Un tribune libre du journaliste tchadien Eric Topona, réfugié en Allemagne pour fuir le régime d’Idriss Deby. Il s’insurge contre l’expulsion du Tchad du journaliste Alain Serge Zogbo, le 25 février 2015, soulignant qu’il était dans le collimateur du pouvoir depuis un moment.
Eric Topona est un journaliste tchadien à la Rédaction francophone
de la Deutsche Welle, en Allemagne, où il s’est réfugié pour fuir le régime répressif d’Idriss Deby
L’expulsion du journaliste Alain Serge Zogbo ne m’as pas surpris. L’ex-directeur de publication du journal La Voix par ailleurs rédacteur en chef du journal Libération, jusqu’à son expulsion, ce 25 février 2015, savait qu’il était dans le collimateur du régime Déby. Surtout, depuis sa rupture avec Jean-Bernard Padaré, propriétaire du journal La Voix, ancien ministre et membre du conseil national du MPS, le parti au pouvoir au Tchad.
Lorsque j’étais encore au Tchad, j’ai à maintes reprises mis en garde Alain Serge Zogbo, sur les risques qu’il prenait en collaborant avec Padaré. « Feu de brousse », comme j’aime bien l’appeler, n’admet aucune contradiction. Une dévotion obséquieuse, il vous fait payer cash votre émancipation. Et il ne lésine pas sur les moyens pour se venger. « La vengeance est un plat qui se mange à froid », nous répétait-il à souhait à l’époque. Soit.
Après leur brouille, Jean- Bernard Padaré, qui a repris du poil de la bête dans le giron du pouvoir, après un passage par la case-prison d’Amssinené, a promis au journaliste ivoirien l’enfer. Et la suite, on la connait. « Alain Serge Zogbo a poussé son outrecuidance un peu plus loin en créant le journal Libération en compagnie d’autres confrères tchadiens », témoigne un journaliste qui a préféré requérir l’anonymat. En plus, les articles au vitriol signé par Alain Serge Zogbo dérangeaient, ulcéraient les pontes du pouvoir, Padaré, en tête.
Pour de nombreux observateurs, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase est bien un article révélant l’assassinat d’un zagawa ( ethnie du chef de l’Etat tchadien) par le petit frère d’Idriss Deby Itno, le tout puissant Saleh Deby, par ailleurs Directeur général des Douanes. Le crime de lèse majesté ne pouvait pas rester impuni. L’occasion faisant le larron, il fallait maintenant se débarrasser de ce colis encombrant.
« Séjour irrégulier »
Après quelques jours de garde à vue à N’Djaména, notre ami Alain Serge Zogbo a finalement été expulsé manu-militari du Tchad. Destination finale, sa Côte-d’Ivoire natale. Au grand dam de ses amis et confrères, impuissants. Y sera-t-il en sécurité ? Lui qui a dû fuir son pays, au plus fort de la crise post-électorale de 2011 pour trouver refuge au Tchad ? Pour ceux qui ne le savent pas, le confrère expulsé est un fervent partisan de Laurent Gbagbo, actuellement en prison à la Haye.
Quoiqu’il en soit, ce n’est pas pour la première fois qu’un journaliste étranger est expulsé du Tchad. Déjà en 2009, un autre journaliste, Innocent Ebodé, de nationalité camerounaise fût lui aussi expulsé du pays de Toumai. Il était Directeur de publication du journal La Voix. Encore, le journal La Voix. Motif de l’expulsion : « Séjour irrégulier sur le sol tchadien ». Ironie du sort, c’est l’une des raisons qui ont présidé à l’expulsion du journaliste ivoirien Alain Serge Zogbo. Avec ce charmant paradoxe, ce même Alain Serge Zogbo a été autorisé, en 2013, à couvrir la campagne militaire tchadienne, dans le nord du Mali.
J’oubliais, à cette époque là, il était encore en odeur de sainteté avec Jean-Bernard Padaré, tout puissant ministre des Affaire foncières et des Domaines. Et donc son « titre de séjour irrégulier » ne posait aucun problème à cette époque-là.
Par Eric Topona