Tebboune tend la main tout en pointant les responsabilités françaises


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Abdelmadjid Tebboune, Président d'Algérie
Le Président algérien, Abdelmadjid Tebboune

Dans un entretien exclusif accordé au journal L’Opinion, Abdelmadjid Tebboune dresse un état des lieux clair et sans concession des relations franco-algériennes. Si le président algérien affirme son attachement à un dialogue constructif, il met aussi en lumière les responsabilités de la classe politique française, notamment celles d’une droite en pleine radicalisation, tout en rappelant le poids d’une histoire coloniale singulière entre la France et l’Algérie.

Dans une grande interview a nos confrères de L’Opinion, le président de la République d’Algérie, M. Abdelmadjid Tebboune, qualifie la situation actuelle de « délétère », mais il insiste sur son souhait de maintenir le dialogue et d’éviter une rupture qu’il juge « irréparable« . Pour lui, la spécificité des relations franco-algériennes s’enracine dans une histoire coloniale « unique en Afrique« . Il souligne, en effet, la nature particulière de la colonisation de l’Algérie, marquée par une politique de peuplement et « bien plus sanglante que la conquête des pays d’Afrique subsaharienne« . Cette lecture historique éclaire sa position sur le travail de mémoire qu’il juge incontournable.

Le président algérien rappelle ainsi que, dès son arrivée au pouvoir, il a œuvré pour instaurer un dialogue mémoriel équilibré avec la France, recevant notamment à deux reprises l’historien Benjamin Stora. Il déplore cependant que « plus rien n’avance si ce n’est les relations commerciales« , dénonçant l’absence d’engagement politique concret.

Une tension diplomatique multiforme

Tebboune révèle une conversation cruciale avec Emmanuel Macron lors du G7 de Bari en juin 2024, où il l’avait averti que la reconnaissance de la « marocanité » du Sahara occidental constituait une « grave erreur » Il avait notamment mis en garde le président français, membre du Conseil de Sécurité de l’ONU, sur les risques d’une telle position qui va à l’encontre du droit international, ce que récemment encore la Cour de Justice Européenne ou le Conseil d’Etat français ont rappelé. Il critique également la gestion par Bruno Retailleau, ministre français de l’Intérieur, de l’affaire Doualemn, l’accusant d’avoir voulu « faire un coup politique » et d’avoir privilégié la communication au droit.

Pour Tebboune, l’envenimement des relations bilatérales repose largement sur des discours hostiles venus de l’Hexagone, en particulier de la droite et de l’extrême droite françaises. Il cite les propos d’Éric Ciotti qualifiant l’Algérie d' »État voyou » et ceux de Jordan Bardella évoquant un « régime hostile et provocateur« . Il s’inquiète de voir ces figures politiques aspirer à gouverner la France avec si peu de vision de la diplomatie internationale et souligne la persistance d’une vision « rétrograde » au sein de certaines élites françaises.

Une coopération à redéfinir d’égal à égal

Sur le plan économique, Tebboune affiche une position de force, relativisant la dépendance algérienne. Il souligne que l’aide au développement française (20-30 millions d’euros destinée à soutenir des actions françaises) est marginale face au budget algérien de 130 milliards de dollars. Il qualifie par ailleurs les accords de 1968 de « coquille vide » instrumentalisée politiquement.

Loin d’être dans une posture de victimisation, le président algérien met en avant une responsabilité historique et diplomatique de la France : « La France est un membre permanent du Conseil de sécurité, donc protecteur de la légalité internationale, alors que le Sahara occidental est un dossier de décolonisation pour l’ONU qui n’a toujours pas été réglé. »

Perspectives d’avenir et conditions du dialogue

Malgré les tensions, Tebboune se projette avec optimisme, annonçant son ambition de faire de l’Algérie une puissance émergente d’ici deux ans, avec un PIB dépassant les 400 milliards de dollars.

Sur le plan diplomatique, il se dit même prêt à normaliser les relations avec Israël « le jour même où il y aura un État palestinien« , illustrant une approche pragmatique des relations internationales.

La reprise d’un dialogue constructif nécessite selon lui des gestes forts de la France : règlement définitif des questions mémorielles, respect des accords bilatéraux et coopération renouvelée sur des dossiers sensibles, tels que la lutte contre le terrorisme et la décontamination des anciens sites d’essais nucléaires français en Algérie.  Enfin, il considère que chacun doit assumer sa part de responsabilité en précisant qu' »Il appartient à la France de traiter les cas des jihadistes qui se sont radicalisés sur son territoire« , affirme-t-il.

Dans un contexte où l’extrême droite française gagne du terrain et où les crispations identitaires se multiplient, l’entretien de Tebboune sonne comme un avertissement tout en laissant la porte ouverte au dialogue. À la France de saisir cette opportunité pour restaurer des relations apaisées, avant qu’il ne soit trop tard.

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