Le Tchad a vécu ce matin ses premières heures de couvre-feu général. La veille, le président Idriss Deby Itno a décrété l’état d’urgence pour rasseoir son pouvoir ébranlé par les rebelles qui chercheraient à se doter d’un chef unique avant de remonter à l’assaut de N’Djamena.
« Il est institué à compter du 15 février à partir de 00H00 l’état d’urgence sur toute l’étendue du territoire de la république du Tchad. » Ce sont par ces mots que les Tchadiens ont appris, jeudi soir, sur la radio nationale, que le président Idriss Deby Itno utiliseraient, par décret, des méthodes exceptionnelles, « tous les moyens humains et matériels disponibles en vue de ramener l’ordre public. » Cet état d’urgence prévoit l’instauration d’un couvre-feu sur le territoire de minuit à six heures du matin (le couvre-feu était déjà en vigueur dans N’Djamena depuis le 2 février) et le contrôle de n’importe quelle personne et véhicule circulant dans le pays. L’opération a été mise sous la responsabilité des gouverneurs des régions. Selon la Constitution tchadienne, l’état d’urgence ne peut être décrété que pour deux semaines. Une durée qui ne peut être prorogée que par l’Assemblée nationale. Ce qui ne serait qu’une simple formalité pour Idris Deby dont le parti domine l’Assemblée.
Aujourd’hui, les rebelles qui ne sont pas tombés lors de la bataille de N’Djamena des 2 et 3 février ont trouvé refuge au Soudan et dans le sud-est du Tchad, selon l’armée régulière. Mais ils ne semblent pas avoir dit leur dernier mot. Leur alliance, composée de trois forces –l’Union des forces pour la démocratie et le développement (UFDD) du général Mahamat Nouri, le Rassemblement des forces pour le changement (RFC) de Timan Erdimi et l’UFDD Fondamentale (UFDD-F) d’Abdelwahid Aboud Makaye – tenteraient actuellement de se choisir un chef avant de repasser à l’assaut. « On a décidé de ne plus repartir à N’Djamena sans avoir une direction unique », a déclaré l’un de leurs porte-paroles, Abderaman Koulamallah, à l’AFP.
Une occasion pour Deby de faire le ménage parmi ses opposants
Il est fort à parier qu’Idris Deby profitera de l’état d’urgence pour éliminer, avec ou sans preuve, tous ceux qui pourraient être des appuis éventuels pour ces rebelles en quête de revanche. Ainsi, dès le 3 février, trois chefs de l’opposition politique ont été raflés à leur domicile par la garde présidentielle, selon leur entourage. Le premier, Lol Mahamat Choua, un ancien président tchadien, a été « retrouvé vivant » à la police nationale, selon les termes du ministre de l’Intérieur, mais « dans un état très affaibli » d’après ses proches. Cependant, il n’y a toujours pas de nouvelles des deux autres responsables politiques enlevés, Ibni Oumar Mahamat Saleh et Ngarlejy Yorongar. Les avocats saisis par les familles des trois opposants, Mes Mahamat Hassan Mbacar et Betel Nimganadji Marcel, ont indiqué à l’AFP qu’ils demandaient « au gouvernement, s’ils ont commis un crime quelconque de les déférer devant la justice », ou, s’ils sont innocents, « de les libérer ».
Cependant, l’état d’urgence qui autorise « les perquisitions à domicile et le contrôle de la presse publique et privée », ne facilitera pas les choses. Le pouvoir pouvant le prendre pour prétexte pour ignorer les lois et se laisser aller aux pires excès. La vengeance, on le sait, est aveugle. Et la France, qui a aidé Idris Deby à repousser l’attaque rebelle, fermera-t-elle les yeux ?