Les 2 et 3 février, troupes rebelles et soldats de l’armée tchadienne se sont affrontés dans des combats de rue à N’Djamena, la capitale. Pour les autorités du Tchad, l’offensive de la rébellion a été repoussée, mais pour les rebelles, il s’agit d’un repli tactique sur les faubourgs de la ville. IRIN retrace ici la chronologie des événements ayant conduit aux affrontements de ce week-end.
En avril 2006, les troupes rebelles avaient failli prendre le contrôle de la capitale et du pays. Un mois avant les élections présidentielles, des colonnes de combattants avaient traversé le pays en moins d’une semaine pour arriver aux portes de N’Djamena. Selon le Comité international de la Croix-Rouge, les combats qui s’étaient ensuivis dans une des banlieues de la capitale pendant une journée avaient fait quelque 200 morts, combattants et civils.
L’attaque avait échoué en partie parce que les combattants rebelles, perdus après avoir atteint le centre-ville – les rues de N’Djamena ne portent pas de nom et il n’y a pas de panneaux directionnels dans la ville – avaient pris d’assaut le bâtiment vide de l’Assemblée nationale, qui se trouve dans la banlieue, croyant qu’il s’agissait du palais présidentiel, situé au centre de la capitale.
Déby – un survivant ?
Le président tchadien Idriss Déby a l’habitude de se battre pour sa survie. Pilote d’hélicoptère formé en France, et ancien colonel de l’armée tchadienne, M. Déby a créé son propre mouvement rebelle au Soudan en 1989, avec le soutien des autorités de Khartoum.
Réputé pour être un fin stratège, selon certains analystes, M. Déby a traversé le Tchad en 1990 à la tête d’une colonne de rebelles et a pris le contrôle de ce vaste pays semi-désertique en tirant à peine un seul et unique coup de feu.
M. Déby a convoqué et remporté les élections de 1996 et 2001, mais son régime a fait l’objet de nombreuses critiques au sein même de son armée. Les conflits au sein des groupes ethniques et l’irritation suscitée par le refus du président de soutenir les mouvements rebelles opposés à ses anciens mentors de Khartoum ont favorisé l’émergence d’une dissidence, d’après certains analystes.
La rébellion a pris son essor en juin 2004 lorsque M. Déby a prétendu remporter un référendum contesté lui permettant de modifier une disposition de la Constitution limitant le nombre de mandats présidentiels. En 2005, de nombreux déserteurs de l’armée sont venus renforcer un mouvement rebelle tchadien implanté au Soudan voisin et dont les effectifs à l’époque étaient estimés à 3 000 hommes.
Rebelles
Lors d’entretiens avec des journalistes, les porte-parole de la rébellion ont rarement fait part de leurs objectifs en dehors de leur volonté de chasser du pouvoir M. Déby. Les ailes politiques des groupes rebelles ont, sous des alliances et des dénominations sans cesse changeantes, fait de nombreuses déclarations pour tenter de surmonter leurs divergences politiques et militaires.
Les responsables de la rébellion sont peu communicatifs lorsqu’il s’agit de fournir des informations sur leurs forces ou le soutien dont ils disposent, ce qui explique qu’il soit difficile d’avoir une idée précise de leur nombre ; mais les colonnes de rebelles qui se sont dirigées sur N’Djamena au cours du week-end comptaient environ 2 000 hommes et 300 véhicules et jeeps militaires.
M. Déby a accusé Khartoum de soutenir directement les rebelles, des accusations fréquemment rejetées par Khartoum, qui accuse à son tour le pouvoir de N’Djamena de sympathie envers les groupes de rebelles hostiles au gouvernement soudanais.
Le Tchad et le Soudan ont signé plusieurs accords engageant les deux parties à expulser les groupes rebelles de leur territoire et à protéger leurs frontières communes ; il s’agit notamment des accords de février 2006 et 2007, signés à Tripoli, en Libye, et de l’accord d’août 2006, signé à Dakar, au Sénégal.
Après les attaques lancées les 3 et 4 février 2008 sur la capitale, N’Djamena a fait savoir qu’il tenait le Soudan pour responsable de cette tentative de déstabilisation du Tchad en raison de son soutien à la rébellion et qu’il poursuivrait les rebelles jusque sur le territoire soudanais, si nécessaire.
Des civils épargnés
En dehors des attaques sur N’Djamena, les rebelles épargnent généralement les civils dans leurs combats contre les troupes gouvernementales. Les dizaines d’accrochages qui ont eu lieu ont fait très peu de morts et de blessés au sein de la population civile, même si les affrontements dans l’est du Tchad ont parfois débordé sur les camps de réfugiés soudanais du Darfour et paralysé les opérations humanitaires.
Selon Amnesty International et Human Rights Watch, deux organisations de défense des droits humains, et un rapport des Nations Unies publié en 2007, le gouvernement tchadien est plutôt préoccupé par sa propre survie et n’est pas capable – ou pas disposé – à protéger sa frontière.
En l’absence d’une présence militaire, les attaques transfrontalières perpétrées par des milices du Darfour sont devenues fréquentes et les conflits intercommunautaires, violents. Selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, quelque 55 000 civils tchadiens ont fui en 2006 dans l’est du pays, et en février 2008, on comptait 180 000 déplacés.
Des incertitudes
Pour certains diplomates, la rébellion constitue une menace pour la paix dans la région parce qu’on ne voit pas très bien comment une rébellion divisée pourrait s’unifier et diriger un vaste pays, extrêmement pauvre, qui a une frontière commune avec le Cameroun, la République centrafricaine, la Libye, le Soudan et le Niger. Les vastes réserves de pétrole en grande partie inexploitées du Tchad sont une excellente raison de s’accrocher aux rênes du pouvoir.
Le Conseil de sécurité des Nations Unies a autorisé le déploiement au Tchad et en République centrafricaine d’une force de maintien de la paix placée sous mandat de l’Union européenne et censée protéger les populations civiles et les réfugiés. Quelque 3 700 soldats devraient être déployés dans ces pays à compter de la mi-février pour une mission d’une durée d’un an.
Javier Solana, haut représentant de l’Union européenne pour la politique étrangère et de sécurité commune, a expliqué à la presse le 4 février que ce plan était pour l’instant « suspendu », mais que les forces de maintien de la paix seraient déployées dès que le calme reviendrait.
Chronologie des offensives rebelles au cours des 12 derniers mois :
Février 2008
Offensive des rebelles sur N’Djamena
Janvier 2008
L’Union européenne autorise le déploiement de la mission de maintien de la paix au Tchad et en RCA
Décembre 2007
Le ministre de la Défense et ex-chef rebelle Mahamat Nour est limogé du gouvernement après une semaine d’intenses combats entre l’armée et les rebelles sur plusieurs fronts dans l’est
Des associations de défense des droits humains accusent l’armée de recourir au recrutement forcé – notamment d’enfants – pour renforcer ses troupes
Novembre 2007
Deux groupes rebelles dénoncent l’accord de paix de Tripoli. D’intenses combats sont signalés dans l’est, ainsi qu’une recrudescence des actes de banditisme. Les hôpitaux de N’Djamena et d’Abéché « sont débordés » par l’arrivée massive de soldats et de rebelles blessés
Octobre 2007
Après une trêve, d’anciens rebelles censés être intégrés dans l’armée nationale attaquent les positions des soldats gouvernementaux et prennent le contrôle de quelques villes tchadiennes de l’est
Le gouvernement tchadien et quatre groupes rebelles signent un accord de paix à Tripoli, en Libye
Le gouvernement décrète l’état d’urgence
Mai 2007
Plusieurs analystes tchadiens et étrangers mettent en garde contre les risques de déstabilisation du Tchad à mesure que l’armée et les rebelles semblent renforcer leurs arsenaux militaires
Mars 2007
John Holmes, le nouveau coordinateur des secours d’urgence des Nations Unies prévient la communauté internationale que la crise tchadienne est sous-estimée
Mahamat Nour, ancien leader d’une coalition de 13 groupes rebelles hostiles à M. Déby est nommé ministre de la Défense dans le cadre d’un accord de paix censé mettre fin à la rébellion et intégrer les combattants rebelles dans l’armée nationale
Novembre 2006
Abéché, ville stratégique et centre névralgique des opérations de l’armée et des organisations humanitaires, est attaquée et prise brièvement par les rebelles, obligeant les Nations Unies à évacuer leur personnel
Octobre 2006
Les rebelles s’emparent brièvement de Goz Beida, un centre opérationnel important pour les organisations humanitaires, à quelque 60 kilomètres de la frontière avec le Soudan
D’intenses combats entre les groupes rebelles soudanais et l’armée soudanaise débordent sur la frontière proche des camps de réfugiés d’Oure Cassoni, à 400 kilomètres au nord-est d’Abéché
Septembre 2006
Les forces gouvernementales lancent une offensive de grande envergure contre les positions des rebelles dans les montagnes d’Aram Kolle, à 150 kilomètres au nord d’Abéché. Bilan de l’offensive, d’après l’armée : 168 rebelles tués
Des combats sont également signalés près d’Adré et Birak, des villes proches de la frontière soudanaise. Aucun bilan n’a été communiqué
Août 2006
Déby modifie unilatéralement les accords de partage des bénéfices et des taxes conclus avec les principales compagnies pétrolières étrangères installées au Tchad
Juillet 2006
Nouvelles offensives des rebelles contre les positions de l’armée gouvernementale à Adé, dans l’est du pays. Selon le porte-parole du gouvernement, les attaques contre l’armée ont lieu « constamment »
Mai 2006
L’élection présidentielle se déroule dans le calme, malgré l’appel au boycott de l’opposition et les menaces de la rébellion. M. Déby est proclamé vainqueur du scrutin
Avril 2006
Les rebelles du Front uni pour le changement démocratique (FUC), une coalition de 13 groupes rebelles, lancent une offensive dans l’ouest du pays à partir du Soudan et de la RCA, s’emparent brièvement des villes de Goz Beida, Am Timan et Mongo avant de lancer une attaque sur N’Djamena
Mars 2006
Le gouvernement affirme avoir déjoué un complot orchestré par des déserteurs de l’armée et visant à abattre l’avion du président Déby lors de son retour d’un sommet
L’armée et les rebelles s’affrontent de nouveau à Adré ; les rebelles affirment avoir tué 200 soldats
Un deuxième affrontement de plus grande envergure près d’Adé et de Moudeina, à la frontière tchado-soudanaise, fait plusieurs « dizaines » de morts, dont le chef d’Etat-major et principal stratège de M. Déby
Décembre 2005
Quelque 370 rebelles et soldats de l’armée régulière auraient été tués après l’attaque, par un convoi de 40 véhicules de rebelles, de la ville d’Adré, limitrophe de la frontière avec le Soudan, environ 1 000 kilomètres à l’est de N’Djamena
Novembre 2005
Attaque par des hommes armés d’un camp d’entraînement de l’armée, à 25 kilomètres au sud de N’Djamena, et attaque de deux bases militaires de la capitale par des dizaines d’autres individus armés
Octobre 2005
40 soldats gouvernementaux se disant opposés à la réélection de M. Déby désertent l’armée et rejoignent un groupe rebelle tchadien actif dans l’est du Tchad
M. Déby dissout la garde présidentielle, composée de 5 000 éléments. Pour certains analystes, le « gouvernement engageait ainsi son combat pour la survie ».
Photo: Madjiasra Nako/IRIN