
Le journaliste tchadien Olivier Monodji, correspondant de Radio France Internationale (RFI) et directeur de publication de l’hebdomadaire Le Pays, restera en détention provisoire après le rejet, ce mercredi 9 avril, de sa demande de remise en liberté par un juge d’instruction. Une décision qui soulève de vives inquiétudes sur l’état de la liberté de la presse au Tchad, alors que les accusations à son encontre sont d’une extrême gravité : intelligence avec une puissance étrangère, en l’occurrence la Russie.
Séjour prolongé en détention pour le journaliste tchadien Olivier Monodji. Interpellé le 5 mars, le directeur de publication de l’hebdomadaire, Le Pays, a été placé sous mandat de dépôt cinq jours plus tard inculpé pour intelligence avec une puissance étrangère.
Un dossier explosif aux contours flous
Arrêté le 5 mars 2025, Olivier Monodji est poursuivi pour avoir, selon l’accusation, entretenu des liens avec la Russie via ses écrits et son activité journalistique. Il est l’un des trois journalistes inculpés dans ce dossier, tous suspectés d’avoir transmis des informations sensibles concernant la sécurité et l’économie du pays, et d’avoir collaboré avec le groupe paramilitaire russe Wagner, selon les déclarations du procureur de la République, Oumar Mahamat Kedelaye.
Les charges évoquées – intelligence avec l’ennemi, complot, atteinte à l’ordre constitutionnel, à l’intégrité et à la sécurité du territoire national – exposent les accusés à des peines de 20 à 30 ans de prison. Des accusations qualifiées de « lourdes et politiquement chargées » par des observateurs locaux. Le procureur affirme détenir des « documents » incriminants, obtenus à la suite d’une dénonciation, mais aucune preuve tangible n’a encore été rendue publique.
Une justice sous tension
L’avocat du journaliste, Maître Allahtaroum Amos, a fait savoir qu’il n’avait pas encore reçu l’ordonnance de rejet, tout en précisant qu’il disposait de trois jours pour interjeter appel. Ce manque de transparence sur les motivations exactes du rejet contribue à entretenir le flou autour de la procédure judiciaire et alimente les soupçons d’un procès politique.
Un autre journaliste, Ahmat Ali Adji, de Toumaï Média, également soupçonné d’ « intelligence avec une puissance étrangère », a été interrogé mais n’a pas été inculpé. Selon ses déclarations, les questions ont porté sur la couverture de l’inauguration de la Maison de la Russie à N’Djamena et d’éventuels liens avec des ressortissants russes.
Un climat de répression contre la presse ?
Le Patronat de la presse tchadienne (PPT) a exprimé son « indignation » et sa « vive inquiétude » dans un communiqué, rejoignant la voix de Reporters sans frontières (RSF), qui exhorte les autorités tchadiennes à mettre fin à la répression de la presse. Sadibou Marong, directeur régional de RSF, dénonce une volonté manifeste d’intimider les journalistes et de limiter leur liberté d’investigation dans un contexte de plus en plus hostile. « Les journalistes doivent pouvoir exercer leur métier sans craindre de représailles », a-t-il déclaré.
Cette affaire intervient dans un contexte de recomposition stratégique pour le Tchad. En janvier 2025, le pays a obtenu le retrait total des troupes françaises, un tournant symbolique qui s’inscrit dans un réalignement diplomatique plus large. La Russie, la Hongrie et les Émirats arabes unis apparaissent comme les nouveaux partenaires privilégiés de N’Djamena. L’inauguration à N’Djamena de la Maison russe, en présence de trois ressortissants russes – dont l’un lié à l’ancien chef du groupe Wagner, Evguéni Prigojine –, avait déjà suscité des remous en septembre. Les intéressés avaient été brièvement interpellés et retenus plusieurs semaines sans explication officielle.