Thomas Sankara : « On ne meurt pas deux fois »


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L'ancien Président du Burkina Faso, Thomas Sankara
Thomas Sankara

L’audition des témoins se poursuit dans le cadre du procès de l’assassinat de Thomas Sankara. Au total, huit témoins sont passés à la barre, ce lundi 20 décembre. L’essentiel des dépositions a tourné autour de la FIMATS (Force d’intervention du ministère de l’Administration territoriale et de la Sécurité) et de la tentative des éléments du CNEC (Centre national d’entraînement commando) de prendre le contrôle de cette unité alors commandée par Vincent Sigué, un fidèle parmi les fidèles de Thomas Sankara.

Du témoignage du commissaire divisionnaire à la retraite par ailleurs ancien numéro 2 de la FIMATS, Ambroise Diarra, il ressort que la collaboration a été « pacifique » entre les hommes dépêchés à la FIMATS du lieutenant Tibo Ouédraogo (aujourd’hui colonel à la retraite et accusé dans le procès) et les éléments de cette unité alors en construction. Du témoignage, il ressort que l’équipe conduite par Tibo Ouédraogo a été envoyée pour prendre le contrôle de la FIMATS. Car, Gilbert Diendéré redoutait une riposte de cette force en tandem avec l’ETIR (Escadron de transport et d’intervention rapide) après l’assassinat de Thomas Sankara.

Mais, à la fin, la collaboration était si pacifique que, des propres mots du témoin, Tibo Ouédraogo lui aurait remis un pistolet automatique. « Nous avons eu une attitude de vaincus. C’est de manière pacifique que Tibo est resté avec nous. Il n’y a pas eu de velléités d’attaques (…) Je ne me suis jamais senti en insécurité avec lui. Je crois que Tibo est venu en premier lieu pour prendre la FIMATS, mais sur les lieux, il s’est rendu compte que ce qu’on disait de la FIMATS n’était pas ça. Il s’est rendu compte qu’il n’y avait pas d’atomes crochus entre nous et l’Escadron de transport et d’intervention rapide. De plus, il a certainement compris qu’avec moi, il fallait plus échanger que tirer », a déclaré le témoin.

La FIMATS avait, en effet, la réputation d’être une unité pro-Sankara, même si le témoin à la barre a tenté de dissiper cette perception. « Il n’a jamais été dit à la FIMATS que nous étions des éléments pro-Sankara », a soutenu le commissaire. Il a, par ailleurs, apporté un démenti formel à un quelconque complot en préparation contre Blaise Compaoré pour le 15 octobre 1987, à 20 h : « Comme je l’ai dit, nous étions en construction. Nous n’avons jamais fait de tirs ensemble. Est-ce qu’on peut s’aventurer à prendre une telle troupe pour faire un coup ? Jamais ».

Invité à la barre à la suite des propos d’Ambroise Diarra, Tibo Ouédraogo ne reconnaît pas avoir remis un pistolet automatique au numéro 2 de la FIMATS. Gilbert Diendéré, pour sa part, nie avoir envoyé Tibo Ouédraogo désarmer la FIMATS, mais reconnaît avoir félicité le commissaire Ambroise Diarra pour n’avoir pas pris les armes, contrairement aux fortes rumeurs qui circulaient à l’époque. Le témoignage d’Abel Ouédraogo, un autre commissaire divisionnaire à la retraite, à l’époque, également en service à la FIMATS, est venu confirmer le réel motif de la présence du lieutenant Tibo Ouédraogo dans les locaux de l’unité.

« Deux grands sont en train de se battre pour le pouvoir, mais l’un est décédé. Nous sommes vos amis et nous sommes venus vous appuyer », aurait déclaré Tibo Ouédraogo, à son arrivée à la FIMATS. Mais, deux propos sortis de sa bouche ont trahi les vraies raisons de sa présence, à en croire le témoin. D’abord, à la vue du dispositif en place à la FIMATS, il aurait laissé s’échapper ce bout de phrase : « On m’avait envoyé à l’abattoir ». Ensuite, il demandera aux éléments de la FIMATS : « Si vous apercevez votre commandant Sigué, vous l’abattez ! »

Ce lundi 20 décembre, l’adjudant à la retraite, Émile Nacoulma, était également à la barre. Sergent-chef à l’époque des faits, il était le chef du premier groupe de la sécurité rapprochée de Thomas Sankara. De son témoignage, il ressort que quelques heures avant son assassinat, le Président du Faso voyait clairement le coup venir. Le 14 octobre alors qu’il a passé toute la journée avec le capitaine, les deux auraient discuté de l’atmosphère pesante de crise qui régnait au sein du CNR. Thomas Sankara lui aurait dit : « On ne meurt pas deux fois ». Et le témoin de poursuivre : « Le Président m’a dit que ça peut arriver comme ça peut ne pas arriver. Mais, il m’a dit de ne pas oublier ses enfants, Philippe et Auguste, si cela devait arriver ».

Quand le drame s’est produit, Émile Nacoulma s’est empressé effectivement d’aller mettre les deux fils du capitaine à l’abri. Et dans la foulée, Salif Diallo et Abderrahmane Zétiyenga seraient allés « pour la énième fois fouiller le bureau de Thomas Sankara ». « Il y avait les photos des fils du Président, poursuit le témoin. Salif Diallo a pris les photos et a dit : “Ces bâtards-là” avant de les jeter. Les photos sont tombées sur la moquette ».

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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