Tchad : Les enjeux d’une réforme constitutionnelle contestée


Lecture 6 min.
arton60225

Dans son article, ADOUMADJI MADJASTAN Magloire, s’inquiète de la portée d’une constitution qui prévoit une révision du découpage du territoire de 23 régions à 12. Certes, il est toujours louable de vouloir diminuer le millefeuille administratif mais quand on voit la bagarre qui se profile autour du contrôle des zones les plus riches en matières premières, on s’interroge. D’autant que le découpage n’a pas de logique en termes de population. L’auteur décortique et critique divers points du projet de constitution et termine en proposant un régime fédéral qui, tout en permettant la régionalisation, éviterait de concentrer des pouvoirs trop importants dans les mains du seul Président de la République.

Le gouvernement tchadien vient de présenter au public, un projet de réforme constitutionnelle. Cette réforme, quoique salutaire à un moment ou le pays est traversé par des forces centrifuges et, une crise économique et financière due principalement à la mauvaise gouvernance, doit susciter des interrogations quant à sa pertinence. Cette réforme telle qu’envisagée, contribuera-t-elle à apaiser les tensions politiques, sociales et communautaires en vue de la construction d’une Nation tchadienne forte et développée ?

Les points phares de cette constitution

La réforme constitutionnelle actuelle est ambitieuse comme le souligne ses rédacteurs. Elle ramène les 23 régions actuelles à 12 provinces. Ce qui permettra de réduire les dépenses de l’Etat. La réforme de l’Etat (Etat unitaire fortement décentralisé), la justice (une justice indépendante) et l’introduction du Sénat, constituent les autres avancées. En outre, elle met la question de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption au centre de la gestion de la chose publique. Par ailleurs, un mandat présidentiel de sept ans renouvelable une seule fois à partir de 2021 est retenu. Tout cela sera soumis soit à l’approbation des députés soit à un référendum en 2018. Toutefois, ce projet qui se veut consensuel, malgré l’absence d’une partie de l’opposition politique, les politico-militaires (mouvements rebelles) et la diaspora tchadienne, souffre déjà de quelques tares liées aux enjeux de pouvoir sur ces espaces. Cet état de chose est préjudiciable au projet et annonce de vives tensions à venir.

Des logiques de pouvoir porteuses des germes de conflits

L’élite politique de certaines régions pense que disposer d’un territoire immense peut leur conférer la puissance. Aussi, certains manœuvrent déjà, en faveur de la possession des provinces plus grandes. L’enjeu demeure le contrôle des ressources du sol et du sous-sol et le vivier électoral que constituent les populations. De tels calculs sont évidents lorsque l’on annonce le jumelage des régions du Mayo Kebbi et la Tandjilé en une province. Historiquement, ces régions faisaient partie de ce qu’on appelait « MKT » (Mayo Kebbi et Tandjilé, une sorte d’alliance politique) mais, sur le plan ethnolinguistique, il n’existe pas une homogénéité culturelle et linguistique entre ces deux régions. Cependant, la relation entre un territoire vaste et le pouvoir n’est pas évidente. Dans une situation ou une région est immensément vaste et peu peuplée parce que hostile, le facteur pouvoir est amenuisé. Une région faiblement peuplée est difficilement contrôlable. Cela a aussi un impact direct sur le développement économique et les moyens d’administration. Aussi, pour parer ce manque sur le plan électoral, le pouvoir en place compte assurer une représentativité au parlement en proposant que deux députés soient d’office élus par région. Par ailleurs, la nomination d’un tiers des membres du sénat par le président lui permettra de garder le contrôle sur le Sénat. Il pourra ainsi continuer d’assurer la pérennité d’un système politique prébendié, responsable de la majeure partie des dérapages sociaux et politico-économique actuels. Dans l’optique où le choix de ces derniers est laissé à la discrétion du Président, il est à craindre une forte représentativité du Parti au pouvoir au détriment des autres forces politiques. Ce qui condamnera ce Sénat à la sclérose et à la reproduction des desiderata d’un système politique clientéliste, ethno-tribal hérité des premiers régimes et perpétué par la classe politique actuelle. Il n’y a qu’à constater les références implicites ou explicites à sa tribu, son clan, sa famille dans l’administration. Quand un Premier ministre est nommé, c’est tout son village qui organise une fête pour remercier le Président de la République d’avoir pensé à lui. En clair, il s’agit de remercier le président de les avoir invités à la mangeoire.

Une telle approche du pouvoir ne peut qu’engendrer frustration et révolte. C’est pourquoi, les règles démocratiques doivent être appliquées dans le choix des élus et dans l’exercice quotidien des missions régaliennes de l’Etat afin de prévenir tous dérapages.?En outre, le changement de certaines capitales politiques des régions obéit simplement à des calculs d’influence d’une communauté sur une autre sans tenir compte des facteurs tels que la distance entre le chef-lieu et les grandes villes, les équipements administratifs ou l’accessibilité par la route.

Pourquoi pas un régime fédéral ?

La consécration d’un mandat présidentiel de sept ans avec une réélection illimitée renouvelable une seule fois à partir de 2021 vient conforter la volonté d’une superstructure juridique affaiblie de se maintenir au pouvoir.?Enfin, cette réforme reproduit inconsciemment la ligne de fracture Nord-Sud, résultat de la juxtaposition d’un Nord et d’un Sud historiquement antagonistes et culturellement distincts. La plupart des provinces du Nord sont à dominante musulmane alors que celles du sud sont chrétiennes et/ou animistes. Pourtant, cette opposition Nord-Sud menace l’unité nationale. A cela, faut-il ajouter les oppositions au sein d’une ou de deux régions autour du foncier et les conflits récurrents entre agriculteurs et éleveurs. Les antagonismes ethniques opposant Toubou du Tibesti, Arabes transhumants du centre, Noirs plus ou moins christianisés du Sud, comme la fracture Nord-Sud s’expriment par des guerres civiles à répétitions depuis l’indépendance. Aussi, l’Etat doit-il penser à une forme d’Etat susceptible de contenir ces forces centrifuges. Sinon, il est à craindre la résurgence de nombreux conflits sociopolitiques et communautaires. Cela pose la problématique de la pertinence du choix du modèle d’un Etat unitaire fortement décentralisé. La fédération ne serait-elle pas une approche beaucoup plus réaliste ?

Même s’il existe aujourd’hui, une conviction largement partagée que la stabilité du Tchad passe par une réforme des institutions et de la Constitution, la forme actuelle de l’Etat présenté dans ce document ne peut conduire à une paix et stabilité définitive. Car, elle est porteuse des germes de conflits qui ne tarderont pas à se faire jour. Cette forme actuelle de l’Etat devrait plutôt être une phase transitoire vers un projet d’Etat fédéral, susceptible de prendre en compte toutes les contradictions internes du pays. En outre la diaspora tchadienne et les politico-militaires doivent être associés à ce projet afin qu’il soit véritablement consensuel.

ADOUMADJI MADJASTAN Magloire, Chercheur indépendant, spécialiste des Questions de Paix et de Sécurité.

Article publié en collaboration avec Libre Afrique.

Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News