L’ex-homme fort de Monrovia gère 90% de l’économie libérienne. Son exil au Nigeria, depuis le 11 août dernier, ne l’empêche pas de garder la main-mise sur les affaires du pays et d’avoir des contacts quotidiens avec le vice-président Moses Blah.
Pas facile d’abandonner quatorze années de pouvoir absolu. Pas facile non plus de renoncer aux dividendes qui en découlent. Charles Taylor, bien qu’il soit en exil au Nigeria depuis le 11 août dernier, tient encore les rênes des pouvoirs politique et économique au Liberia. C’est ce qu’affirmait vendredi dernier Jacques Klein, le représentant spécial de Koffi Annan : « L’ancien chef de guerre en exil conduit encore le Liberia ». Samedi, le journal The Vanguard rapportait que certains ministres libériens avaient fait le déplacement à Calabar, la ville d’exil de Taylor, pour le rencontrer.
Selon des diplomates cités par The News, Taylor appellerait plusieurs fois par jour le vice-président Moses Blah (qu’il a désigné à sa succession le 11 août) et le ministre des Affaires étrangères Lewis Brown. « Charles Taylor tente de déstabiliser la situation », explique Geoffrey Rudd, le représentant de l’Union européenne pour le Liberia. « Je pense qu’il veut prouver que ce n’est pas lui le problème, que le pays n’est pas sûr et qu’il y aura toujours des combats. » Certains officiels étrangers auraient même demandé au Président nigérian Olusegun Obasanjo de couper les lignes téléphoniques de son hôte…
Jamais sans mes millions
Pour le moment, il n’en est pas question et Charles Taylor utilise son combiné pour défendre ses intérêts économiques dans la coulisse. Il tenterait ainsi de faire payer certaines dettes à des hommes d’affaires de Monrovia et sollicite des donations de leur part. « Nous ne savons pas pour quelles raisons il lève de l’argent. Ce qui est clair, c’est qu’il garde le contact avec les anciens membres de son gouvernement », a affirmé Geoffrey Rudd à l’Associated Press.
Selon divers observateurs, Taylor contrôlerait aujourd’hui 90% de l’économie libérienne, qu’il gère depuis sa villa de Calabar… Du temps de sa présidence, c’est déjà lui qui régentait tous les secteurs-clés, épaulé par six ou sept hommes d’affaires de confiance : l’or, les diamants, les importations de riz et de gaz, les exportations de bois, l’imprimerie et le frêt. En plus de 10 ans, il a eu le temps d’ouvrir plusieurs comptes en banque en Suisse. Selon Jacques Klein, il aurait quitté le Liberia en emportant 3 millions de dollars, destinés initialement aux militaires. Cette somme, fournie par un pays asiatique dont le nom n’a pas été révélé, aurait dû servir à réhabiliter les ex-combattants et à payer les soldats, notamment la garde présidentielle d’élite.
Aujourd’hui, « il n’y a plus d’argent dans les caisses de l’Etat », assure Jacques Klein. « Ce qui pose un vrai problème pour reconstruire le pays. » L’économique est au cœur du politique. Tant que Taylor n’aura pas lâché sa main-mise sur les finances de l’Etat libérien, le pays ne pourra ouvrir ses marchés, introduire la concurrence et mettre en place une réglementation adéquate. Le gouvernement de transition, nommé en octobre prochain, devra être suffisamment fort et indépendant pour mettre Taylor totalement à l’écart des affaires du pays.