très contents. Je pense que ça va arriver un jour ou l’autre. Mais ce qu’il faut, c’est que ça ne nous tombe pas dessus. Il faut qu’on se prépare nous de notre côté à assumer un jour nos responsabilités.
Afrik.com : Quel est le message de « Bétiz Fennyantiz é Kouyonnis »
TiMalo : L’idée du texte c’est de dire que certains vont te dire : « Mais pourquoi tu te fais chier à faire des études, pourquoi tu te fais chier à bosser alors que les autres s’amusent ? Pourquoi tu te fais chier pour espérer gagner du fric alors que les autres vendent de la drogue et gagnent plus que ce que tu auras ? Pourquoi tu te fais chier à la bibliothèque alors que d’autres sont au lit à deux ou à trois ». Mais c’est ton avenir au sens large que tu prépares. Ton avenir au sens large. J’ai fait des études et je suis content de les avoirs faites : ça m’a donné une ouverture d’esprit, une culture, une capacité à faire des choses… Ça m’a construit en tant que personne.
Afrik.com : Pourquoi slamez-vous en créole ?
TiMalo : Il y a plusieurs raisons : le créole est la langue des Guadeloupéens et, pour beaucoup de Guadeloupéens, le créole est la première langue. La deuxième raison, c’est que le créole est ma première langue, même si je suis à l’aise en français, c’est ma langue première. C’est la langue dans laquelle j’ai grandi, la langue de ma mère, mon père, ma grand-mère, mes aïeux… C’est la langue que toute ma famille parle. C’est la langue que j’ai envie de faire grandir. Troisième point : pour ceux qui veulent entendre ou apprendre le créole, aujourd’hui concrètement tu as du zouk, de la dancehall, et c’est à peu près tout. Donc je me suis dit : « Vu que je slame en créole aux Slam Sessions, tant qu’à faire, faisons un bouquin. Essayons de proposer autre chose : un langage de mon temps, mais un créole travaillé ». Par ailleurs, je me suis rendu compte que la littérature française ne m’intéresse pas beaucoup mais que j’ai envie de faire de la littérature créole. J’ai envie de faire du créole qui soit bien, qui soit beau.