Christiane Taubira n’est plus dans la course à la présidentielle française, mais elle reste active pour soutenir Ségolène Royal, la candidate investie par le Parti socialiste. L’énergique députée guyanaise a accordé à Afrik une interview, où elle explique son investissement auprès de la présidentiable socialiste et revient sur son passé de militante indépendantiste.
Christiane Taubira n’a pas pu être candidate aux élections présidentielles française, le Parti radical de gauche ayant décidé de rallier le parti socialiste. Cependant, loin de rester les bras croisés, la députée guyanaise se consacre « entièrement » à la campagne de Ségolène Royal, la candidate investie par le parti socialiste. Elle nous explique, avec passion et énergie, comment elle a vécu son retrait de la course à la magistrature suprême et en quoi consiste son soutien à Ségolène Royal. Elle revient aussi sur son passé de militante indépendantiste.
Afrik.com : Pourquoi avez-vous rallié la candidature de Ségolène Royal ?
Christiane Taubira : Vous avez vu que j’ai essayé d’être candidate aux présidentielles et qu’en France il faut vraiment une logistique de parti pour aller aux élections, surtout des élections aussi lourdes. J’aurais pu y aller quand même malgré le vote contraire du PRG (Parti radical de gauche, ndlr), mais je n’aurais pas eu les moyens de faire des meetings. Je n’aurais pas pu louer une salle à Paris. Je n’aurais pas eu les moyens d’imprimer mon programme, ma profession de foi. Je n’aurais pas eu les moyens d’aller collecter les parrainages… En somme, je n’aurais pas eu les moyens de défendre mes idées et de porter les causes pour lesquelles je me bats. Donc j’aurais fait un caprice mais je n’aurais pas pu être fidèle, justement, à ces combats-là. J’en prends acte et je me dis : « Est-ce que je suis spectatrice de ça ou est-ce que je participe à la mêlée ? » Si on croit à des valeurs, ce qui est mon cas, si on veut rester fidèle à ses engagements, ce qui est mon cas, et si on pense que lorsque l’on est responsable politique on doit se battre pour améliorer la situation de ceux qui souffrent, de ceux qui sont vulnérables et de ceux qui sont démunis, alors on se jette dans la mêlée. Voilà toute la logique, me semble-t-il évidente, de mon positionnement. Même s’il n’est pas facile.
Afrik.com : Comment va se traduire votre soutien pour sa candidature ?
Christiane Taubira : Je suis déjà très largement dans la campagne. J’interviens sur des sujets très différents, je mouille ma chemise. J’ai déjà fait des déplacements en région, j’ai des débats participatifs, j’ai participé à des meetings, je fournis des fiches, je prends des séances de travail, je rencontre des partenaires. Je me donne tout entière, quand je fais campagne, je le fais entièrement.
Afrik.com : Ségolène Royal vous a-t-elle promis un poste, un ministère ?
Christiane Taubira : Je ne raisonne pas comme ça. Je mène un combat et je le mène pleinement. On verra après.
Afrik.com : Certaines associations d’originaires de l’Outre-mer, comme le CM98 et le Collectif Dom, se sont rassemblées à Paris le mois dernier pour demander aux candidats à la présidentielle que la date de la commémoration de l’esclavage soit fixée au 23 mai au lieu du 10 mai choisi par Jacques Chirac. Que pensez-vous de cette revendication ?
Christiane Taubira : J’en ai assez des débats qui ne finissent pas. Il y en a qui peuvent se battre toute leur vie pour des choses, avec des obsessions et des blocages. Bon, c’est leur affaire, je ne porte pas de jugement là-dessus. Moi, je mène des combats, j’essaie d’avancer. Mon souci n’est pas la gloire personnelle. Mon souci c’est comment on fait en sorte de dénouer cette société, de faire que les gens comprennent qu’il y a des gens qui ont leur place dans le pays. Si certaines personnes subissent des discriminations, il y a une raison, c’est lié aux représentations qui viennent de l’histoire coloniale de la France. Mon souci est que la France assume son histoire coloniale et qu’elle en tire toutes les conséquences pour casser justement ces représentations et les discriminations. Maintenant, les batailles de date si elles doivent durer trois siècles, elles peuvent durer trois siècles. Mais je veux dire qu’il faut arrêter de me fatiguer avec ça.
Afrik.com : Sur la question de la discrimination, justement. Que pensez-vous du récent sondage, commandé par le Cran, qui, pour la première fois, compte les « Noirs » de France ?
Christiane Taubira : C’est quoi les « Noirs » ? Les « Noirs » peuvent être sénégalais, maliens, camerounais, sud-africains, noirs-américains, martiniquais, guadeloupéens, barbadiens, guyanais… Ils peuvent être nés en France, nés outre-mer, en Afrique, dans la Caraïbe… C’est quoi les « Noirs » ? Ceci étant, mon combat est contre le racisme, les préjugés, les discriminations. Il faut exiger l’égalité des droits dans la société française. Mais compter les « Noirs »… pour faire quoi après ? Je ne suis pas sûre qu’on rende service à ceux qui sont le plus en difficulté dans la société.
Afrik.com : Pensez-vous qu’aujourd’hui les velléités d’indépendance des Antilles et de la Guyane sont toujours d’actualité ?
Christiane Taubira : Je pense que les peuples ont le droit de choisir leur destin. Si les Martiniquais veulent rompre avec la France, il faut qu’ils puissent le dire, c’est tout. Mais la vie des gens, la vie des peuples ce n’est pas l’histoire de discours qui ne finissent pas, d’idées sur lesquelles on débat à perte de vue. Il y a très peu de formations indépendantistes maintenant : il y en a très peu en Guadeloupe, où elles sont plutôt en recul ; en Martinique, il y en a une, qui est assez forte d’ailleurs puisque le président du conseil régional appartient au mouvement indépendantiste. Mais bon, je n’entends pas réclamer l’indépendance donc je ne peux pas être plus royaliste que le roi. Ce n’est pas à moi de venir la réclamer pour les Martiniquais si le président de région, qui est indépendantiste, ne la réclame pas. J’ai du respect pour tout cela et je souhaite que si on veut débattre de l’indépendance, on débatte de l’indépendance.
Afrik.com : Je vous demande cela parce que vous avez vous-même lutté pour l’indépendance de la Guyane. Est-ce toujours un sujet qui vous tient à cœur ?
Christiane Taubira : Quel intérêt ? J’ai été militante indépendantiste. Je l’assume, je ne le renie pas. Je le dis et je le répète, les peuples ont le droit de choisir leur destin. Moi, je ne suis pas un peuple à moi tout seule ! Ou bien il y a un parti indépendantiste qui fait campagne et qui milite et après on se met à en débattre. Ou bien, c’est juste mon avis à moi, Taubira. Et là, quel est l’intérêt ?
Crédit photo : Taubira 2007 blog