Ambassadeur de bonne volonté de l’Unesco depuis 1998, Cheick Modibo Diarra est une figure de proue du monde scientifique africain. En tant que navigateur interplanétaire à la NASA, il a acquis une notoriété internationale, notamment avec le Pathfinder qui, après un voyage de 497 millions de kilomètres, s’est posé sur la planète Mars en juillet 1997. Interview.
La tête dans les étoiles, mais les pieds bien sur terre, le célèbre astrophysicien d’origine malienne n’a pas oublié l’Afrique qu’il a quittée voici 30 ans. Il y retourne régulièrement et oeuvre pour son développement. « J’ai cette chance d’avoir un pied sur mon continent, dont on connaît les difficultés, et un pied aux Etats-Unis, dans le laboratoire le plus sophistiqué du monde », dit-il, avant d’ajouter : « Cela m’amène à envisager systématiquement des solutions hybrides ». Esprit très pragmatique, il aime attaquer les problèmes de front, proposant des solutions concrètes, rapides, peu onéreuses, donc tout à fait réalisables. Et il ne se contente pas de ce qu’il appelle des » bricolages « . Il vise l’excellence.
En tant que président de la Fondation Pathfinder pour l’Education et le Développement en Afrique (FEDA), vous avez créé des camps d’excellence pour les lycéennes en classe de première scientifique.
C’est une façon de motiver les élèves, de leur donner une occasion d’acquérir des connaissances supplémentaires et d’offrir aux plus brillantes une chance d’étudier dans les universités les plus prestigieuses du monde. Les camps d’excellence se tiennent en été et durent trois semaines. Depuis 2000, ils sont organisés chaque année dans un des pays de l’Union Monétaire Ouest Africaine (Bénin, Burkina, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo). Après Bamako et Dakar, c’est le tour de Yamoussoukro, cette année. A la suite d’un concours, la lauréate obtient une bourse d’études supérieures aux Etats-Unis ou en Europe, pour une durée de quatre ans, attribuée par la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Depuis l’année dernière, nous avons monté un camp à l’intention des enseignants aussi, car il ne sert à rien de former les étudiants si on oublie les formateurs.
Vous avez également fondé un Centre de nouvelles technologies à Bamako. Quel public concerne-t-il?
Les Africains savent que les nouvelles technologies apportent un plus, mais ils ne voient pas toujours clairement comment elles peuvent avoir un impact sur leur vie personnelle. Ce centre, ouvert à tout le monde, propose des séminaires sur Word, Excel ou tout autre logiciel, mais aussi sur l’usage professionnel d’Internet, le commerce électronique, la création d’un site Web, etc. Il dispose d’une vingtaine de machines – mais, je vais en commander encore 40 – et d’un staff très compétent.
Le personnel, est-il malien ou américain ?
Il est local. Ce sont des jeunes très enthousiastes recrutés sur place. Ils ont conçu, par exemple, un logiciel qui permet de gérer la facturation des téléphones cellulaires au Mali. Voilà un problème de réglé, qu’il n’est plus nécessaire de résoudre à l’extérieur.
Vous aviez rêvé d’installer en Afrique des ordinateurs qui marchent à l’énergie solaire, pour pallier le manque d’électricité. Cette idée a-t-elle avancé, abouti ?
Ni l’un ni l’autre. Vous savez, pour lancer un projet, il faut de l’argent. Faute de moyens, beaucoup d’idées, comme celle que vous évoquez, ne dépassent pas le stade de propos académiques. Et l’an prochain, on en reparlera encore… Le mécénat est une idée étrangère à l’Afrique.
Que devraient faire les entreprises africaines pour le développement de leur continent ?
Elles devraient avant tout comprendre qu’elles ont intérêt à avoir une main d’oeuvre très qualifiée, si elles veulent participer à la compétition internationale. Au lieu d’attendre que les étudiants soient formés par l’Etat et d’essayer, par la suite, de les adapter à leurs besoins particuliers – ce qui est du bricolage, qui coûte cher, de surcroît – nos entrepreneurs devraient faire un tour des universités, identifier les élèves les plus brillants et leur donner des bourses pour des recherches qui intéressent leurs sociétés. De cette manière, ils pourraient, non seulement rentabiliser leurs produits, mais aussi en créer de nouveaux.
Une autre idée qui peine à démarrer : un satellite de communication ouest africain.
L’an dernier j’étais à Dakar et j’ai vu que l’opérateur principal des télécommunications au Sénégal, la Sonatel, avait fait un bénéfice de 50 milliards de francs CFA pour l’année. Vu que cette société n’a pas de satellite, elle doit louer des canaux et les payer quelques 75 à 100 milliards de francs CFA à une entreprise étrangère. Multipliez ce montant par le nombre de pays ouest africains et vous verrez ce que ça donne !
Financièrement, est-ce possible ?
L’achat et le lancement d’un satellite de communication coûtent 200 millions de dollars, soit quelque 150 milliards de francs CFA. Il suffirait de 10 millions d’abonnés à Internet, qui ne payeraient que la modique somme de 20 $ par an, dans l’ensemble des pays ouest africains, pour couvrir les frais d’un satellite commun. Cela veut dire que la téléphonie et la télévision apporteraient, dès la première année, du pur bénéfice. Qui plus est, la durée de vie d’un satellite de communication est de 17 ans. Par conséquent, pendant les 16 ans à venir, ces pays gagneraient l’équivalent du prix de location d’un satellite, pour construire autant d’écoles et de routes qu’ils voudraient. Sans oublier que ce satellite offrirait des avantages considérables aux entreprises ouest africaines qui, malgré leurs prix compétitifs, perdent beaucoup de clients à cause des mauvaises communications téléphoniques.
Qu’est-ce qu’on attend, alors ?
Beaucoup d’intérêts sont en jeu. Les compagnies qui louent leurs canaux voient d’un mauvais oeil cette opportunité et les décideurs africains doivent faire montre de beaucoup d’habilité. C’est le lot de l’Afrique. Même quand on y voit clair, c’est brouillé.
Au cours de la dernière réunion des Ambassadeurs de bonne volonté de l’UNESCO, qui s’est tenue à Paris du 11 au 13 février 2002, vous avez soumis le projet sur l’Université virtuelle pour l’Afrique, que vous dirigez depuis le 8 mars 2002. Qu’en est-il ?
L’Université virtuelle est une nouvelles structure basée à Nairobi (Kenya), qui permettra de relier les universités africaines aux grandes écoles supérieures dans le monde. Des cours, qui se dérouleront dans ces dernières, seront transmis en direct par satellite sur des écrans géants dans des amphithéâtres en Afrique. Des dizaines de milliers d’étudiants pourront suivre un enseignement de très haut niveau, sans avoir besoin de se déplacer.
Pouvez-vous surmonter le handicap financier ?
Nous savons aujourd’hui que l’équipement d’une classe avec une antenne parabolique, des ordinateurs et un écran électronique, coûte en tout et pour tout 50 000$. J’ai proposé à mes confrères Ambassadeurs de bonne volonté de l’UNESCO de mettre nos forces ensemble pour réunir les 3 millions de dollars nécessaires à démarrer le projet, c’est-à-dire, équiper une salle dans chaque pays africain. Par la suite, les universités elles-mêmes auront à le développer, si elles le trouvent utile. Depuis le temps qu’on se pose la question comment les nouvelles technologies peuvent aider au développement de l’Afrique… Eh bien, voilà une réponse.