Dans la nuit de lundi à mardi au Tchad, seize Européens et deux Tchadiens ont été inculpés d’enlèvement de mineurs, complicité ou escroquerie. Ils s’apprêtaient à transporter des enfants d’origine tchadienne vers la France, par l’intermédiaire de l’association française « L’Arche de Zoé ». Le matraquage médiatique et les contradictions des officiels français et tchadiens soulèvent de nombreuses questions.
Au total, dix huit personnes ont été inculpées d’[enlèvements d’enfants->] ou de complicité par la justice tchadienne, dans la nuit de lundi à mardi. Parmi eux, des membres de l’ONG française l’Arche de Zoé » dont le président Eric Breteau, trois journalistes français et le pilote belge, Jacques Wilmart.
L’enfer est pavé de bonnes intentions
Interrogé mardi matin sur la radio française RTL, l’ancien président de Médecins sans frontières (MSF), Rony Brauman a estimé que la réaction brutale des pouvoirs publics français à l’encontre de l’Arche de Zoé avait été « disproportionnée ». Nicolas Sarkozy avait condamné lundi l’opération menée par l’association en la qualifiant d’ « illégale et d’irresponsable. »
Le cofondateur de MSF, qui ne partage pas l’idée qu’une « guerre génocidaire » se déroule au Soudan, a considéré que des personnalités comme « Bernard Kouchner et Bernard-Henri Levy, fortes de leur statut (…), ont installé l’idée que les gens qui étaient là-bas étaient en sursis, et que ce qui les attendait immanquablement, c’était la mort ». Selon lui, c’est influencé par ces idées, qu’Eric Breteau disait vouloir aider les enfants en proie à la guerre civile au Darfour. Et pour ce faire, son organisation devait assurer l’évacuation d’enfants orphelins de la zone de conflit vers les pays pouvant les accueillir. « Il faut sauver les enfants du Darfour (Soudan) pendant qu’il est encore temps. Dans quelques mois, ils seront morts ! », tel était le cri d’alarme qu’avait lancé l’Arche de Zoé via son site web.
Pourtant, ce mardi, un conseiller du chef de la diplomatie française, Bernard Kouchner, a formellement reconnu que les 103 enfants que l’association avait tenté d’embarquer en France étaient en majorité « tchadiens, avec des parents tchadiens », et non des orphelins soudanais. D’autre part, ces enfants auraient été kidnappés par des tchadiens. Ainsi, Ousmane, l’un d’entre eux, s’est livré à la presse : « Mes parents étaient aux champs ou cherchaient de l’eau. Des Tchadiens sont venus alors qu’on était en train de jouer, ils nous ont proposé des bonbons. Ils nous ont dit : « Suivez-nous à Adré (ville située à 1 km de la frontière soudanaise), ensuite nous vous ramènerons ». Mais après, on s’est retrouvé à l’hôpital d’Adré et les Blancs sont venus nous chercher. »
L’association ne cachait pas ses desseins en matière d’adoption. Dans un communiqué daté du 5 mai dernier, Enfance et Familles d’adoption (EFA) mettait en garde les familles contre l’Arche de Zoé qui se proposait de faire « accueillir puis adopter 10000 enfants de moins de 5 ans. » Or, les enfants musulmans ne sont pas adoptables. Le Coran rejette l’adoption. Dans des pays comme le Tchad et le Soudan, les règles d’autorité sur les enfants qui ont perdu leurs parents naturels sont régies par le « Kafala », un système comparable à la tutelle. Ce système n’est pas comparable au système d’adoption français qui crée un lien filial entre l’enfant et l’adoptant – ce qui est proscrit par la Charia.
Quand les autorités font la sourde oreille
Les retombées de l’affaire de l’Arche de « Zoé » ont inquiété Paris au plus haut point. La secrétaire d’Etat et des droits de l’Homme, Rama Yade, n’a eu de cesse de dénoncer les agissements de l’association. Pourtant, elle avait été avertie dès l’été par les députés de la majorité des risques liés aux opérations prévues par l’Arche de Zoé. « On a alerté, prévenu, mis en garde (…) nous avons saisi la justice. Que pouvions nous faire de plus ? » a-t-elle répondu, dimanche, sur Europe 1.
Eric Breteau n’a pas eu besoin de changer d’identité pour rentrer sur le sol tchadien. Le président de l’association, dont les projets ont été signalés au parquet de Paris le 9 juillet par l’Autorité centrale pour l’adoption internationale (ACAI), n’a pas été inquiété.
Pour la secrétaire d’Etat, qui est intervenue mardi devant l’Assemblée nationale, les autorités françaises ne sont pas responsables de cette action, seule est en cause « la responsabilité individuelle ». Pourtant, l’association a bénéficié de l’aide de l’armée française pour le transport des enfants de N’Djamena, la capitale tchadienne, à Abéché. Deux villes qui font partie du dispositif permanent de l’armée française instauré dans le cadre de l’opération Epervier. Il y aurait-t-il eu un défaut de communication entre les différents rouages de l’autorité française, ou l’opération illégale aurait-elle été finalement cautionnée ?
Pour ne pas perdre le soutien de N’Djamena et cacher certains « cafouillages », on multiplie du côté français les critiques de l’association l’Arche de Zoé. La France, dont l’armée est déjà présente au Tchad et qui est un recours pour le président Déby contre les rebelles, soutient le projet européen d’une force Eufor Tchad-RCA devant se déployer en novembre dans les zones frontalières du Soudan pour apporter une plus grande stabilité au Darfour.
Le président tchadien, qui voit d’un mauvais oeil l’arrivée de ces militaires européens sur son sol, a joué sur le sentiment anti-occidental. « Ces gens nous traitent comme des animaux (…) la voilà, cette Europe qui sauve, la voilà cette Europe qui donne des leçons à notre pays » a-t-il déclaré lors de sa visite, vendredi dernier, au centre d’Abéché où étaient logés les enfants enlevés. Cependant, Jacques Wilmart, le pilote belge qui a acheminé les enfants depuis la frontière tchado-soudanaise vers Abéché a affirmé, samedi, sur la radio française Europe 1, que les autorités tchadiennes étaient au courant du projet de l’Arche de Zoé. Il semble évident que, dans cette affaire, bien des zones d’ombres méritent encore d’être dissipées…
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