C’est un coup dur pour les ports espagnols. Le géant maritime Maersk vient d’annoncer qu’il délaisse le port d’Algésiras dans le Sud de l’Espagne au profit de son voisin marocain, Tanger Med. En cause ? Les nouvelles taxes carbone européenne que les transporteurs cherchent à éviter. Une situation qui provoque la colère de Madrid et soulève des questions sur l’efficacité des mesures environnementales de l’Union européenne.
Le calcul est simple : en faisant escale à Tanger plutôt qu’en Espagne, les navires ne paient la taxe carbone que sur la courte distance entre le Maroc et l’Europe, au lieu de l’ensemble du trajet depuis leur port de départ. Pour un transporteur comme Maersk, qui assure la liaison entre les États-Unis et l’Inde, les économies sont considérables.
Algésiras perd ses navires au profit de Tanger
Officiellement, Maersk justifie sa décision par un gain de temps – cinq jours sur l’ensemble du trajet ! Mais dans les couloirs du gouvernement espagnol, personne n’est dupe. Cette réorganisation, annoncée en janvier 2025, est une conséquence directe du système d’échange de quotas d’émission (ETS) mis en place par l’Europe.
Le port d’Algésiras, l’un des plus dynamiques d’Europe, risque de payer cher cette décision. Des milliers d’emplois sont menacés, tant dans les activités portuaires directes que dans tout l’écosystème économique qui en dépend. Face à cette situation, Madrid tire la sonnette d’alarme auprès de la Commission européenne.
« C’est le début d’un effet domino« , s’inquiète-t-on dans le secteur maritime espagnol. Et pour cause : Tanger Med dispose d’atouts redoutables. Des installations ultramodernes, une main-d’œuvre moins coûteuse et maintenant, un avantage fiscal lié à l’absence de taxe carbone. De quoi séduire d’autres grands transporteurs maritimes.
La Commission européenne se retrouve face à un dilemme. Comment maintenir des ambitions environnementales fortes sans pénaliser les ports européens ? Une piste est à l’étude : taxer les conteneurs selon leur destination finale, plutôt que le dernier trajet du navire. Ainsi, une marchandise destinée à l’Europe serait soumise à la taxe carbone, quel que soit son port de transit. Une idée logique a priori.
Mais cette solution pose de nouveaux défis. Comment suivre les émissions par conteneur si certains dont déposés en chemin ? Comment gérer les accords commerciaux avec les pays tiers comme le Maroc ? En attendant des réponses, l’Europe reste isolée dans sa démarche. En effet, aucune autre région du monde n’a mis en place un système comparable à l’ETS pour le transport maritime.
L’Europe face au défi de la concurrence maghrébine
Cette situation met en lumière un paradoxe : une politique environnementale ambitieuse peut avoir des effets contre-productifs si elle n’est pas coordonnée au niveau international. En déplaçant le trafic vers des ports moins réglementés on risque de déplacer le problème des émissions.
Pour l’Europe, l’enjeu est de taille. Il s’agit de trouver un équilibre entre transition écologique et compétitivité économique. Sans cela, le cas Maersk pourrait faire école, redessinant durablement la carte du transport maritime en Méditerranée, au détriment des ports européens.
Cette situation s’inscrit dans un contexte plus large de montée en puissance des ports maghrébins. Au-delà de Tanger Med, l’Algérie développe activement le port de Djen Djen, avec un ambitieux projet d’agrandissement en partenariat avec DP World. Capable d’accueillir les plus grands porte-conteneurs grâce à des quais de 20 mètres de profondeur, il ambitionne de devenir un concurrent direct de Tanger Med.
En Tunisie, le port de Radès, malgré des défis de modernisation, reste un acteur important du commerce régional. Cette dynamique transforme progressivement le Maghreb en hub logistique majeur, offrant aux transporteurs maritimes de multiples alternatives aux ports européens.
La balle est maintenant dans le camp de Bruxelles. La Commission doit rapidement proposer des solutions pour éviter que les mesures environnementales ne se transforment en handicap économique, d’autant plus que la concurrence portuaire s’intensifie au sud de la Méditerranée.