Thomas Sankara « serrait trop la ceinture et il empêchait les uns et les autres de manger »


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Thomas Sankara
Thomas Sankara

Après plusieurs jours de suspension, le procès de l’assassinat de Thomas Sankara et ses collaborateurs a repris depuis mercredi. Retour sur les deux jours de plaidoiries.

Suspendu depuis le 12 janvier après le passage des proches des victimes Paulin Bamouni, journaliste, conseiller de Thomas Sankara et responsable de la presse présidentielle, Walilaye Ouédraogo, soldat de première classe, et Amadou Sawadogo, le procès de l’assassinat de Thomas Sankara et ses compagnons devrait reprendre le lundi 24 janvier 2022 avec les plaidoiries des différentes parties. Mais, avec le putsch qui a entraîné la suspension de la Constitution, le tribunal a dû repousser la réouverture des audiences au mercredi 2 février, puisque la Constitution avait été entre-temps rétablie, le lundi 31 janvier 2022.

Retour sur les faits essentiels de la journée du mercredi

Le procès de l’assassinat de Thomas Sankara et ses compagnons a repris, mercredi 2 février, avec la plaidoirie des avocats de la partie civile. Tour à tour, Maîtres Ferdinand Nzepa, Anta Guissé, Ambroise Farama et Olivier Badolo ont développé leurs argumentaires pour prouver la culpabilité des accusés dans l’assassinat du Président du Faso et 12 de ses compagnons. Pour Me Ferdinand Nzepa, il est évident que ce qui sortira de ce procès « c’est une vérité qui ne sera pas parfaite parce que les faits se sont déroulés il y a plus de trois décennies. Beaucoup d’eau a donc coulé sous les ponts. Certains accusés ont cru que le mensonge pourrait les tirer d’affaire. Quelques témoins ont fait preuve de sincérité, d’autres de roublardise. Certains aussi ont préféré prendre la poudre d’escampette. Il s’agit de Hyacinthe Kafando et Blaise Compaoré qui a trouvé comme refuge les berges de la lagune Ebrié ».

À en croire l’avocat, il n’y a pas l’ombre d’un seul doute que le coupable dans cette affaire, c’est Blaise Compaoré qui s’est assuré des soutiens tant à l’intérieur comme à l’extérieur du pays avant de dérouler son plan. À l’extérieur, « il a eu l’assurance de la France, de la Côte d’Ivoire et de la Libye », a déclaré Me Nzepa, avant d’ajouter : « À l’interne, il savait qu’il pouvait compter sur beaucoup de personnes. Dans l’armée, il y avait Gilbert Diendéré ; dans la gendarmerie, il y avait Jean-Pierre Palm. Dans le milieu traditionnel également, les partis politiques, et les chefs religieux ». Blaise Compaoré avait beaucoup de soutiens au plan interne parce que s’il y avait un reproche qui était fait à Thomas Sankara, c’est qu’« il serrait trop la ceinture et il empêchait les uns et les autres de manger », a complété l’avocat.

À la suite de Me Ferdinand Nzepa, la parole a été accordée à Me Anta Guissé qui s’est étendue sur le contexte juridique, les aspects techniques du dossier pour conclure à un attentat à la sûreté de l’État, un des chefs d’accusation retenus contre les principaux accusés dans cette affaire. Les interventions de Me Ambroise Farama et de Me Olivier Badolo sont allées dans le même sens, celui de prouver la culpabilité des accusés au regard du droit et des textes législatifs en vigueur.

Les plaidoiries de la partie civile se sont poursuivies jeudi

Le lendemain, jeudi 3 février 2022, les avocats de la partie civile sont revenus à la charge. Ils ont pris les accusés individuellement. Ainsi, les cas de Gilbert Diendéré, Nabonswendé Ouédraogo, Bossobé Traoré, Jean-Pierre Palm, Tibo Ouédraogo, Diakalia Démé, Albert Pascal Sibidi Belemlilga et Yamba Elisée Ilboudo ont été épluchés. Parlant de Gilbert Diendéré, les avocats ont démontré, preuves à l’appui, qu’il est bien coupable du chef d’accusation de subornation de témoin pour avoir tenté, par l’entremise de son chauffeur, Ninda Pascal Tondé, d’intimider le témoin Abderrahmane Zétiyenga. Mieux, s’appuyant sur plusieurs facteurs comme le fait que :

1. aucun examen médical ne soit effectué sur les corps pour déterminer la cause des décès

2. les corps n’aient pas été remis à leurs familles et soient plutôt « enlevés et inhumés en cachette »,

3. les corps n’aient jamais été enterrés : ils « ont été couverts de terre. La profondeur de ce qu’on peut appeler tombe se situait entre 45 à 60 centimètres pour les chanceux », Me Séraphin Somé soutient que « l’infraction de recel de cadavres mise sur la tête du général Gilbert Diendéré est suffisamment constituée », étant donné qu’il était le responsable de la sécurité du lieu du drame. Quant aux accusés Nabonswendé Ouédraogo et Bossobé Traoré qui, au moment de leur audition, avaient nié toute implication dans l’assassinat des treize hommes, le 15 octobre 1987, Me Jean-Patrice Yaméogo a balayé du revers de la main leurs propos, s’appuyant sur beaucoup d’éléments parmi lesquels le témoignage de Yamba Élisée Ilboudo.

Sur le cas précis de Nabonswendé Ouédraogo, l’avocat a rappelé les propos de l’accusé Ilboudo : « Yamba Élisée Ilboudo a dit qu’il a trouvé effectivement Nabonswendé Ouédraogo au domicile de Blaise Compaoré afin qu’ils se rendent au Conseil. Ilboudo a également dit que dans la Galante qu’il conduisait, se trouvait Nabonswendé Ouédraogo ».
Mieux, Me Yaméogo a insisté sur le fait que le rescapé Alouna Traoré et bien d’autres témoins ont noté la présence de l’accusé Nabonswendé Ouédraogo parmi les membres du commando. L’avocat estime, par ailleurs, qu’en embarquant du domicile de Blaise Compaoré pour le Conseil de l’entente, muni d’un armement lourd, Nabonswendé Ouédraogo était bien imprégné de la mission.

Au regard de tous ces éléments, la posture de dénégation systématique adoptée par l’accusé ne saurait le tirer d’affaire, à en croire Me Yaméogo. Même chose pour Bossobé Traoré qui se trouve plongé par plusieurs facteurs, allant de sa confession à son amie intime, Thérèse Kationga, le 12 octobre 1987, jusqu’à sa présence sur les lieux du drame, le 15 octobre, alors qu’il n’était pas de service, en passant par les avantages substantiels dont il a bénéficié de la part du nouveau pouvoir à partir de novembre 1987.

Comme dans le cas des accusés précédents, plusieurs éléments sont à charge contre Jean-Pierre Palm en dépit du fait qu’il ait tout nié au cours de son audition et des différentes confrontations. Me Anta Guissé s’est fait l’honneur de dresser la liste de ces éléments pour prouver la culpabilité de l’ancien patron de la gendarmerie nationale. Entre autres éléments, il y a la question des écoutes téléphoniques, sa présence au Conseil de l’entente, le soir du 15 octobre, sa promotion comme patron de la gendarmerie tout juste après le drame, et surtout l’arrestation systématique de tous les proches de Sankara après le coup d’État. Qu’il les reconnaisse ou pas, Jean-Pierre Palm devra, selon l’avocate, répondre de faits qui lui sont reprochés.

Même chose pour les accusés Tibo Ouédraogo, Diakalia Démé, Albert Pascal Sibidi Belemlilga dont Me Julien Lallogo s’est occupé dans sa plaidoirie qu’il a conclue en ces termes : « À la lumière de ces faits et des éléments de preuve que nous avons, nous, partie civile, nous concluons qu’il y a bel et bien complicité d’attentat à la sûreté de l’État. On vous demande, M. le président, de leur décerner la peine que vous jugerez nécessaire, juste et équitable afin que les familles puissent enfin faire le deuil. Nous nous remettons à votre sage appréciation ».

Concernant Yamba Élisée Ilboudo, Me Ferdinand Nzepa a appelé à la clémence du tribunal sur son cas, après l’avoir chargé. En effet, dans la première partie de sa plaidoirie, l’avocat a prouvé la culpabilité de l’accusé en s’appuyant sur son propre témoignage. C’est toujours en prenant appui sur le même témoignage qu’il a fini en plaidant pour son cas. « Sans Élisée, on serait sans la version de ceux qui étaient au Conseil de l’entente, et on n’aurait même pas envisagé que les auteurs du complot étaient partis de chez Blaise Compaoré. C’est parce qu’Élisée a parlé qu’on sait que le commando est parti de chez Blaise Compaoré pour arriver au Conseil ; donc sans Élisée Yamba, on ne pouvait pas avancer dans ce dossier », a-t-il déclaré.

Et de poursuivre : « Je pense que c’est parce qu’il a eu beaucoup de remords depuis 1987, qu’il a dû, devant le juge d’instruction, dire ce qu’il avait à dire. Et je pense que c’est un poids qu’il portait depuis des années, et il fallait qu’il se soulage. Et quand on fait cet effort devant les juges, je pense qu’il faut que le tribunal en tienne compte ».

A lire : Les derniers mots de Thomas Sankara : « Asseyez-vous, c’est de moi qu’ils ont besoin »

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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