Une attaque de drone meurtrière en territoire éthiopien relance les tensions entre Djibouti et Addis Abeba. Huit civils ont été tués et huit autres blessés lors d’une frappe attribuée aux forces djiboutiennes dans la région Afar. L’incident, qui s’est produit dans une zone tampon censée être démilitarisée, soulève de vives inquiétudes sur la stabilité d’une région stratégique où s’entremêlent enjeux locaux et intérêts internationaux.
Entre silence diplomatique et risque d’escalade, cette nouvelle crise met en lumière la fragilité des équilibres dans la Corne de l’Afrique.
Une attaque aux lourdes conséquences humaines
L’attaque s’est produite le 30 janvier 2025 à Kiyaru Kebele, dans le woreda d’Elidar, une zone située dans la bande frontalière théoriquement neutralisée par un accord bilatéral. Selon Ibrahim Mohammed, porte-parole du gouvernement local d’Elidar, l’opération visait des insurgés anti-Djibouti. Le bilan est particulièrement lourd : huit civils ont perdu la vie, dont cinq jeunes de 15 à 20 ans et trois femmes âgées de 25 à 30 ans. Parmi les huit blessés, trois ont nécessité une évacuation vers l’hôpital de Dubti. L’absence de réaction officielle d’Addis-Abeba face à cette violation de sa souveraineté territoriale interpelle. Ce mutisme pourrait s’expliquer par la volonté de préserver les relations économiques vitales avec Djibouti, mais il risque d’être interprété comme un signe de faiblesse encourageant de futures incursions.
Une région sous haute tension
Cette attaque s’inscrit dans une dynamique complexe de tensions entre Djibouti et l’Éthiopie. La région frontalière, censée être une zone tampon de 5 kilomètres de part et d’autre de la frontière, est devenue un théâtre d’affrontements récurrents. Des groupes d’opposition armés, principalement issus de la diaspora afar, y trouvent refuge pour mener des actions contre le régime du président djiboutien Ismaïl Omar Guelleh.
La situation est d’autant plus préoccupante que Djibouti connaît une période de turbulences politiques internes. Le gouvernement Guelleh, au pouvoir depuis 1999, fait face à une contestation croissante tandis que les mouvements d’opposition dénoncent la dérive autoritaire du régime et l’intensification de la répression, particulièrement contre la communauté afar.
L’utilisation d’un drone pour cette attaque marque une escalade technologique préoccupante. La prolifération de ces systèmes d’armement dans la Corne de l’Afrique pose de nouvelles questions en matière de sécurité régionale. L’Éthiopie elle-même a fait usage intensif de drones durant le récent conflit du Tigré.
Des enjeux qui dépassent les frontières
La position stratégique de Djibouti confère à ce conflit une dimension internationale. Le pays accueille sur son territoire un impressionnant dispositif militaire étranger : on y trouve notamment la plus grande base militaire française en Afrique, le Camp Lemonnier qui constitue l’unique base permanente américaine sur le continent, ainsi qu’une base navale chinoise, la première installée en Afrique. Des installations militaires japonaises et italiennes complètent ce dispositif stratégique unique sur le continent africain.
Le port de Djibouti constitue également le principal débouché maritime de l’Éthiopie, géant régional enclavé. Plus de 90% du commerce extérieur éthiopien transite par les infrastructures portuaires djiboutiennes, soulignant l’interdépendance économique des deux pays.
Au-delà des huit vies perdues, c’est la stabilité de toute une région qui est en jeu.