Les émeutes s’intensifient en Egypte depuis que Mohamed Morsi a décidé de renforcer ses pouvoirs. Pour de nombreux Egyptiens, cette mesure menace la démocratie et la révolution qui a conduit à la chute de Hosni Moubarak, le 11 février 2011. Plusieurs milliers de manifestants ont de nouveau occupé la place Tahrir mardi, réclamant la démission du chef d’Etat, qu’ils nomment désormais le « nouveau pharaon ». Tewfik Aclimandos, chercheur spécialiste de l’Egypte, analyse la situation pour Afrik.com.
Afrik.com : En renforçant ses pouvoirs, que cherche à faire Mohamed Morsi ?
Tewfik Aclimandos : Il cherche à tout contrôler. De toutes les façons, contrairement à leurs promesses, les Frères musulmans ont toujours eu l’intention de s’accaparer tous les pouvoirs. Leur objectif est d’instaurer une théocratie. Ils n’ont aucun intérêt pour la démocratie, qui ne constitue pas du tout leur préoccupation. La seule chose qui les intéresse, c’est d’établir leur programme sans se soucier du reste. Le parti des Frères musulmans est une organisation sectaire qui veut uniquement le pouvoir. D’ailleurs, ils sont également majoritaires au sein de la Commission qui était chargée de rédiger la Constitution. Ce que contestent les partis d’opposition. Malgré les critiques, les Frères ont toujours refusé que cette Commission soit dissoute. Pour le moment le pays n’a pas de régime politique. On ne sait pas encore ce qui a été établit au sein de cette Constitution.
« La révolution n’est pas achevée »
Afrik.com : Comment l’électorat des Frères musulmans voit la situation ? Soutient-t-il toujours Mohamed Morsi ?
Tewfik Aclimandos : Beaucoup d’électeurs sont mal à l’aise avec l’idée que Mohamed Morsi s’accaparent tous les pouvoirs. Les Frères musulmans ont perdu la moitié de leur électorat. Ceux qui ont voté pour eux sont très déçus d’eux depuis qu’ils sont arrivés au pouvoir. Les électeurs espéraient que les Frères apprendraient vite le fonctionnement du processus démocratique pour gérer les affaires du pays. Ils se sont rendus compte que ce n’est pas le cas et qu’ils n’ont tenu aucune de leurs promesses. Ils se sont aussi rendus compte que les Frères mentent tout le temps ! Malgré les protestations à leur encontre, les Frères restent très soudés. Ce qui constitue un avantage pour eux par rapport à leurs opposants. Le parti est en effet extrêmement discipliné. C’est sa principale force. Même s’il y a des dissensions, tout le monde fini par suivre la même politique.
Afrik.com : Si la contestation s’amplifie, Mohamed Morsi pourrait-il être renversé ?
Tewfik Aclimandos : Oui c’est possible. Actuellement, tout est possible en Egypte. Mais il faut attendre de voir comment la situation va évoluer. Pour le moment il est encore trop tôt pour se prononcer. On ne sait pas encore comment va réagir le peuple dans les prochaines jours à venir. La situation pourrait s’arranger si les Frères musulmans renoncent à leurs projets et décident de reculer. Mais une chose est sûre, ils ne le feront pas d’eux même si on ne les bouscule pas. En tout cas, il y a de la résistance. La révolution n’est pas achevée. Certains disent que l’Egypte connait actuellement une nouvelle révolution avec cette vive contestation. Mais moi je pense que celle de janvier qui a conduit au renversement de Hosni Moubarak, continue jusqu’à présent.
« politique calamiteuse des Frères musulmans »
Afrik.com : Les révolutionnaires qui ont contribué à la chute d’Hosni Moubarak ne constituent pas une force politique importante dans le pays. Que deviennent-ils ?
Tewfik Aclimandos : Les révolutionnaires sont toujours là. Ils tentent toujours de se faire entendre même s’ils ne représentent pas une force politique en soi dans le pays. Les Egyptiens sont en colère pour plusieurs raisons. Ceux de la classe moyenne contestent les Frères musulmans par rapport à la Constitution qu’ils ont voulu écrire seuls. Et les plus démunis se plaignent de leurs conditions de vie, qui se sont détériorées depuis la chute du régime de Hosni Moubarak. L’insécurité a augmenté. L’économie égyptienne ne fonctionne plus. Au moins un million d’emplois doit être créé par an. L’Egypte a besoin d’investissements étrangers. La révolution a été un véritable tremblement de terre pour le pays, ce qui a aussi mis à mal le tourisme.
Afrik.com : Les Frères musulmans sont-ils en mesure de redresser l’économie ?
Tewfik Aclimandos : Les Frères ont présenté un programme économique qui tient à peu près la route. Ce n’est pas sur le plan économique qu’il faut le plus craindre leur gestion du pays mais sur le plan politique. Leur politique est tellement calamiteuse que rien ne peut plus fonctionner. Sans compter que les manifestations qui sont désormais récurrentes n’arrangent pas les choses. Les Egyptiens veulent désormais de la pluralité au sein de la vie politique. Une revendication que les Frères musulmans ne respectent pas.