Sonia Rolley, 29 ans, a été expulsée du Tchad où elle était correspondante. Elle raconte dans un livre, Retour du Tchad, Carnet d’une correspondance (Actes Sud, 2010), son quotidien de journaliste pigiste dans un pays sous tension. Rencontre
Petite brune à la peau blanche dans un pays d’Afrique centrale sans accès à la mer et oublié des grands medias. À 29 ans, Sonia Rolley a déjà le parcours d’une journaliste chevronnée. Elle a passé deux ans à décrire au plus près les convulsions d’un régime d’acier aux prises avec des forces rebelles, avant d’être expulsée. « J’ai tendance à penser que les correspondants dans des pays difficiles ont une date de péremption », plaisante-t-elle, attablée à la terrasse d’un café parisien. Entre une France qui peine à rompre avec son lourd héritage colonial et un régime tchadien au pouvoir depuis vingt ans, elle ne sait toujours pas qui est l’instigateur de son renvoi.
Franc-parler
Sonia n’a pas froid aux yeux. Enfants soldats, dérives autoritaires, meurtres en catimini, compromission des groupes humanitaires et ingérence étrangère : son retour critique sur la saga de l’Arche de Zoé et sur le traitement de l’affaire par les médias et les hautes instances de l’Etat français est édifiant. Elle passe en revue tout les tourments du pays dans son livre, Retour du Tchad, Carnet d’une correspondance, publié en janvier dernier. Elle utilise le même franc-parler lors de ses innombrables papiers et chroniques radio, presse et télé. Un filet de voix douce pour commenter une terrible réalité.
« Est-on prêt à mourir pour 55 euros ? », interroge-t-elle. Cinquante-cinq euros, c’est le prix d’un “papier” pour Radio France Internationale (RFI). Vingt dollars la dépêche pour l’Agence France Presse (AFP). « Je suis pigiste, payée à l’information donnée », explique-t-elle. Sans salaire fixe, elle a couvert, cinq années durant, le Rwanda et le Tchad pour RFI, l’AFP ou encore Libération.
« En arrivant au Rwanda, je n’avais aucune idée de la marche à suivre », s’amuse-t-elle en sirotant son coca. « Heureusement, j’ai rencontré une journaliste américaine qui travaillait pour une agence humanitaire dans la région des Grands Lacs, se souvient la jeune femme. Elle m’a appris que l’on peut dire beaucoup de choses à condition de savoir comment le dire ».
Originaire d’Alès dans le Gard, Sonia n’a rien dans son enfance qui ne la prédispose aux grands voyages et à la correspondance de guerre. « J’ai fait l’IEP (Sciences Po) d’Aix-en-Provence et suis parti au Sénégal faire un stage à Sud FM, une radio créée en 1994. Là-bas, j’ai écouté des émissions de RFI à destination de l’Afrique noire que j’ai trouvé géniales », signale-t-elle avec candeur.
Elle pousse alors les portes de la rédaction de RFI et demande à être envoyée au Rwanda. Sonia se retrouve ainsi à 24 ans dans un pays qui sort des affres d’un génocide et qui musèle les voix trop discordantes, en rupture avec la vox impérieuse de l’Etat. « Le Rwanda, c’est pire que le Tchad ! Le contrôle du politique y est omniprésent », argumente-t-elle.
Parachutée dans deux pays d’Afrique aux destins divergents, Sonia parle avec émotion de ces deux Etats ravagés par des luttes fratricides, des guerres civiles aux dimensions régionales ainsi que par des catastrophes humanitaires. Le Rwanda vit depuis maintenant plus de quinze ans avec les traumatismes du pire génocide que l’Afrique ait connu. Quant au Tchad, il figure au 170e rang mondial sur 179 pays pour son indice de développement, selon un classement du Programme des Nations Unies pour le développement.
Persona non grata
En mars 2008, son franc-parler lui vaudra d’être déclaré persona non grata au Tchad. On l’informe que son autorisation de travail est résiliée et qu’elle n’est désormais plus bienvenue en territoire tchadien.
Qui est responsable de son expulsion ? Le président Idriss Déby qui tente par tous les moyens d’asseoir son pouvoir après que les forces rebelles ont pénétré N’Djamena, la capitale, en février 2008 ? Ou faut-il y voir l’excès de zèle de Bruno Foucher, l’ambassadeur français avec lequel elle entretient des relations tendues ? En journaliste militante, Sonia dénonce avec vigueur la « Françafrique ». Cela ne lui a pas valu que des amis.
Commander Retour du Tchad, Carnet d’une correspondante, de Sonia Rolley, éd. Actes Sud, 2010, 174 pages.