Les conflits entre éleveurs et agriculteurs minent la société tchadienne depuis la guerre civile de 1979. L’Association tchadienne pour la non violence (ATNV) utilise le théâtre pour tenter de les juguler.
Il était une fois au Pays de Toumaï, deux communautés, à savoir éleveurs et agriculteurs, qui vivaient en parfaite harmonie. Les premiers quittaient le Nord du pays à la recherche de verts pâturages dans le Sud. Ils se rendaient alors auprès du chef de canton pour lui demander la permission d’occuper une partie d’un terrain pour nourrir leurs bêtes. Leurs relations avec les cultivateurs étaient alors au beau fixe. « Tout bascule avec la guerre civile de 1979 [Entre le Nord musulman et le Sud chrétien ([le conflit oppose la rébellion du Frolinat, conduite par Hissène Habré et soutenu par le Nord, et le Sud incarné par le régime de Félix Malloum qui était alors le pouvoir).]]». Les réminiscences de ce conflit perdurent dans la société tchadienne. « Les éleveurs, à majorité musulmans, et les agriculteurs, pour la plupart chrétiens, se regardent en chiens de faïence depuis ». L’Association tchadienne pour la non violence (ATNV), basée à Moundou, dans le Sud du pays, et dont Djasnabeye Mbaindo est le chargé de communication, s’est fixée pour mission de permettre aux communautés de retrouver l’harmonie d’antan.
Des populations instrumentalisées
«Les traditions africaines et, notamment tchadienne, sont avant tout basées sur l’oralité. Par conséquent, les pièces que nous faisons permettent de montrer et de faire réfléchir les gens à ce qu’ils font au quotidien. Nos contes permettent ainsi de transmettre des messages aux jeunes tout en restant ancré dans la tradition.» Au cœur du dispositif de l’association : une troupe de 15 musiciens, baptisée La Colombe, et de 15 comédiens. Elle est formée par des jeunes lycéens et universitaires qui fréquentent le centre Martin Luther King, le siège social ATNV, où se tiennent plusieurs activités culturelles. Les artistes en herbe sont ensuite formés à la démarche de l’association. Ils sillonnent 25 départements du Tchad, d’Abéché à l’extrême Sud du pays. Le Nord étant peu accessible, notamment à cause du conflit au Darfour, dans le Soudan voisin. L’ensemble se produit dans les zones rurales aussi bien en français, en arabe que dans les langues traditionnelles du pays. Modus operandi des artistes pour la paix : « Le groupe musical s’installe, raconte Djasnabeye Mbaindo, et commence à jouer sur le thème de la non-violence. Ce qui attire les gens ». La pièce de théâtre est alors jouée. Elle s’inspire du quotidien des villageois et suscite le débat après sa présentation. Les thèmes évoqués sont pour la plupart relatifs à la cohabitation entre éleveurs et agriculteurs. Notamment le fait que les forces de sécurité enveniment la situation. D’une part, parce que « les grands officiers de l’armée sont également issus du Nord du fait des conflits qu’a connus cette partie du pays », explique Djasnabeye Mbaindo. D’autre part, parce que « les chefs de brigades, auxquels font appel les populations en cas de conflit, les escroquent ».
« Par le passé, en cas de dévastation d’un champ, l’agriculteur se rendait chez le chef de brigade pour porter plainte, affirme Djasnabeye Mbaindo. L’officier fait alors son constat et réclame une amende à l’éleveur comprise généralement entre 100 et 200 000 F CFA. Une somme qui devrait être reversée à l’agriculteur. Ce que croit en tout cas l’éleveur. Mais elle est en réalité empochée par le chef de brigade. Résultat : l’agriculteur est lésé et l’éleveur pénalisé puisque le cultivateur n’est pas dédommagé. Grâce à leur vécu et à nos sketches, les populations se sont rendues compte de l’arnaque dont ils étaient tous victimes ». L’association est donc devenue un interlocuteur de choix pour régler les conflits d’autant que des comités d’entente ont été mis en place sous son impulsion depuis 2005. « Ces comités rassemblent cinq éleveurs et cinq agriculteurs. Ses membres sont formés à la gestion des conflits par nos soins ». L’association a également obtenu du Président tchadien, Idriss Déby Itno, que les chefs de brigade soient dessaisis du règlement de ces conflits entre éleveurs et agriculteurs.
Quand « la vie est saluée »
L’ATNV, lancée officiellement en 1992, produit également un journal Le Médiateur et l’émission radio, Dialogue pour la paix. Son action, qui consiste à sensibiliser aussi sur des questions comme la propagation du sida, est l’un des trois coups de cœur de l’édition 2010 du concours Harubuntu des porteurs d’espoir et de créateurs de richesses africains. Le dynamisme de la structure est, entre autres, l’émanation de celle de Djasnabeye Mbaindo. Son parcours n’y est pas étranger. « Fils aîné d’un homme emprisonné par Hissène Habré (son père sera libéré en 1990 à l’arrivée au pouvoir du Président Idriss Déby Itno et décèdera quelques mois plus tard) », Djasnabeye Mbaindo étudie dans un lycée islamique au Tchad eu égard à sa foi chrétienne. Avec son bac obtenu avec mention, il bénéficie d’une bourse pour poursuivre sa scolarité au Soudan mais y est contraint de poursuivre des études islamiques au lieu du droit international qui l’intéresse. Le jeune homme s’installe donc au Nigeria et y suit des cours en gestion des entreprises, option marketing et communication. Cette expertise est totalement mise au service de l’ATNV. Les espoirs de Djasnabeye Mbaindo aussi. « Depuis ma naissance (en 1973), je vis dans la guerre. Cependant, j’ai eu la chance de voyager et je me suis aperçu que dans des pays comme le Bénin ou le Ghana, pour ne citer que ceux-là, les conflits avaient été dépassés et que la vie est saluée. Une conviction s’est alors forgée en moi : aider les jeunes à changer de mentalité pour mettre fin au cercle vicieux de la violence ». C’est la situation que vit d’ailleurs toute une génération de Tchadiens « A partir de maintenant, il faut cesser d’enrôler les enfants dans l’armée. C’est ce qui est arrivé dans le Nord du pays avec les conflits avec les Etats limitrophes. Ils ont grandi avec une kalachnikov à la main au lieu d’être scolarisés. Leur premier réflexe est de manger avec leur kalachnikov. Un renouvellement du système des valeurs est impératif ».
Le chargé de communication fustige aussi le climat d’impunité qui règne dans son pays et explique les atteintes aux droits humains. « Certains pensent qu’ils ont droit de vie ou de mort sur leurs compatriotes parce qu’ils sont armés ». « En tant que Tchadien, ce n’est pas facile de grandir dans ce climat de violence », poursuit-il. La démocratie est encore balbutiante dans son pays, mais Djasnabeye Mbaindo note que le « Tchad revient de loin ». « On a du mal à se débarrasser des vieux habits ». Les accords signés entre le Soudan et le Tchad pour ne plus abriter réciproquement les rebelles des deux pays et le départ souhaité de la Mission des Nations unies en République centrafricaine et au Tchad (Minurcat) sont, selon lui, une avancée significative pour un pays qui veut la paix et aplanir ses différends avec ses voisins. Djasnabeye Mbaindo regrette néanmoins que « les gens qui ont porté Déby au pouvoir, et à qui reviennent aujourd’hui, les postes clé n’y connaissent rien en matière de gestion et de déontologie ». « Il faut vraiment des élections démocratiques pour que la situation change, plaide-t-il ». Au moins pour que cette fracture entre pasteurs et cultivateurs ne soit plus un argument politique.