Pour faire face au pouvoir croissant d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), les analystes préconisent davantage d’opérations conjointes de recherche du renseignement, la mise en œuvre de mesures répressives contre le crime organisé et l’adoption d’une approche coordonnée en vue de traiter les demandes de rançon.
Bien que, selon les estimations, les branches d’AQMI dans le sud du Sahel ne comptent que 400 à 800 membres, les réseaux commerciaux et de crime organisé, de plus en plus vastes, ont développé leur puissance financière et politique, a dit Alain Antil, directeur du programme Afrique subsaharienne de l’Institut français des relations internationales (IFRI).
« Il n’y a pas vraiment d’échange systématique d’informations entre les pays touchés au Sahel… et les informations ne sont pas transmises à temps, et les échanges ne sont pas coordonnés », a dit M. Antil. « On ne peut pas lutter contre AQMI à l’aide de politiques nationales – il faut au moins un minimum de coopération entre voisins… s’il est vrai que cette coopération s’améliore, nous n’en avons pas encore obtenu de résultats positifs ».
Le contexte
Certains qualifient AQMI d’organisation terroriste « hybride » – c’est-à-dire concernée aussi bien par la contrebande et les demandes de rançon que par la cause globale défendue par Al Qaida.
En 2003, AQMI se sépare du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), qui s’en prenait depuis 1996 au gouvernement, à l’armée et parfois à des cibles civiles en Algérie, dans le but de renverser le régime laïque militaire en place et d’établir une théocratie fondée sur la loi islamique.
La décision de représenter Al Qaida – en devenant un « groupe local aux objectifs mondiaux », comme le dit Stephen Harmon, universitaire – a amené le groupe à passer des attaques armées à d’autres opérations plus à caractère terroriste, telles que les attentats à la bombe et les enlèvements ; et à tenir un discours davantage axé sur l’hostilité aux gouvernements occidentaux et sur le djihad mondial, plutôt que sur le changement de régime en Algérie. L’invasion de l’Irak par les Etats-Unis offrait à Al Qaida l’occasion idéale de recruter des combattants nord-africains pour les envoyer en Irak, selon M. Harmon.
Objectifs commerciaux contre objectifs idéologiques
D’après Nasser Weddady, directeur des opérations de proximité menées par l’American Islamic Congress dans le domaine des droits civiques, au plan national, AQMI souhaite établir, dans la région de l’Azaouad, dans le nord du Mali, un émirat islamique qui, à terme, s’étendrait en Mauritanie.
AQMI considère les deux pays comme une zone de recrutement de nouveaux membres et une base d’où déstabiliser l’armée et l’Etat mauritaniens pour gagner un point d’appui contre les gouvernements occidentaux, a-t-il dit à IRIN.
Toutefois, le groupe dirige peu de camps d’entraînement et de madrasas où recruter, a dit M. Harmon dans un document publié récemment et intitulé « From GSPC to AQMI: The Evolution of an Algerian Islamist Terrorist Group into an Al-Qaeda affiliate » Du GSPC à AQMI : La transformation d’un groupe terroriste islamiste algérien en branche d’Al-Qaida ».
Et ses objectifs politiques sont vagues, dit M. Antil : « Les messages politiques du groupe ne sont pas très clairs – ils parlent de lutte contre les pays occidentaux et les dirigeants, mais ils ont tendance à s’arrêter là, et ne précisent pas quel type de régime ils pourraient mettre en place s’ils accédaient au pouvoir ».
Le groupe recrute néanmoins. Richard Barrett, membre du comité du Conseil de sécurité des Nations Unies chargé de surveiller Al-Qaida, estime ainsi que la moitié des membres d’une branche d’AQMI – d’autres disent 70 pour cent – sont originaires de Mauritanie, ce qui, selon lui, est dû en partie au nombre croissant de jeunes chômeurs révoltés dans les villes, attirés par la possibilité soit de mener un combat idéologique, soit de tirer un profit commercial ou de gagner un certain prestige.
Si les combattants d’AQMI sont parvenus à s’intégrer au tissu social de la région de l’Azaouad, en épousant des membres de tribus touaregs, tous ne croient pas que l’ascension politique nationale soit leur objectif. Cette mixité sociale pourrait toutefois expliquer pourquoi l’armée malienne n’a pas encore été attaquée, dit M. Weddady.
Un diplomate, qui s’exprimait sous couvert de l’anonymat, a dit à IRIN que l’islam relativement tolérant et modéré, pratiqué par les Touaregs du nord du Mali les gardait généralement d’adhérer à une cause djihadiste radicale.
Les groupes touaregs du Mali sont plus susceptibles d’interagir avec AQMI sur un plan commercial, dit M. Antil – les deux groupes étant impliqués dans la contrebande de marchandises – essentiellement de cigarettes, de cocaïne, d’héroïne et, dans une certaine mesure, d’armes légères – et d’êtres humains à travers le Sahara, une zone qui échappe, en grande partie, à toute surveillance.
Ce sont ces agissements qui affaiblissent des pays déjà fragiles, dit M. Antil, et qui risquent de corrompre les responsables au pouvoir. « Les terroristes ne sont qu’un opérateur du trafic dans ces régions : il y en a bien d’autres et ils protègent leurs intérêts en créant des cercles proches du pouvoir », a-t-il dit à IRIN.
AQMI convertit les bénéfices qu’il dégage du trafic et du commerce, de plus en plus lucratif, des enlèvements, en armes et en entraînement, dit M. Barrett. Selon les estimations de M. Weddady, AQMI a réalisé un bénéfice net de 50 millions d’euros (69 millions de dollars) grâce aux rançons qui lui ont été payées depuis sa création ; M. Barrett, membre du comité du Conseil de sécurité des Nations Unies chargé de surveiller Al-Qaida, estime quant à lui que « plusieurs millions d’euros » ont été payés pour obtenir la libération d’otages, ces dernières années.
A la mi-septembre, AQMI a enlevé cinq ressortissants français, un Togolais et un Malgache, dans le nord du Niger, et les retiendrait en otage dans le nord du Mali.
Répression
C’est en luttant contre AQMI sur les plans du commerce et de la sécurité, plutôt qu’en recherchant une solution politique, qu’on parviendra à obtenir les meilleurs résultats, dit Mehdi Taje, chercheur au Sahel and West Africa Club, une organisation non gouvernementale (ONG).
Pour M. Antil de l’IFRI, le trafic est la priorité : « Lutter contre le trafic devrait être la priorité de toutes les priorités. C’est une menace bien plus sérieuse que le terrorisme au Sahel. Oui, les activités terroristes peuvent avoir de lourdes conséquences avec les attaques qui sont menées, mais ces attaques ne portent pas forcément atteinte au fondement de ces pays de la même manière que le crime organisé peut le faire ».
Les pays du Sahel préoccupés par cette anarchie croissante ont dit à l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) que la réforme des systèmes de justice pénale, les lois contre la corruption, l’amélioration de la gestion des frontières et l’adoption de mesures de contrôle du commerce des armes légères étaient leurs priorités.
Sur le plan commercial, d’après M. Barrett, il peut être efficace de geler les comptes bancaires des individus membres d’AQMI, comme le recommande le comité des sanctions du Conseil de sécurité des Nations Unies, chargé de surveiller Al-Qaida.
Sur le plan de la sécurité, la recherche régionale et coordonnée du renseignement sur les réseaux terroristes et criminels doit être renforcée dans l’ensemble du Sahel, ont souligné toutes les personnes interrogées.
Si certains pays, tels que l’Algérie, disposent de solides services de renseignement, ils ne communiquent pas nécessairement les informations obtenues à leurs voisins.
Dans le passé, l’échange de renseignements a été entravé par des rivalités régionales de longue date, entre la Mauritanie et l’Algérie, l’Algérie et le Mali, et le Maroc et l’Algérie. Mais la coopération s’améliore : une base militaire conjointe a été implantée par l’Algérie, le Mali, la Mauritanie et le Niger à Tamanrasset, en Algérie, en avril 2010 ; les chefs des armées des quatre gouvernements se sont réunis la semaine dernière pour réfléchir à une intervention conjointe face à AQMI, une réunion qui a été suivie d’une rencontre des directeurs des services de renseignement, le 30 septembre.
L’Algérie doit faire part des enseignements qu’elle a tirés de sa lutte contre le GSPC ces 14 dernières années, dit M. Weddady « Ils ont les renseignements, le matériel et l’expérience – il doit y avoir un mécanisme qui les fait intervenir dans ce combat ».
Il faut également convaincre le Mali « d’améliorer ses capacités », a-t-il dit. Le Mali n’a pas les capacités nécessaires pour assurer la sécurité dans sa région nord ; en outre, le pays venant à peine d’émerger d’une rébellion touareg, les autorités sont réticentes à prendre des mesures susceptibles de provoquer la colère des populations, dans le nord.
Des partenaires internationaux
Les gouvernements français et américain devraient continuer d’assurer un soutien discret et limité aux armées malienne et mauritanienne, dit M. Weddady. « Une aide aérienne, des entraînements sérieux à grande échelle et des mécanismes logistiques et électroniques de recherche du renseignement doivent faire partie de l’aide internationale apportée ».
Le gouvernement américain s’est investi davantage ces dernières années par le biais d’AFRICOM, dont l’objectif est de déployer des troupes dans les points chauds, si nécessaire ; de former les unités de contre-insurrection et d’interception de la contrebande ; et de mettre en œuvre les objectifs de développement du ministère des Affaires étrangères ; son initiative anti-terroriste transsaharienne, visant à aider les gouvernements à mieux parer les menaces terroristes ; et, dans le cadre de l’opération Flintlock (mousquet), un exercice antiterroriste annuel pour préparer les armées à faire face aux menaces potentielles.
Certains se demandent si la menace terroriste représentée par AQMI était suffisamment grave pour justifier le financement et le déploiement de ces initiatives, ou si les Etats-Unis ont exagéré la gravité de la menace pour justifier une intervention plus importante au Sahel. Selon Daniel Volman, analyste spécialiste des questions de sécurité en Afrique, cet intérêt est lié à l’ouverture de nouveaux fronts dans la guerre mondiale contre le terrorisme et à l’obtention d’un accès aux ressources énergétiques de l’Afrique.
« Les Etats-Unis ne veulent pas avoir une présence militaire forte au Sahel, contrairement aux nombreuses rumeurs qui circulent dans la presse », a dit à IRIN un analyste, spécialiste du Sahel, qui a souhaité conserver l’anonymat.
Ne plus payer de rançons
Si les gouvernements occidentaux ne cessent pas de débourser d’importantes rançons pour sauver leurs ressortissants pris en otage, tout effort déployé en vue de réduire la portée d’AQMI sera marginalisé, dit M. Weddady. « Les ravisseurs sont régulièrement récompensés… les gouvernements ne doivent jamais négocier. En 2005, 10 à 15 personnes risquaient d’être tuées ; maintenant, les chiffres augmentent… C’est un dilemme moral, mais ces incidents ne devraient pas empêcher les gouvernements de conserver une vision globale de la situation ».
M. Barrett n’a pas pris position au sujet du paiement des rançons, mais il a dit à IRIN : « Nous pouvons en faire plus pour sensibiliser les gens aux conséquences négatives des paiements versés à ces groupes… le Conseil de sécurité peut discuter de ces questions avec les Etats-membres pour savoir où se trouve le consensus ».
Si elle n’est pas contenue à l’échelle régionale, la menace AQMI pourrait s’étendre, a-t-il prévenu. « Il est possible qu’ils recrutent au Niger et s’associent à Boko Haram [groupe islamiste militant nigérian] au Nigeria… AQMI risque également de passer au Sénégal, au Burkina Faso et en Guinée-Bissau s’ils se trouvent en difficulté dans le nord ».
IRIN n’a pu s’entretenir avec aucun représentant des ministères mauritaniens et maliens de l’Intérieur, de la Défense ou de l’Information.