Avec le fleuve pour asphalte, les taxis pirogues écument le majestueux Niger pour transporter les riverains d’un village ou d’une berge à l’autre. Un système de transport en commun obligé pour un moyen de communication séculaire. Reportage au fil de l’eau au Niger près de l’île Boubon à 25 km de Niamey.
Debout seul au bord du fleuve Niger, je contemple le géant paisible. Surnommé le « Nil occidental », il est l’un des plus grands fleuves du continent. Au loin un frêle esquif bondé traverse tranquillement le cours d’eau. « C’est un zirdji, un taxi pirogue », m’explique un homme à demi nu que je viens juste de remarquer près de moi. Maamoudou est pompier, de l’eau à mi-cuisse, il est venu faire sa toilette en cette chaude et agréable fin d’après midi.
Bruissement parmi les herbes aquatiques, une embarcation apparaît sur ma gauche, longeant la berge. A son bord, une douzaine de personnes, essentiellement des femmes et des enfants me regardent d’un air curieux. Je ne suis évidement pas d’ici. Le piroguier m’interpelle néanmoins en aoussa. « Il te demande si tu veux monter », m’explique Maadoumou, amusé par le fait qu’il me prenne pour un Nigérien. Appréhension : la ligne de flottaison du bateau me parait dangereusement basse. Je préfère prendre la suivante.
Saïdou, 20 ans, piroguier
Et ça tombe bien puisqu’il est vide. Saïdou Karimou, t-shirt noir et casquette renversée, finit sa journée. Il ne parle qu’aoussa. Mais mon interprète et désormais complice, jouant avec délectation sur la fibre patriotique, lui explique que je suis Nigérien et que je ne parle pas la langue. Que je suis de retour au pays pour retrouver mes racines et que je tiens absolument à faire un tour sur le fleuve. Palabres. Il m’en coûtera 1 000 F CFA.
Direction le village Sarando Ganda, de l’autre côté du fleuve. Juste en face. Mais la ligne droite, sur le Niger, n’est pas le plus court chemin d’un point à un autre. A cause du courant, nous sommes obligés de remonter le cours d’eau le long de la berge. Debout à l’arrière de la pirogue, Saïdou se fraie un chemin parmi la végétation fluviale en poussant sur le fond du fleuve avec une grande gaule. Ici les eaux peu profondes ne nécessitent pas encore l’utilisation de la rame.
Jardins fluviaux
A 100 mètres de notre point de départ, nous bifurquons vers le fleuve. Que nous traverserons en diagonale pour atteindre notre destination. Cette fois-ci à la pagaie. Sentiment d’immensité et de faiblesse que de voguer sur le géant africain. Long de 4 700 km, il baigne quatre pays (Guinée, Mali, Niger et Nigeria) et traverse deux capitales (Bamako et Niamey). Chemin faisant, nous croisons d’autres taxis pirogues qui transportent leur lot d’usagers. Nous voici de l’autre côté. Maamoudou n’est plus qu’une vague silhouette à l’horizon.
Nous ne sommes pas encore arrivés au village mais les premières habitations sont déjà visibles. Tranches de vie, une femme, le dos courbée, fait sa lessive dans le fleuve, une bassine de linge mouillé à ses pieds. Son enfant, âgé d’une dizaine d’années et nu comme un vers, se savonne des pieds à la tête. Chaque maison dispose de quelque 200 mètres carrés de « jardin » aquatique individuel, délimité par des clôtures végétales plantées au fond de l’eau. Ces étranges parcelles sont séparées par de petites allées menant à la terre ferme. Nous continuons à glisser paisiblement au fil de l’eau découvrant un paysage luxuriant où s’efface la notion du temps.
Plongée dans l’univers rural
Puis Sarando Ganda apparaît. Un village uniquement construit en pisé. Les abords de la zone d’appareillage – qu’il serait bien audacieux de qualifier de port tant elle est minuscule – semblent être la place du village. Debout, assis ou adossé contre les murs des maisons, ils sont près d’une cinquantaine, jeunes et moins jeunes à discuter ou attendre je ne sais quoi. N’empêche que tous les regards se tournent vers moi. Je n’ose pas sortir mon appareil photo de peur de froisser les gens ou de violer leur intimité sociale.
Les enfants, tout sourire, me saluent de la main. Certains me demandent tout de go « cadeau ». Je viens d’ailleurs, évidemment. Je n’ai malheureusement pas le temps de mettre pied à terre car le soleil se couche déjà et il me faut rentrer avant la nuit. Nous embarquons un passager pour le retour. Hamadou est enseignant. Quand je lui dis que je travaille pour un quotidien en ligne, il me répond en rigolant « qu’il n’y a pas d’Internet ici ». Comme une évidence. Vêtu de son abgada (ensemble boubou), sa sacoche en cuir sous le bras, il se rend à la ville pour voir un proche. Lui ne payera que 50 F CFA l’allée. Comme tout le monde. Ainsi donc j’aurai déboursé dix fois plus que le tarif normal. Tant pis. La ballade, pour un pseudo fils du pays était trop belle. Une beauté à laquelle seul moi l’étranger peut être sensible. Car pour les autres, elle n’est prosaïquement que leur quotidien.
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