La télévision publique algérienne s’est mise soudainement, depuis début octobre, à traiter des sujets jusque-là proscrits (commémoration du 5 octobre, les familles de disparus, etc). Le président Bouteflika aurait adressé une « instruction ferme » aux responsables de la télévision pour que soient abordées les « préoccupations de la population », selon la presse algérienne. Les partis d’opposition, syndicats autonomes et autres association n’auront cependant pas droit à l’antenne. L’ouverture a vite montré ses limites.
La télévision publique algérienne, l’ENTV, dont les journaux télévisés nous avaient habitués jusqu’ici à une longue litanie de communiqués officiels et de comptes-rendus d’activités présidentielles et gouvernementales, a changé de ton. A leur grand étonnement, les téléspectateurs algériens ont pu voir, récemment, des familles de disparus et des journalistes critiquant la Charte pour la Réconciliation nationale à l’antenne, des militants des droits de l’homme pester contre le manque de démocratie dans le pays lors d’un rassemblement commémorant le massacre du 5 octobre 1988, des travailleurs du groupe sidérurgique ArcellorMittal en grève… Derrière ce changement d’orientation, Nacer Mehal, le ministre de la Communication. Ce dernier étonne son monde quand il déclare, en marge d’une séance plénière au Parlement début octobre : «L’heure est aux réformes. Il est d’une nécessité impérieuse d’insuffler un nouvel élan qualitatif afin d’améliorer les prestations de la télévision en y associant tous les acteurs, qu’ils soient à l’intérieur ou à l’extérieur de l’entreprise.» Grande première : le ministre ne manquera pas de « s’excuser » dans la foulée pour la médiocrité des programmes durant le mois de ramadan. L’impulsion viendrait du président Bouteflika qui aurait adressé, selon la presse, une « instruction ferme » au responsable de l’ENTV lui demandant « de rapporter les préoccupations de la population lors des magazines et journaux télévisés ».
Taper sur les seconds couteaux, pas les décideurs
Ce changement d’orientation est diversement apprécié en Algérie. Les avis oscillent entre enthousiasme et méfiance. « L’Unique (c’est ainsi qu’est ironiquement appelée la télévision algérienne, ndlr) donne la parole aux autorités et laisse s’exprimer librement les citoyens sur leurs préoccupations quotidiennes. Ce changement tranche radicalement avec le “tout va bien“ et la langue de bois de l’Unique », se réjouit le site TSA-Algérie. Nacer Mehal « donne un coup de pied dans la fourmilière », renchérit le quotidien privé L’Expression qui souligne que « jamais un ministre de la Communication n’a abordé la question épineuse et problématique de l’Entv avec autant de franchise ». L’hebdomadaire El-Watan Week-End, en revanche, décrit dans une enquête consacré au sujet (numéro du 14 octobre 2010) une ouverture en trompe-l’œil :« Si c’est vraiment le Président qui est derrière cette décision d’ouverture, c’est pour pouvoir, par exemple, se défendre face aux affaires de corruption qui touchent ses ministres ou sa présidence ». On apprend, en outre, que le ministre a exposé ces nouvelles orientations aux responsables de la télévision au cours d’une réunion au siège de l’ENTV mi-septembre : «Autorisation est donnée de taper sur les lampistes, sans s’en prendre aux décideurs, tout en contrôlant au plus près toute forme de dérapage. »
L’ENTV a dépêché le 5 octobre dernier à la place des Martyrs, au centre d’Alger, des journalistes pour couvrir un rassemblement à la mémoire aux victimes de la répression meurtrière d’octobre 1988. Sur place, les journalistes ont recueilli les témoignages de quelques manifestants mais le journal du soir a complètement éludé le fait que des militants aient été malmenés et que trois d’entre eux interpellés par les forces de l’ordre.
« Les journalistes n’ont pas filmé le vrai rassemblement »
Hakim Addad, secrétaire général de l’association Rassemblement Action Jeunesse (RAJ), est l’un des instigateurs de ce rassemblement. Il témoigne : « Les journalistes n’ont pas filmé le vrai rassemblement et encore moins la féroce répression qui s’est abattue sur nous (…). Ils se sont pointés juste à la fin de la répression et la dispersion du rassemblement. Le soir sur l’écran, ils ont montré les gens qui ont formé un attroupement autour de moi et un autre militant qui étions en train de répondre aux questions des journalistes, et ils ont dit que c’était cela le rassemblement. »
Une véritable ouverture médiatique ne peut se faire sans que l’antenne soit ouverte aux partis d’opposition, associations et autres syndicats autonomes, estiment de nombreux opposants. Lors d’une intervention au Parlement, début octobre, le ministre de la Communication, avait balayé d’un revers de manche cette revendication : «L’ENTV n’a pas à couvrir les activités ordinaires des partis». L’ouverture, oui, mais pas trop…