Terrorisme islamiste en Afrique : facilitation ou falsification


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Zachée Betche
Zachée Betche

Pourquoi le terrorisme en Afrique ? Je ne saurai répondre à cette question d’une manière exhaustive. Généralement, le terrorisme dit islamiste, dans toute son ampleur et sa gravité, se nourrit d’un contexte. Ce dernier, marqué par des pénuries ou une vacuité particulière et profonde, offre des facilitations qui se déclinent sous des formes variées et même des plus inattendues. Comment en arrive-t-on à se retourner aussi cruellement contre les siens ; autrement dit ses propres concitoyens dans un espace étatique si clairement défini ? Les kamikazes – même si le terme fait débat et à juste titre – en sont l’illustration parfaite.

Il n’est absolument pas ici question de procéder à des justifications de quelque nature que ce soit. L’acte terroriste est fondamentalement abject et a fortiori détestable ; donc récusable dans l’absolu.

Il faut résolument débusquer au-delà la cause de cette terreur. Nul en réalité ne saurait objectivement l’ignorer dans un monde où la fabrication de l’ennemi participe du réalisme géostratégique. Dans mon ouvrage intitulé Le phénomène Boko Haram (2016), je ne me suis pas limité à dépeindre le visage immédiat d’un telle catastrophe. Ce qui motive la présente réflexion concerne la mise en scène des différents relais d’une telle chosification de l’humain ; ce que la philosophe d’origine allemande, Hannah Arendt, nomme « la banalité du mal » (Der Banalität des Bösen). Comment en arrive-t-on à traiter des humains comme de vulgaires objets dont on vide complètement de la moindre respectabilité intrinsèque pour un idéal/projet quelconque (eschatologique voire féerique) ?

Le Sud du globe, au regard de cette misère, est le ventre mou de la désorganisation absurde par une démonstration de l’insécurité avant et depuis l’événement tragique du 11 septembre. Or, la géographie du terrorisme islamiste en Afrique n’est absolument plus limitée au sahel bien que celui-ci en soi l’épicentre. Cette internalisation nouvelle n’est de toute évidence pas une banale constatation.

Pour l’Afrique, précisément, la fabrication de l’agent terroriste – ce qui en fait à tort ou à raison l’ultime visage – procède des propositions indécentes visant à résorber les problèmes immédiats par l’instrumentalisation de l’argent. Au fond, ce qu’il est convenu d’appeler « problème » est le propre de cette civilisation arrogante qui sévit aujourd’hui et qui nous fait croire que la vraie vie se trouve encastrée dans le format des chaînes de télévision. Le paysan ne désire-t-il pas se mettre à l’école d’un tel idéal de vie extravertie/détournée de sa réelle substance ?

La corruption d’un sujet installé dans cette « misère » semble tout alors facilitée. Une offre financière retentissante est susceptible de désarçonner complètement l’individu dont l’horizon de vie apparaît comme des plus incertains. La simple évocation ou l’articulation d’un montant inhabituel est enivrante et fait basculer dans l’univers du déraisonnable nourri de ses profonds fantasmes. La psychologie affaiblie et faussement requinquée par l’offre prometteuse envenime terriblement. Sur le plan proprement ontologique, l’être est fragmenté ; écartelé entre ce qu’il est et le néant qui le séduit avec une telle insistance. On assiste à grande échelle à cette fameuse crise du muntu (le mu et le ntu) pour reprendre le philosophe camerounais Eboussi Boulaga.

Outre le misérabilisme tant décrié en terreau tiers-mondiste ou celui de pays dits sous-développés, l’enrichissement matériel et financier, sans le moindre support éthique, participe bien entendu de cette tragédie en devenir. La course effrénée vers le lucre dans un monde moralement délabré – c’est-à-dire où les valeurs humaines sont en chute libre -, les envies disproportionnées tant magnifiées polluent n’importe quel esprit moins avisé. La logique de l’économie de l’enrichissement effréné, qui vient historiquement supplanter celle de l’industrialisation, consolide cette fin. Nous assistons véritablement à un mercantilisme nauséabond qui fait sauter les verrous des Etats constitués et de tout bon sens. Les théoriciens du chaos même médiocres sont susceptibles de proliférer et d’y trouver leur macabre compte.

Aussi, ce qu’il convient de nommer le misérabilisme – supposé ou réel – ambiant force l’imagination des sujets qui trouvent dans le concept de l’identité une solution aux nombreux problèmes existentiels. Le repli devient généralement une réponse possible au sein des peuples à l’horizon affaibli au sein de cet écosystème transnational. L’illusion d’une solidarité interne des pauvres fait le lit d’une concurrence victimaire facile qui glisse vers un simplisme. Or, celui-ci ignore les enjeux fondamentaux des pays en marche. L’appartenance hystérique à l’idéologie ethniciste verrouille toute réflexion en cristallisant le rejet facile de l’autre. Ainsi, le terrorisme peut s’aligner sur une telle segmentation délirante qu’il vient susciter et entretenir. Le chaos lent ouvre ainsi la voie à un jusqu’au-boutisme imparable rendant insignifiantes les institutions existantes.

La combinaison de ces éléments aboutit à un courage des plus maladroits et obscènes ; faisant de la vie humaine un simple marchepied vers l’horizon tant rêvé de l’enrichissement financier et d’un suprémacisme soldant des conflits inter-groupes plus ou moins réels ou alors longtemps sublimés. Des ethnies vivant ensemble depuis de longues années s’inventent des animosités ou les exacerbent au bénéfice d’un projet largement plus subtil et plus grand que leurs basses manoeuvres.

L’Afrique et l’ensemble de ses intelligences est convoquée. Elle est sommée de se réveiller pour davantage comprendre le fonctionnement du monde et ses différents contours. Aux prises avec la falsification de l’histoire, le continent doit radicaliser son discours – au sens philosophique du terme – afin d’inscrire une éducation populaire à la hauteur des enjeux qui n’attendent pas. Le temps presse.

Par Zachée Betche, philosophe

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