Téléphonie mobile, du pain béni pour l’Afrique ?


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Les télécommunications ont pris une importance significative dans l’économie de la plupart des pays africains. Jean-Marie Huet, Senior Manager au sein du Cabinet BearingPoint et co-auteur d’un rapport intitulé Les enjeux financiers de l’explosion des télécoms en Afrique subsaharienne publié par l’Institut français de relations internationales (IFRI), en février 2010, sonde avec optimisme les effets de cette révolution.

Oubliés les lignes fixes et le service Internet à la maison, c’est désormais de téléphones portables dont raffolent les Africains. Selon un rapport publié sur le site de l’Institut français des relations internationales (IFRI), il y avait « 246 millions de souscripteurs aux services mobiles en 2008. (…) La croissance du marché mobile et de l’Internet est deux fois plus importante en Afrique que celle enregistrée au niveau mondial ».

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« Le secteur privé est depuis une quinzaine d’années à l’assaut du marché des télécoms en Afrique. Une première vague de privatisations a eu lieu entre 1995 et 1997, suivie d’une deuxième en 2000 et 2001 ». En l’espace de quinze ans, le continent africain s’est imposé comme le nouvel eldorado de la téléphonie mobile. Orange, Telefonica, Vodafone, Bharti Airtel, des opérateurs télécoms venus du monde entier cherchent à s’implanter dans un maximum de pays afin de profiter au mieux du faible taux de pénétration actuel (de 33%, en moyenne, en 2008). Faut-il redouter ou au contraire encourager cette explosion du marché des télécoms en Afrique? Le rapport de l’IFRI s’invite dans le débat en prêchant l’optimisme, chiffres à l’appui.

Selon la Banque Mondiale, seulement 1 ménage africain sur 5 dispose d’un compte bancaire. En Afrique, 60% des 400 000 villages africains sont couverts par le réseau télécoms, alors que les agences bancaires ne sont présentes que dans les grandes villes. La mise en relation des banques et des télécoms peut générer une meilleure desserte des territoires, permettant ainsi aux zones rurales de mieux s’insérer dans le circuit économique.

« La téléphonie mobile est une source indéniable de croissance économique et de développement », a expliqué Jean-Michel Huet, spécialiste à BearingPoint des activités Télécoms et Média pour l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient, « il existe une relation positive entre le revenu par habitant et le taux de pénétration mobile ». Une étude de Frontier Economics avance que « le marché des télécoms a fait travailler de manière directe ou indirecte 3,5 millions de personnes en 2007 ».

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Les taxes télécoms renflouent les caisses des gouvernements africains

Les télécoms représentent le premier revenu fiscal dans les pays africains les moins généreusement dotés en matières premières. En moyenne, les recettes des télécoms représentent près de 5% du PIB des Etats africains. Selon le rapport, « le secteur de la téléphonie mobile en Afrique subsaharienne génèrera près de 71 milliards de dollars entre 2000 et 2012. Paradoxalement, ce montant pourrait être largement supérieur si les produits télécoms n’étaient plus classés dans la catégorie fiscale des produits de luxe ». Huit gouvernements d’Afrique subsaharienne imposent une taxe de « produits de luxe »sur les communications, 24 d’entre eux sur les portables mobiles et plus de 25 sur les équipements télécoms. Dans de nombreux pays, les revenus des opérateurs télécoms est supérieur à 30% (à titre d’exemple, la Zambie (53%), le Madagascar (45%), la Tanzanie (40%), le Gabon (40%) et le Cameroun (39%).

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« La fiscalité est une bonne chose si elle est accompagnée d’une redistribution vers la population locale. Mais il faut éviter l’écueil de la surtaxation », a prévenu M. Huet.

Le surendettement des opérateurs

L’Afrique demeure le continent où le nombre de pays en situation de monopole est le plus élevé. Aujourd’hui, le nombre d’opérateurs télécoms est en moyenne, de 2,7 par pays. Le marché des télécoms en Afrique est très hétérogène. Compte tenu de la diversité de ses acteurs, les stratégies d’acquisition et les potentiels de croissance ne sont pas les mêmes.

Certains acteurs comme Bharti Airtel ou Orascom sont des filiales de conglomérats importants, d’autres, comme Orange, sont essentiellement centrés sur l’activité télécoms. Malgré leur rentabilité, les opérateurs surestiment parfois le potentiel de croissance des marchés et ont donc du mal à honorer le remboursement de leur capital et des intérêts associés.

Entre 1995 et 2005, les fonds souverains des pays du Golfe ont remporté la majorité des licences à des montants « surestimés », selon le rapport. Bien que les opérateurs télécoms en Afrique présentent les profits les plus élevés au monde, cette première phase d’extension s’est soldée par un endettement important de ces grands groupes, tant opérateurs télécoms qu’investisseurs. A titre d’exemple, et selon le quotidien Business Wire, les opérateurs télécoms ont contacté plus de 14,7 milliards de dollars de dettes durant les quatre premiers mois de l’année 2007 pour financer leurs projets d’expansion et d’acquisition.

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Outre les éventuels problèmes financiers des opérateurs, la continuité de la pénétration des téléphonies mobiles et le développement de nouveaux usages laissent penser que cette activité connaîtra encore de belles années de croissance. « Pour une fois que l’Afrique effectue un rattrapage par rapport au reste du monde, on ne va pas s’en plaindre », a opiné Jean-Michel Huet. Internet sera le prochain grand défi. Pour gagner les cœurs africains, gageons qu’il sera mobile.

Les quatre grands types de groupes télécoms en Afrique

  • Opérateurs européens : Orange, Vodafone, Telefonica, Portugal Télécom
  • Opérateurs des pays du golfe Persique : Zain (en passe d’être remplacé par l’indien Bharti Airtel) Etisalat
  • Opérateurs africains : Orascom, MTN, Vodacom
  • Opérateurs locaux : Mascom (Botswana), Comores Telecom

Interview de Jean-Michel Huet

Trois questions à Jean-Michel Huet, Senior Manager au sein du Cabinet BearingPoint et co-auteur du rapport publié par l’IFRI.

Pourquoi cet engouement des grands groupes de téléphonie mobile pour l’Afrique ?

J’y vois trois raisons. L’Afrique, c’est d’abord un marché d’1 milliards d’habitants. C’est aussi un formidable terrain d’innovation. Il y a des choses qui sont faisables en Afrique qu’on a du mal à faire en Europe. Je pense notamment aux perspectives de commerce via le mobile (« le M-Payment ») et de transfert d’argent domestique ou à l’international. Il faut savoir que dans certains pays le taux de bancarisation ne dépasse pas les 5 à 10 %. Le taux de pénétration de la téléphonie mobile reste lui aussi relativement faible (de l’ordre de 33% en moyenne avec des très grands écarts entre les pays, ndlr). Les télécoms ne s’installent pas seulement en Europe, au Maroc, ou en Tunisie, ils vont aussi dans des pays plus difficiles comme la Guinée. Les groupes télécoms participent au développement économique des pays concernés.

La « virginité » du marché est-elle si attrayante que cela ? Il faut pourtant installer les infrastructures nécessaires et le pouvoir d’achat des consommateurs est comparativement faible…

Cela est vrai, seulement 25% des routes par exemple sont goudronnées en Afrique. Mais les acteurs télécoms ont su adapter les coûts aux revenus. Comme en Inde, ils ont pratiqué ce que l’on appelle la « mutualisation des réseaux », c’est-à-dire 1 réseau pour plusieurs opérateurs. Une solution à la fois plus efficiente et plus écologique. Contrairement aux utilities (eau, électricité), les technologies polyvalentes (comme les télécoms) permettent assez bien de contourner le problème des infrastructures et de désenclaver les territoires en proposant une meilleure desserte des zones rurales.

Vous semblez très optimistes… N’y-a-t-il par certaines limites ou certains dangers liés à cette arrivée massive des opérateurs télécoms sur le continent ?

Oui, il y a par exemple des arbitrages malheureux qui ont été faits par les familles entre la nourriture et la téléphonie mobile, notamment en Tanzanie. En France, les télécoms adhèrent au service universel (tarifs spéciaux pour les revenus les plus modestes) et pratiquent ce que les ingénieurs appellent « la péréquation tarifaire » (sorte de répartition égalitaire des ressources et des charges sans prise en compte des distances géographiques, ndlr).Il est regrettable qu’en Afrique, il n’y est pas encore une vraie législation par rapport à cela. Reste que mon constat pour l’heure est positif, voire très positif. Il ne faut pas oublier qu’il y a dix ans, c’était le désert (en Afrique subsaharienne, en matière de téléphonie mobile).

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