Les témoignages apportés par les noirs argentins contemporains indiquent que, jusqu’à il y a très peu de temps (et probablement de nos jours) les membres de la communauté afroargentine jouaient et dansaient une musique qu’ils revendiquaient comme leur appartenant et qu’ils appelaient candombe.
Enrique est un afroargentin d’environ 50 ans, descendant d’une famille ayant de nombreuses générations au pays. En 1990 il m’a fait une description des danses de carnaval organisées par le Shimmy Club à la Casa Suiza: “ Je te parle de 1973 … 1974, quelque chose comme ça … je me souviens que j’allais à la Suiza … Les tables étaient là, comme je te le dis là, les grands patriarches et la Negra San Martín -qui était une matriarche- s’asseyaient … cette noire avait toute une tradition … Je me rendais compte qu’elle était une femme noire très aimée et respectée dans la communauté. Après, il y avait les Nuñez, puis les Lamadrid, tous des noirs très âgés … reconnus par la communauté, qui connaissait leur histoire … mais je ne sais pas pour quelle raison c’était ainsi[[Je me souviens encore qu’on fermait la Casa Suiza, je coirs que c’était à deux ou trois heures du matin, et les noirs sortaient défiler sur toute l’avenue Corrientes, jouant tous au tambour […] Mais, dans les derniers temps, le Shimmy Club n’était plus comme avant, dans les derniers temps, les noirs n’aimaient plus le Shimmy Club car trop de blancs y allaient. Et les noirs non, … ils arrêtaient d’y aller”]].
Et les gens dansaient. Le public dansait en premier, puis c’était autour des noirs âgés qui venaient danser le candombe. Et là, aucun blanc ne dansait plus, on ne laissait aucun blanc danser … […] En plus, à minuit quand on commençait à jouer (du tambour)et le cri qu’on entendait était : ‘eh, eh, eh, barilo’ qui signifie que les joueurs de tambour faisaient leur entrée […] après minuit, les ainés noirs venaient danser, et si un blanc venait là(qu’on appelait toujours à cette époque ‘chongo’) ‘Dehors les chongos!!, Dehors les chongos!!’, criaient-ils et on chassait alors les blancs . Tous les hommes et les femmes noirs âgés dansaient alors ‘eh, eh, eh, barilo … eh, eh, eh, barilo’ (il fait la mimique de danser en regardant d’un côté, puis de l’autre, avec une main faisant office de visière au dessus des yeux, et l’autre bras sur la taille, les poings sur les hanches.
Il regarde d’un côté et de l’autre à chaque strophe. En plus, il bouge lentement les épaules et exécute un balancement ondulant du dos). Tous se connaissaient et criaient : ‘fais ceci, fait cela’ (je ne me souviens plus ce qu’ils se disaient de faire) Puis les jeunes noirs dansaient, un candombe très actualisé, avec quelque touche déjà différente, mais on les laissait parce qu’ils étaient les ‘fils d’un tel’, ‘neveux d’un tel’, puis tout ça s’arrêtait et les blancs entraient alors. Tout le monde pouvait dès lors jouer au tambour (mais en le faisant bien), mais quand minuit arrivait, ce sont les noirs qui jouaient au tambour, et ceux qui dansaient étaient également noirs.
Extrait de ‘El candombe argentino: crónica de una muerte anunciada’( Le candombe argentin : chronique d’une mort annoncée ), Alejandro Frigerio, Cultura Negra en el Como Sur: Representaciones en Conflicto – Facultad de Ciencias Sociales y Económicas de la Universidad Católica Argentina